Stèle rappelant l'exécution de résistants par la Milice française à Vassieux-en-Vercors le 23 avril

Genre : Image

Type : Stèle

Producteur : Cliché Alain Coustaury

Source : © Collection Alain Coustaury Droits réservés

Détails techniques :

Photographie argentique couleur.

Date document : Juilllet 2006

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Vassieux-en-Vercors

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Analyse média

Plaque de marbre scellée sur une stèle en béton dominée par l'insigne de l'association des Pionniers du Vercors.

La plaque est difficilement lisible. On peut y lire :

ICI ONT ÉTÉ
LACHEMENT ASSASSINÉS
PAR LA MILICE FRANCAISE
LE 23 AVRIL 1944
3 DE NOS CAMARADES
DOUCIN ANDRÉ
ÉZINGEARD CASIMIR
MIALLY PAUL
LES PIONNIERS DU VERCORS
SECTION CANTONALE


Auteurs : Alain Coustaury

Contexte historique

La Résistance dans le Vercors a subi des attaques avant sa destruction en juillet 1944. Elles sont le fait des Allemands mais aussi de la Milice française.

Le 13 avril 1944, Fusch, restaurateur à Valence, prévient la Résistance que les Allemands et la Milice avaient tenu une réunion dans son restaurant et décidé d'effectuer une opération contre le Vercors. L'alerte est donnée aux maquis et les camps du Vercors Sud se déplacent et se réfugient en des endroits sûrs. Les responsables de la Résistance au Vercors demandent à tous les Israélites d'évacuer le massif.

Le 15, un message annonce aux maquisards du Camp 12, chez madame « Mémé » Bordat au col de Rousset, une forte opération de nettoyage de la Miice et des GMR. Les éléments les moins valides du camp sont dispersés en lieux sûrs. Une quinzaine d'intrépides part à Espenel. Michel Prunet se fait surprendre à Plan-de-Baix par une patrouille de la Milice mais parvient à s'échapper.

Le 16 avril, la grande offensive des forces de la Milice de Vichy contre la Résistance est déclenchée. 25 camions remplis de miliciens encadrant des GMR partent en direction du Vercors. L'engagement va durer cinq jours. Sous la direction du commandant de Dugé de Bernonville, et de Dagostini, chefs miliciens, des opérations de nettoyage du maquis du Vercors commencent avec deux GMR : le GMR « Comtat » et le GMR « Rhodanien », cinq escadrons de la Garde sous le commandement du commandant Aubert, 183 miliciens des groupes mobiles de Vichy, Lyon et Valence, menés par deux faux maquisards. Les préfets n'ont pas été informés. Vers 17 h, près de Plan-de-Baix, au château d'Anse, le camp « Michel » (Prunet) est attaqué par la Milice et un escadron du 4ème régiment de la Garde qui doit occuper Beaufort-sur-Gervanne. Alerté immédiatement, « Wap » envoie un détachement commandé par « Narbonne ». Un combat brutal s'engage. La Milice et les GMR se replient. Chez les Résistants, trois blessés et un mort : René Le Meur, 24 ans, Résistant originaire de Nantes arrivé au maquis « Michel » le matin. Drouot réussit à évacuer un blessé à la clinique du docteur Rigal à Valence. Henri Morin, maire de Beaufort, chef local de la Résistance, est arrêté, mais réussit à s'évader. Deux civils inoffensifs ont été fusillés. Des miliciens sont tués.

Le 16 avril, la Milice arrive à Vassieux-en-Vercors peu après 13 heures, dans des autos et des cars venant des Baraques. Elle encercle le village, place une mitrailleuse dans le clocher et procède à l'arrestation de plusieurs personnes. L'abbé Aimé Gagnol intervient auprès de Dagostini pour les faire libérer, sans succès. À 18 heures, nouveaux roulements de véhicules arrivant du col de Rousset : c'est le gros des effectifs de la Milice encadrant trois cars pleins où l'on reconnaît madame Bordat, des membres de la famille Perriat, le gendarme Célerien (de La Chapelle-en-Vercors), le gendarme Monin, du Diois, et un jeune homme inconnu.

Le 17 avril, l'abbé Gagnol est autorisé à visiter les gens enfermés dans deux cars. Il y a quatre des gendarmes de la Chapelle, ainsi que Doucin et les Bordat. Dagostini, le chef de la Milice, accompagné de sa maîtresse, Danielle Champetier de Ribes, qui aurait dénoncé le lieutenant Doucin, procède aux interrogatoires des Vassivains dans la salle du café de l'hôtel Allard transformé en « Palais de Justice ». Les otages des cars n'ont pas mangé depuis la veille. Les miliciens ont cassé le buste de Marianne à la mairie. Toute la journée, une expédition de la Milice, sous la conduite d'un certain « Cémoi », déserteur du camp de Musan (Léoncel), fouille le plateau de Beurre où, en fin d'après-midi, les miliciens ont un mort : face à face avec un dissident, celui-ci tire le premier. « Cémoi », est Alboloy, 53 ans, milicien infiltré dans la Résistance. Les GMR occupent Beaufort-sur-Gervanne, mitrailleuses en position. Alboloy et Roger Ménielle, 25 ans, un autre faux réfractaire, demandent des renforts à Valence à 11 h. Vers 16 h, ils tombent dans une embuscade dans les gorges d'Omblèze : un homme de « Michel », Belbezier, coiffé d'un casque, arrête au Moulin de la Pipe une voiture rouge où les deux miliciens détiennent deux prisonniers, le facteur d'Omblèze, Ézingeard, et une femme. Ceux-ci sont libérés, les miliciens, qui se vantent d'avoir vendu le Vercors à la Milice, sont amenés au château d'Anse et exécutés.

Vichy va s'emparer de l'affaire et accuser la Résistance d'avoir torturé les miliciens tués. Dagostini prétend que leurs yeux ont été crevés et que leurs parties sexuelles ont été tranchées. Il justifie ainsi l'arrestation de Paul Gateaud, directeur des PTT à Valence. Les journaux de Vichy, se référant au rapport de Dagostini, écrivent sur trois colonnes qu'ils avaient été affreusement torturés. Les obsèques des deux francs-gardes Menielle et Alboloy, tous deux de Paris, ont lieu à Valence, le lundi 24 avril, en présence des autorités.

Le maquis « Michel » reçoit l'ordre d'évacuer le château d'Anse. Il n'est pas dans les plans de l'état-major de le sacrifier inutilement contre les GMR ou les miliciens, mais de le garder en réserve jusqu'au débarquement, même s'il voulait défendre la position coûte que coûte. Michel se replie sur la ferme Belle sur le plateau de Combovin.

Le 18 avril, on peut lire à Vassieux : « Milice française - troupes d'opérations : avis à la population urbaine et rurale. Tous les habitants de la commune de Vassieux-en-Vercors sont avisés que : 1°) Ils doivent avant demain matin 11 heures signaler au Bureau de la Milice (hôtel Allard) les dépôts d'armes qui ont été constitués par les ennemis du pays. 2°) Des recherches seront effectuées par les troupes de la Milice pour trouver les dépôts d'armes. 3°) tout dépôt non signalé et se trouvant à proximité d'une ferme entraînera les sanctions suivantes :
1°- arrestation des hommes comme otages.
2°- saisie du bétail et du matériel.
3°- incendie des bâtiments de la ferme.
Je fais appel à vos cœurs de Français pour nous permettre de réduire cette armée de la "Résistance" dont les chefs s'enfuient comme des lâches. Je tiens à vous dire que les gens de la Milice ne sont pas des barbares comme le dit la radio anglaise, mais qu'ils sont des Français ; que tous ont fait le don de leur personne pour la France et le Maréchal. Habitants du Vercors vous avez été trompés et terrorisés, nous sommes là pour vous protéger et non pour vous brutaliser.
À Vassieux, Dagostini, chevalier de la Légion d'honneur, neuf citations, commandant la Milice française ».

Une liste de dénonciation de dix habitants de Vassieux et deux de la Chapelle est en possession de Dagostini qui la montre à l'abbé Gagnol. Deux dépôts d'armes de la Résistance signalés à la Milice la veille sont trouvés chez Juillet et chez Jules Martin aux Granges. De nombreuses fermes sont pillées et plusieurs personnes maltraitées par la Milice. Le curé Gagnol réussit à faire libérer les Bordat et Giroud. Mais ce dernier se fait reprendre le soir à l'arrivée du courrier car un paquet de lettres destinées au maquis lui est adressé. Les journées à Vassieux sont angoissantes. Un résistant vit caché dans un hôtel de Vassieux où il est cuisinier, les miliciens le recherchent pour le fusiller, sans se douter qu'il les sert à table. Le soir, deux véhicules de la Milice, roulant à très vive allure, se croisent au tournant de l'Arzelier, et il y aurait eu des coups de feu. Un milicien est tué par un autre : ils se sont pris mutuellement pour des maquisards.

Le 19 avril, il ne reste qu'un petit nombre de miliciens à Vassieux. Ils sont partis depuis la veille en nombre imposant sur le plateau de Beurre. À Vassieux, les dénonciations continuent et des personnes sont arrêtées. L'abbé Gagnol essaie d'intervenir mais il a l'impression que la population a trop parlé et que les miliciens se méfient de lui.

Le 20 avril, dans l'après-midi, des camions amènent les renforts de miliciens et de GMR du groupe valentinois, demandés car les « troupes du maintien de l'ordre » (la Milice) éprouvent certaines difficultés dans les régions montagneuses.

Le 21 avril, un groupe de miliciens venant du Vercors par Ambel arrive à Omblèze, toujours pour essayer d'atteindre le camp « Michel ». À cause des nuages, ils n'ont pas trouvé ce camp. Ils font leur jonction avec ceux arrivés de Valence au village d'Omblèze. Au passage ils prennent cinq habitants en otage. Ils ne trouvent sur le plateau d'Anse qu'une tombe fraîchement refermée : ils exhument le corps du FFI Le Meurs, tué à Plan-de-Baix le 16 avril. Ils libèrent les 5 otages et reprennent la direction d'Omblèze. Arrivés au Moulin de la Pipe, ils découvrent les corps des deux miliciens fusillés la veille et pas encore ensevelis. Ils prennent à nouveau deux otages à Omblèze : Paul Bonnard et, une deuxième fois, le facteur Camille Ézingeard, père de trois enfants, trop confiant. Avec eux, ils rejoignent le Vercors en passant par Ambel où ils incendient la ferme.

Le 22 avril, Paul Mially, membre de la SAP accusé du camouflage de réfractaires dans le Vercors, est arrêté par la Milice à Upie, sur dénonciation, il est brutalisé sous les yeux de sa femme et de ses quatre enfants. Bonnard, Ézingeard et Mially sont emmenés vers Valence au siège de la Milice. À l'instant où ils arrivent, l'un des miliciens aperçoit André Doucin, un des premiers organisateurs de la Résistance au Vercors, responsable des parachutages à Saint-Nazaire-en-Royans, libéré à Vassieux le mardi précédent, qui se rend à la préfecture. Les miliciens l'arrêtent.

Le 23 avril, à Vassieux, lors de la messe de 10 h 30, environ 200 miliciens sont présents. L'abbé Gagnol stigmatise l'attitude des miliciens dans son sermon : « Jusqu'à cette semaine nous ignorions ce qu'était le terrorisme ». Les quatre prisonniers de la Milice, partis en car de Valence et après une nuit dans l'école de Die, arrivent à Vassieux où ils sont torturés. Puis le chef milicien Dagostini constitue un tribunal qui, après une parodie de justice, envoie Bonnard en prison à Lyon et condamne à mort André Doucin, Paul Mially et Camille Ézingeard. L'abbé Gagnol et le docteur Guérin, de La Chapelle, interviennent en vain. L'exécution a lieu dans un champ à 16 h 15. Les corps sont enterrés dans une fosse commune sans cercueil. La Milice venait de faire onze orphelins.

Cette besogne accomplie, à 17 h, la Milice quitte Vassieux. En juin, elle reviendra en renfort des troupes allemandes à l'assaut, mais en redescendra dès la fin du mois, avant les massacres de juillet.

Dagostini sera le premier condamné de la Cour martiale de Lyon le 3 septembre 1944 : il sera fusillé le lendemain. Sa concubine, Danielle Champetier de Ribes, subira le même châtiment dix jours après. L'affaire de Vassieux crée des remous dans l'administration de Vichy. Aubel, directeur de la maison du prisonnier de Valence, écrit à de Bernonville le 12 mai 1944 :
« Tous les prisonniers des Centres d'Entraide de la Drôme se sont émus d'une justice aussi expéditive. Nos camarades sont écœurés et critiquent violemment la Milice d'un pareil fait. Je vous serais donc obligé de bien vouloir m'adresser le plus rapidement possible la copie du jugement qui a été prononcé par la Cour martiale. Il me semble que dans cette affaire le jugement ait été prononcé quelque peu à la légère et que pour le moins la sentence ait pu être retardée, vu la situation de famille de notre camarade ainsi que sa qualité d'ancien prisonnier ». Dans sa réponse du 29 mai 1944, Jacques Dugé de Bernonville se justifie : « La Milice française que vous incriminez, pas plus que les forces du Maintien de l'ordre ne sont pas à mettre en cause. Mially a été régulièrement jugé par une Cour martiale qui s'est réunie après mon départ du Vercors et qui, sur les faits criminels reconnus par l'inculpé lui même, l'a condamné à mort en toute plénitude de ses droits et sans qu'aucune pression ait été exercée sur la conscience des magistrats. J'ajoute que si la guerre civile sévit en France, je le déplore, mais cette situation ne peut en aucun cas nous être imputable à nous, pour qui la parole donnée est sacrée et l'obéissance au Maréchal un devoir imprescriptible ». À la suite de ce crime, le comité de Résistance de Romans-sur-Isère et de Bourg-de-Péage décide d'honorer André Doucin. Une gerbe de fleurs avec un ruban tricolore est déposée au monument aux morts de l'hôtel de ville de Romans. L'inscription « à notre camarade André Doucin, mort pour la France » est faite au fusain par madame Deval. Une lettre est remise au maire dans laquelle il lui est interdit de faire enlever cette gerbe. De nombreux Romanais et Péageois sont venus s'incliner. Le lendemain, la Milice prend cette modeste gerbe et la piétine.

Le 23 avril, sous les ordres du capitaine Bourgeois, trente maquisards venant du Vercors encerclent, au petit matin, le village du Chaffal occupé par des GMR. À six heures, les GMR se rendent. Ils sont remis en liberté dans la soirée.

À la Chapelle-en-Vercors, l'abbé Pitavy obtient, auprès de la Milice, la restitution du butin et la libération de prisonniers. À Vassieux, l'abbé Gagnol limite la répression milicienne.

Le 24 avril, la Milice qui n'a guère apprécié le prêche de la messe, essaie de confondre l'abbé Gagnol en simulant un appel au secours d'un maquisard. Averti par un séminariste, devenu milicien pour échapper au STO, l'abbé ne tombe pas dans le piège. Le 24 avril marque la fin des opérations dans le Vercors. Les GMR rejoignent leur garnison. Leurs FM sont saisis par les Allemands qui encadraient les miliciens et envoyés à Lyon. Le bilan de l'opération menée par les forces de Vichy est médiocre. Les GMR et la Milice ont 18 morts dont Alboloy et Menielle, sinistrement connus, et 16 blessés. La Résistance armée a réussi à imposer sa tactique. Devant ce piètre résultat, GMR et Milice doivent rendre des comptes aux autorités préfectorales, qui n'avaient pas été averties de l'opération, et aux forces allemandes. L'action de la Milice est très critiquée et par Vichy et par les Allemands. On perçoit, à travers ces évènements, l'ambiguïté des relations entre, d'une part, Vichy et ses subordonnés et, d'autre part, entre les occupants et ce que l'on peut considérer comme leurs supplétifs. Lors des opérations de la Milice dans le Vercors, les excès sont permanents, les pillages continuels. Les francs-gardes, se comportant comme de véritables bandits, brisent la mâchoire de l'hôtelier Bellier à la Chapelle-en-Vercors, arrêtent une famille entière à Saint-Jean-en-Royans, emmènent les femmes en chemise. Ce sont les autorités allemandes de Grenoble et de Valence qui arrêtent ces opérations de brigandage, car le chef de la Milice, de Bernonville, avait négligé de les prévenir. Un télégramme de Vichy lui enjoint de se présenter aux autorités d'occupation de Grenoble, de tout faire cesser et d'aller ensuite auprès de Darnand. Pour les autorités et les Allemands, les opérations apparaissent comme un échec. Ces derniers en tiendront compte en juillet 1944.


Auteurs : Alain Coustaury , Patrick Martin, Robert Serre
Sources : Dvd-rom La Résistance dans la Drôme-Vercors, éditions AERI-AERD, février 2007. Gilles Vergon, Le Vercors. Histoire et mémoire d'un maquis, éditions de l'Atelier, 2002.