Plaque en hommage aux familles Zalkinov et Moyen
Légende :
Plaque en hommage aux familles Zalkinov et Moyen déportés et assassinés et fusillés par les Allemands, située 73, rue des Amandiers, Paris XXe
Genre : Image
Type : Plaque
Source : © Wikimedia Commons Libre de droits
Détails techniques :
Photographie numérique en couleur.
Date document : 2010
Lieu : France - Ile-de-France - Paris - Paris
Contexte historique
Fernand Zalkinow est né à Paris le 29 septembre 1923 dans une famille juive laïque issue de l'émigration d'Europe de l'Est. Sa mère, Haina Kantof, vient de Varsovie, où elle est née, et son père, Nojme Zalkinow, est originaire d'un shtetl biélorusse, Dribin, au nord-est de Mogilev. Installés à Paris en 1910, mariés en 1913 à la mairie du XVIIIe, ils obtiennent leur naturalisation en 1927. Cordonnier à façon, Nojme Zalkinow travaille à son domicile, un petit deux-pièces éclairé au gaz, au 51 rue des Amandiers (XXe), dans un des quartiers les plus insalubres de Paris. Influencés par leur cousin Maurice Goutverg, les Zalkinow deviennent des sympathisants communistes, puis des militants actifs. Le père de Fernand assiste à des meetings au 33 rue de la Grange-aux-Belles, siège de la CGT unitaire, et ses soeurs aînées, Juliette (1915) et Rachel (1918), toutes deux sténo-dactylos, s'engagent à l'Union des jeunes filles de France dès 1936. Marraine de guerre pendant la guerre d'Espagne, Rachel fait la connaissance d'un volontaire des Brigades internationales, André Jacquot, dont elle tombe amoureuse. Quant à Fernand, qui passe de l'école maternelle de la rue des Cendriers à l'école primaire de la rue de Tlemcen, il est, selon son condisciple de dernière année Léon Melcer, "très passionné par la politique et dans une seule optique, le communisme... dès le plus jeune âge". Brillant élève, mais n'ayant pas les moyens de poursuivre des études, Fernand est poussé par son directeur d'école afin d'obtenir une bourse d'études qui lui permet d'entrer à l'école Arago, place de la République. Il y reste de 1936 à 1939, jusqu'en classe de seconde. Il y fait notamment la connaissance de Jacques Pescio, qui deviendra le responsable politique des Jeunesses communistes du XIe. Fernand, lui, milite dans les JC du XXe que dirige, entre autres, un dénommé Sirelstein. Ayant choisi la langue de Kant comme langue étrangère - qu'il souhaite plus tard enseigner -, Fernand doit participer à un voyage linguistique lorsque la guerre éclate. Il doit alors travailler pour subvenir aux besoins de ses parents, ses soeurs ayant quitté le foyer familial. Ainsi, le trouve-t-on "employé sans contrat d'apprentissage de 17 à 18 ans" aux Ateliers de construction Lavalette de Saint-Ouen, du 11 avril 1940 au 31 août 1940, puis chez le fourreur Pliskine du 25 novembre 1940 au 7 mars 1941 et enfin chez Kotzky. Pendant l'exode lui et sa famille restent à Paris.
Fernand devient l'un des responsables des JC du XXe, chargé semble-t-il, de la propagande. Avec Albert Kolnitchanski, qui a reconstitué une cellule au 140 avenue Ménilmontant, baptisée "En avant", ils mettent au point des distributions collectives. Le jour de l'invasion de l'URSS par les armées allemandes, Fernand fait le tour des bureaux et des ateliers des établissements Lavalette, où il est employé, en criant "Les Soviets partout !". Malgré sa grande timidité, il prend des risques pour diffuser la presse et les tracts du Parti. Il transporte des filets bourrés de propagande qu'il cache chez ses parents et chez ses amis. Lors d'une distribution de tracts en plein jour, sur le boulevard Ménilmontant, il manque de se faire arrêter par un policier en civil. Il ne doit sa liberté qu'à l'équipe de protection qui intervient de façon musclée pour le dégager. Avec les jeunes de son quartier, il participe notamment à la manifestation du 14 juillet 1941, au départ de la rue des Cascades. Responsable des JC sur plusieurs arrondissements de Paris, Odile Arrighi ("Michèle") a l'occasion de rencontrer Fernand, son interlocuteur pour le XXe. "On se voyait à peu près toutes les semaines pour voir où cela en était, ce qu'on allait faire [...] On avait, à chacun de nos rendez-vous, des discussions sur la littérature, Racine, Corneille, Roger Martin du Gard, Romain Rolland...". Fernand s'étant porté volontaire pour participer aux groupes armés, Odile, chargée de recruter pour l'OS, le présente à Gilbert Brustlein fin juillet : "On avait établi avec le triangle de direction qu'il serait [son] adjoint..." explique-t-elle. Responsable dans un premier temps du groupe formé par Roger Hanlet et Pierre Milan, Fernand, qui prend comme pseudonyme "Benoît", se voit déléguer la direction du groupe entier quand Gilbert Brustlein est absent.
Il quitte le domicile familial pour s'installer dans la planque de Gilbert Brustlein, une chambre de bonne au 7e étage du 126 avenue Philippe Auguste (XXe). Dans la première quinzaine du mois d'août, Fernand Zalkinow participe à une tentative infructueuse d'exécution d'officier allemand sur le boulevard Diderot, avec Gilbert Brustlein, Tony Bloncourt et Acher Semahya. Puis il prend part à l'incendie d'un camion place Bérault à Vincennes fin juillet (source : Gilbert Brustlein), au vol d'outils servant aux déboulonnage des rails à Orry-la-Ville (nuit du 12 au 13 août) et à la tentative de déraillement entre Rosny-sous-Bois et Nogent-le-Perreux sur la ligne Paris-Mulhouse (nuit du 20 au 21 août). Au retour de l'expédition, au matin du 21 août, Fernand, chargé de rapporter le matériel, se trouve au métro Barbès avec Brustlein, Pierre Georges et Bob Gueusquin. Puis les actions auxquelles il participe s'enchaînent : opération contre un émetteur goniométrique de la Luftwaffe à Goussainville (23-24 août) ; incendie de véhicule à proximité du château de Vincennes - il aurait agi seul (28 août) ; attentat contre l'officier Ernst Hoffmann, boulevard de Strasbourg (3 septembre) ; incendie d'un véhicule allemand à Vincennes (nuit du 5 au 6 septembre) ; attaque du garage Soga près de la porte Maillot (19 septembre) ; tentative de dynamitage de la voie ferrée Strasbourg-Paris à Dampmart près de Lagny (25 septembre) ; incendie d'un véhicule allemand (30 septembre) ; vol de clés à tire-fond au métro Cambronne (début octobre)...
Le 6 octobre, vers 2 h du matin, Fernand incendie à l'aide d'alcool à brûler un hangar contenant 567 tonnes de paille et 192 tonnes de foin réquisitionnés par les troupes d'Occupation à Jouy-le-Châtel (Seine-et-Marne). Au cours de sa fuite, il se blesse à la cuisse avec son propre revolver en franchissant les clôtures de fils barbelés. Soigné par l'étudiant en médecine Jean Rozinoer, il semble participer à une action visant à récupérer 50 kilos de dynamite dans une carrière à Saint-Maximin (Oise) le 13 octobre (Gilbert Brustlein étant parti en mission à Nantes). Enfin, le 15 octobre, il organise une attaque contre un garage à Montreuil-sous-Bois. Quelques jours après le 20, Zalkinow accompagne Brustlein, de retour de Nantes, au Jardin des Plantes où celui-ci rend compte de l'opération auprès de Conrado Miret-Muste et de Bob Gueusquin. Le jeudi 30, Gilbert et Fernand élaborent deux nouvelles actions : la première contre un autocar allemand à la mosquée de Paris, envisagée pour le dimanche 2 novembre, et une attaque contre un poste à essence situé sur le boulevard Richard-Lenoir pour lequel ils prévoient onze francs-tireurs. Mais suite aux déclarations de Roger Hanlet, arrêté le 30 octobre 1941, Fernand Zalkinow est identifié et appréhendé le soir-même, alors qu'il se rend au 126 avenue Philippe Auguste "après une courte lutte au cours de laquelle il a essayé de faire usage d'un pistolet automatique dont il était porteur". Dans sa planque, les inspecteurs de la brigade spéciale criminelle du commissaire Veber découvrent tout un arsenal : un pistolet Mauser, diverses cartes d'état-major, plusieurs relevés de plans, du matériel de cartographie, des boussoles, de la propagande communiste et divers produits pharmaceutiques. Dans une soupente masquée par une cloison recouverte de tapisserie , les inspecteurs mettent la main sur une charge amorcée de dynamite Gomme A, une charge de tolamite amorcée, trois clefs à tire-fond, une cisaille, deux revolvers, un lot de munitions de divers calibres, un bidon d'essence, plusieurs bouteilles contenant de l'essence et des produits incendiaires, un important paquet de stencils vierges, divers documents. Chez ses parents, la perquisition révèle l'existence d'un paquet de tracts, caché sous le divan familial. Ces derniers sont aussitôt arrêtés.
Les arrestations suivent : Rachel, ses parents, Raymond Moyen, puis plus tard Juliette se retrouvent dans les locaux de la Préfecture de Police. André Jacquot, quant à lui, réussit à s'enfuir le lendemain. "L'audition de Zalkinow n'amène tout d'abord que peu d'éléments à l'enquête en cours, celui-ci se montrant très réticent pour fournir quelques explications sur son activité et celle de ses complices". En effet, Fernand répète qu'il ne veut "pas donner de renseignements qui peuvent permettre d'arrêter ceux qui [l']ont dirigé dans cette affaire". Mais les policiers, "poursuivant sans désemparer [leurs] investigations" - on comprend ce que cela veut dire - Fernand avoue sa participation à un certain nombre d'actions que les policiers connaissent déjà ou qui n'engagent que lui.
Dans une de ses dernières lettres, envoyée clandestinement à sa cousine Juliette Goutverg, Fernand évoque, en filigrane le traitement qu'il a subi : "Dis à tous les copains qu'ils peuvent être fiers de moi, que je n'ai pas flanché et que j'ai sauvé mon honneur. Je meurs propre. J'ai mérité leurs injures et leurs coups, et de cela aussi je suis fier". À en croire les rapports de police, sa soeur Rachel semble avoir adopté la même attitude que son frère lors de ses interrogatoires. "La demoiselle Zalkinow Rachel se refuse à fournir la moindre explication concernant l'activité politique de son amant [André Jacquot], et elle n'a pas voulu expliquer la présence dans son sac-à-main d'un trousseau de clefs et d'indiquer à quelle porte il pouvait se rapporter". Toujours est-il que Rachel est transférée à la prison de la Santé avec une hémorragie. Incarcérée à la première division dans une cellule non chauffée, ses pieds gèlent "ils étaient noirs jusqu'à la cheville" témoigne Agnès Humbert. C'est grâce aux démarches opiniâtres d'une religieuse infirmière que Rachel est transférée à la quatrième division qui, elle, est chauffée. Elle partage alors la cellule n°22 avec Agnès Humbert, condamnée dans le procès du Musée de l'Homme, Jeannette Février et une certaine Andrée. Selon un inspecteur, c'est grâce à l'intervention du commissaire Veber auprès du major Moritz que "le régime de mademoiselle Zalknow (sic), arrêtée, a été amélioré". Les chaînes aux pieds et aux mains, Fernand attend son sort, au secret comme ses camarades.
Durant le procès de la Chambre des députés, où il est jugé avec ses six autres camarades du 4 au 6 mars 1942, alors que les juges allemands répètent à loisir que les attentats commis par la "bande à Brustlein" l'ont été dans l'unique but "d'installer un régime soviétique français", Fernand leur tient tête. Sur un ton calme, il leur affirme au début des débats : "C'est ma conviction qu'il fallait lutter contre l'armée d'occupation pour libérer la France" puis il ajoute "Je sais que je serai condamné à mort". Une fois lue la sentence le condamnant à la peine capitale, alors qu'on lui donne la parole une dernière fois comme le veut la procédure allemande, Fernand répète : "J'ai la certitude d'avoir agi dans l'intérêt de mon pays. Je ne regrette rien. Je ne regrette qu'une chose, c'est de quitter la vie à 18 ans".
Selon la presse de l'époque, et le témoignage de son avocat, il semble que Fernand Zalkinow soit le seul à ne pas avoir demandé de recours en grâce (bien qu'il affirme le contraire à sa cousine). Peut-être croit-il qu'André Jacquot, à qui il a fait passer un plan de la prison dissimulé dans la doublure d'un caleçon, parviendra à le sauver ? Fernand laisse à ses soeurs et à sa cousine des lettres admirables et terriblement émouvantes, pleines de maturité, de foi en l'avenir et de tendresse. Le 9 mars 1942, dans la clairière du Mont-Valérien, comme il n'y a que cinq poteaux, Roger Hanlet et Ascher Semahya sont exécutés les premiers à 16h13, puis Fernand et le reste de ses compagnons de combat sont fusillés à 16h26. "C'est là que s'est produit cet incident dont je me souviendrai jusqu'à mon dernier jour [...], raconte Me Peter qui se rend pour la première fois, avec son confrère Me Wilhelm, à une exécution au Mont-Valérien. Je le vois [Fernand] geindre, pleurer, ce qui était la preuve évidente que la salve qui devait être groupée par les tireurs n'était pas parvenue à ses fins. C'est là que l'officier qui commandait le peloton a mis beaucoup de temps à dégainer son arme, tellement il était énervé, et en définitive, ça a duré presque une minute, jusqu'à ce qu'il lui donne le coup de grâce.[...] Déjà voir ce jeune, avec un très beau visage, presque celui d'un ange, et l'entendre encore appeler sa mère...".
Lorsqu'un officier allemand vient annoncer à Rachel la mort de son frère, "c'est lui, l'Allemand qui a baissé les yeux, bouleversé devant cette admirable petite communiste juive de 23 ans", écrit Agnès Humbert dans ses mémoires. L'Allemand aurait préféré des larmes, des cris, des injures, tout, mais pas ce silence de mépris. Lorsque la porte a été refermée, Rachel a dit simplement : “Je ne peux pas croire que Fernand ne pense plus". Elle n'a pas dit un mot de plus. Rachel est internée aux Tourelles le 26 mars 1942 où elle retrouve sa mère (qui y est depuis le 4 février avec son père), sa soeur, la mère de Gilbert Brustlein, Jeanne Février, Liliane Levy-Liechtenchtein et Yvette Sémard. Le 22 juin 1942, elle est transférée à Drancy avec 66 autres femmes d'où elle est déportée le jour même pour Auschwitz.
Quelques semaines plus tard, Raymond Moyen, le mari de Juliette, transféré au camp de Compiègne (matricule 5164), est déporté le 6 juillet 1942 dans le convoi dit des " 45 000 " avec, notamment, Yvan Hanlet, le frère de Roger, Olivier Souef, Henri Chlevitski, Clément Matheron (copain de Robert Peltier)... Le 7 août 1942, en vertu de l'ordonnance d'Oberg du 10 juillet 1942 sur les parents de "terroristes", Nojme et Haina sont conduits au fort de Romainville (matricules 584 et 588) comme otages. Dans la nuit du 10 au 11 août, Nojme est extrait de sa cellule, comme dix-neuf autres détenus, et transporté au Mont-Valérien où il est fusillé le 11 août, à 11h05 avec , notamment le père de Pierre Georges et le frère de Maurice Thorez. Quant à la mère de Fernand, elle est transférée le 3 septembre 1942, avec sa fille Juliette, à Drancy (sur sa fiche, on a écrit au préalable "à isoler") qu'elle quitte le 23 septembre pour Auschwitz, par le convoi n°36. Après un transfert à Beaune-la-Rolande, le 9 mars 1943, Juliette est déportée par le convoi du 25 mars 1943 à Sobibor. Personne ne reviendra des camps. La médaille de la Résistance avec rosette a été attribuée à titre posthume à Fernand Zalkinow par décret du 10 janvier 1947. La tombe de Fernand Zalkinow se trouve toujours au "carré des fusillés" du cimetière d'Ivry-sur-Seine.
Boris Dänzer-Kantof, "Zalkinow Fernand (1923-1942) et sa famille" in DVD-ROM La Résistance en Ile-de-France, AERI, 2004