Ferme du "Berger de Delvaux", Joseph Micoud

Légende :

Jean-François Joseph Micoud, fermier à Delvaux, pendant la Seconde Guerre mondiale, héberge des maquisards.

Genre : Image

Producteur : Michel Seyve

Source :

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Analyse média

De part et d’autre de ce chemin vicinal de la commune d’Hauterives, s’élèvent quelques dépendances de la propriété Delvaux (ou Levaux), en fermage à François-Joseph Micoud lors de la Seconde Guerre mondiale. Cette ferme – essentiellement consacrée à l’élevage – et ses habitants, ont joué un rôle important en faveur de la Résistance. Le titre du Progrès du 8 juillet 1961, est évocateur à ce sujet : « François- Joseph Micoud, dit “ Le Berger de Delvaux”, ouvre sa porte aux réfractaires ». Sur la droite du cliché, apparaît la cheminée d’un 4ème bâtiment, maison d’habitation de la famille Micoud depuis 1933. Alice, dont on peut lire le témoignage plus bas, l’une des enfants, vivait ici.
De vastes étendues plates ou légèrement bombées entourent les bâtiments, remarque Alain Coustaury, qui note plus loin d’autres observations. Ces larges places sont couvertes de champs verts, à la fois pâturages et réserves de foin pour l’hiver. Les pentes, à proximité, couvertes de profonds taillis furent de précieuses caches au moment de la clandestinité ; elles découvrent, plus au nord, la Valloire qui se développe à l’ouest vers le Rhône. L’ensemble est dominé, à l’est, par le massif du Vercors.


Claude Seyve, Michel Seyve Sources : Récit d’Alice Perotti,
Drôme nord Terre d’asile et de révolte 1940-1944, H. Chosson, M. Desgranges, P. Lefort, éd Peuple Libre, oct 1993

Contexte historique

Alice Perotti, ainsi que ses frères et sœurs, vivaient, avec leurs parents, dans la ferme Delvaux, durant la Seconde Guerre mondiale. Elle avait 10 ans en 1943. Lors de la présentation de ses archives personnelles correspondant à cette période, elle a fait le récit que voici – un émouvant souvenir d’enfance – : « un soir, quatre-vingts hommes, des résistants, entrent en camions dans la cour de la ferme. Le chef demande l’hospitalité pour sa troupe durant la nuit. Mon père leur propose d’utiliser « la fenière » (la grange) et de coucher dans le foin et la paille. Il leur annonce qu’ils auront le lait de la première traite, le lendemain. Mais, ils ne l’ont jamais bu : l’ordre de départ a été donné très tôt en fin de nuit… Quelle déception ! »
Évoquant les visites assez fréquentes des chefs maquisards chez ses parents, Alice Perotti ajoute : « Geyer et Lahmery sont venus assez souvent manger à Delvaux » ; et, précise-t-elle encore, « Geyer a toujours regretté de n’avoir pu marquer la mémoire par la pause d’une plaque sur la maison de mes parents. Il aurait aussi voulu que mon père accepte qu’il sollicite une décoration à la mesure du courage dont il avait fait preuve pendant ces années de résistance à l’occupant. Mais mon père, un ancien de la guerre 1914-1918, ne voulait plus entendre parler de guerre et refusait de penser à une quelconque décoration ou à un signe mémoriel sur la maison. »
Après la guerre, Geyer a proposé J.-F. Micoud pour la légion d’Honneur, tandis que le colonel Descour aurait souhaité qu’une plaque commémorative rappelle les faits de Résistance qui ont marqué l’histoire de la ferme Delvaux. Mais en vain.
Joseph-François Micoud (1885-1963), dès son enfance, garde les bêtes aux pâturages, puis, bientôt s’occupe des chevaux et des bœufs et du travail de la terre. Il est mobilisé lors de la Première Guerre mondiale. Blessé à la main gauche, il en perd le pouce ; il a 33 ans à son retour ; il est décoré de la croix de guerre.
Peu après son mariage avec Adèle Brun, en 1933, il s’installe en tant que fermier à Delvaux. Adèle Brun a eu sept enfants, dont cinq avec Joseph. L’un d’eux, Joseph Virieux, dit Pompon, beau-fils du fermier, était engagé comme cuirassier à Lyon, sous les ordres du lieutenant Geyer. Lors de la dissolution de l’Armée d’armistice, en 1942, Geyer « a proposé à ses hommes de partir en dissidence » ; à cette occasion, Pompon évoque « les possibilités d’accueil de la région du Grand-Serre et de l’hospitalité de ses parents »…
Ainsi, Geyer y est reçu, d’abord à « l’Hôtel des Voyageurs » par Joseph Brenier, puis, un peu plus loin sur la commune d’Hauterives, à Delvaux dès le 12 novembre. Boukaro, le cheval du lieutenant, est conduit également à Delvaux et y demeure sous la garde de Pompon, qui en est son palefrenier. Il est rejoint bientôt par d’autres de ses soldats, plus tard encore, par les premiers réfractaires au STO. Geyer leur trouve une place, autant que faire se peut, dans les fermes d’Hauterives et du Grand-Serre ainsi que dans les bois de Lentiol, au nord-est de la ferme ; ils doivent se déplacer beaucoup pour leur sécurité. Ils constituent ainsi le premier maquis de la région. La famille Micoud prend en fait souvent à sa charge une partie importante de l’approvisionnement, fournissant selon la nécessité « farine, œufs, beurre, pain, agneaux, légumes ». Adèle et ses filles participent beaucoup à l’entretien de leur linge et de leurs vêtements.
Geyer, quant à lui, établit son PC à la ferme La Thivolée (ou la Thivolet), proche de l’Hôtel,Brenier, au Grand-Serre. Son nom de résistant sera désormais Thivollet.
« Je suis souvent allée à pied avec ma sœur Odette, dit Alice, de la ferme au campement du maquis à Lentiol, pour porter des messages. Quant à Geyer, il venait assez fréquemment manger chez nous le dimanche, parfois avec sa famille. Quand il a rejoint le Vercors, en décembre 1943, il a offert sa cravache à mes parents, en souvenir des solidarités passées, celle qu’il utilisait avec son cheval Boukaro. Elle est d’ailleurs encore exposée dans la salle à manger de notre maison ! »
Lorsqu’il a été affecté dans le Vercors, 90 combattants l’ont accompagné, tandis que son second, Lahmery, Bozambo, est demeuré sur place avec 10 hommes, dans le but de mettre en place un nouveau maquis. Tous les deux étaient dans le même escadron à Lyon ; tous les deux étaient gaullistes et s’appréciaient beaucoup. Bozambo a lui aussi une forte personnalité.
Le nouveau chef déplace son maquis fréquemment dans les bois, dans des fermes isolées du secteur dont il a l’accord du propriétaire. Ses effectifs, augmentés, entre autres, par de nouveaux réfractaires au STO, dépassent les 50 à la veille du débarquement de Normandie en juin 1944.
Derrière les faits relatés, tout simples, de la vie campagnarde quotidienne, se profile, bien sûr, l’activité résistante suivie de François-Joseph Micoud et des siens, qui mettait de cette façon en jeu la vie de toute la famille, dont Alice, ainsi que l’existence même de la ferme d’élevage base de la subsistance ; combien de maisons paysannes ont été pillées où même brûlées dans la Drôme pour beaucoup moins… Les représailles du 9 octobre 1943 – toutes proches – donnent une idée du danger encouru : l’occupant encercle le village du Grand-Serre à l’aube de ce jour-là, arrête de nombreuses personnes et les conduit à la prison Montluc à Lyon. 10 otages sont déportés en Allemagne ; trois n’en sont pas revenus, J. et É. Brenier, le père et le fils.


Auteurs : Claude Seyve, Michel Seyve ; Sources : témoignage de Alice Perotti ;
Drôme nord Terre d’asile et de révolte 1940-1944, H. Chosson, M. Desgranges, P. Lefort, éd Peuple Libre, oct 1993 ;
Musée Virtuel, La Résistance Intérieure Exposition Drôme Le Vercors, La rafle du Grand-Serre, Blumenfeld Kurt, Robert Serre