Rue-Raymond-Losserand, XIVe arrondissement de Paris

Légende :

Rue-Raymond-Losserand, XIVe arrondissement de Paris

Genre : Image

Type : Nom de rue

Source : © Département AERI de la Fondation de la Résistance Droits réservés

Détails techniques :

Photographie numérique en couleur.

Date document : 2014

Lieu : France - Ile-de-France - Paris - Paris

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Analyse média

Le 11 juillet 1945, elle est renommée en souvenir de Raymond Losserand, conseiller municipal de Paris et résistant, fusillé en 1942.


Contexte historique

Raymond Losserand naît le 22 août 1903, à Paris. Ses parents tiennent un petit restaurant rue Beauregard. En 1914, ils viennent à peine d'ouvrir un café-billard-épicerie à Montreuil, quand le père est mobilisé comme réserviste dans la Territoriale. Raymond, qui vient d'obtenir brillamment son certificat, doit abandonner ses études pour aider sa mère au café.
En 1916, il entre comme apprenti chez un fourreur de Montreuil, puis, après être passé par plusieurs ateliers, devient travailleur indépendant en 1922. Il épouse, la même année, une jeune Montreuilloise, Louisette Marie.
Politiquement, il est profondément influencé par son environnement familial. Ses parents professent des idées radicales-socialistes marquées par une très forte hostilité à l'égard des curés, de la police et des "gros". Son beau-père est un ouvrier-fondeur socialiste et syndicaliste. Aussi Raymond Losserand s'engage-t-il précocement dans l'action. Il se syndique dès l'âge de treize ans, participe aux manifestations des midinettes en 1917, puis aux mouvements sociaux des années 1919-1920. Il se passionne pour la Commune et suit avec intérêt l'évolution de la révolution bolchevique. Cependant, ses préférences vont, pendant longtemps, à l'anarcho-syndicalisme.
En 1923, il est appelé sous les drapeaux à Haguenau, en Alsace. Admirateur des mutins de 1917, il supporte mal la discipline militaire. Ses permissions sont souvent supprimées et son couple n'y résiste pas. De retour à la vie civile, en 1925, il est embauché chez un fourreur avant de pouvoir se remettre à son compte en 1928. Il n'a pas les moyens d'ouvrir un véritable atelier de confection et se contente donc de raccommoder les manteaux pour les particuliers. Cette activité, nécessairement saisonnière, se concentre sur les mois d'automne et d'hiver. Le reste de l'année, il oeuvre pour de gros fabricants. Comme la plupart des travailleurs à domicile, il est chichement payé. Aussi, conserve-t-il une forte conscience de classe : adhérant à la CGTU, il se rapproche progressivement du parti communiste.
La montée de l'extrême droite, illustrée par les émeutes du 6 février 1934, précipite son engagement. Il participe aux contre-manifestations du 9 et du 12 et adhère au PCF à la fin du mois. Membre d'une cellule du XIVème arrondissement, il déploie une intense activité, militant auprès des chômeurs, des petits commerçants, travaillant à l'implantation du parti dans les grosses entreprises locales comme Hispano-Brune, Bréguet ou La Samaritaine. Il rencontre alors certains de ses futurs camarades de combat, France Bloch et Frédéric Sérazin, qui l'invitent à leur mariage, Paul Thierret, ou encore l'imprimeur montmartrois Maurice Gleize. Très dynamique, discipliné et bon orateur, il accède vite à des postes de responsabilité. D'abord trésorier de sa cellule, il est élu, dès juillet 1934, secrétaire de la section d'arrondissement. Le PCF le présente ensuite aux élections municipales d'avril 1935, puis aux législatives de mai 1936, sans succès. Il renoue à cette époque avec Louisette, devenue, elle aussi, communiste.
Les échecs électoraux n'entament pas son ardeur : délégué au Comité de Front populaire du XIVe, il y organise, en juin 1936, les comités de grèves et aide à l'élaboration des cahiers de revendications des travailleurs. Il est aussi le trésorier de la section locale des Amis de l'URSS. Il a d'ailleurs effectué un voyage en URSS, en juillet 1935, rencontrant ainsi Dimitri Manouilski, secrétaire du Komintern. A partir de juillet 1936, il participe au recrutement des volontaires pour l'Espagne.
En mai 1938, il est élu conseiller municipal du XIVe en remplacement de Marcel Paul, devenu secrétaire général de la fédération CGT de l'éclairage. Il oeuvre en particulier pour le développement des aides sociales dans le quartier, question qu'il aborde également dans ses articles pour l'Humanité.
La déclaration de guerre interrompt ses activités. Raymond Losserand est mobilisé dans le 20e escadron du train hippomobile et déchu de son mandat le 21 janvier 1940, suite à la dissolution du parti communiste. Il est fait prisonnier en juin 1940, mais parvient à s'évader et à regagner Paris dès juillet. Recherché, il passe rapidement dans la clandestinité et quitte son domicile pour s'installer avec Louisette, rue Piat, dans le XXe arrondissement. En guise de couverture, il déclare être agent dans les assurances, sa femme se dit couturière. Il retrouve la liaison avec le PCF et, vers septembre, Arthur Dallidet ("Emile") lui confie la réorganisation de la région Paris-Ouest du parti, sous la direction de Jean Laffitte ("Robert", "Marceau"). Il adopte alors le pseudonyme de "Denis". Malgré ses nouvelles responsabilités, il refuse le salaire proposé aux militants clandestins. En effet, il continue à exercer quatre à cinq heures par jour son métier de fourreur avec sa femme. Il écoule ses productions par l'intermédiaire d'un collègue sympathisant.
Son activité clandestine n'apparaît que par bribes à travers les témoignages et les archives. Raymond Losserand s'attache d'abord à contacter les militants et les sympathisants d'avant-guerre. En novembre 1940, par exemple, il demande à son ami Maurice Gleize de travailler pour le Comité central. Par ailleurs, il stimule, dans les quartiers dont il a la charge, le développement de la propagande clandestine. Les rapports hebdomadaires des Renseignements généraux en révèlent l'importance : collages de nombreux papillons, inscriptions murales, diffusion régulière de tracts et de journaux clandestins. Une dizaine d'organes locaux voit le jour entre l'automne 1940 et l'été 1941 : La Voix de Paris-ouestL'Union du 15èmeLa Voix du 16èmeNotre Lutte … Cette propagande met l'accent sur la dénonciation du caractère réactionnaire du régime de Vichy, sur les revendications sociales et le développement de comités populaires de chômeurs ou d'entreprises. Elle suit donc les grandes lignes fixées par le parti, en les adaptant aux réalités locales. Par exemple, La Voix du 14ème célèbre l'action des élus communistes de l'arrondissement avant-guerre et s'élève contre les persécutions dont ils sont victimes, notamment les arrestations d'Ambroise Croizat et de Léon Mauvais. Le numéro de mai 1941 alerte les lecteurs sur la rafle des Juifs étrangers du quartier, le 14 du même mois. L'article, intitulé "L'Antisémitisme, arme la Réaction", se termine par les mots suivants : "Les prolétaires ne connaissent pas les races. A bas le racisme fasciste". A partir de juin 1941, Jean Laffitte assigne aux responsables communistes parisiens une tâche nouvelle, la propagande pour la constitution du Front national de lutte pour l'indépendance de la France. Raymond Losserand organise ainsi, le 10 août, une manifestation rue du Commerce, dans le XVe arrondissement. Le succès est très relatif : vers 10 heures, quelques dizaines de personnes se rassemblent derrière des drapeaux tricolores au cri de "Vive la France indépendante". Selon la police, les militants distribuèrent, en même temps que des feuilles pro-soviétiques (L'URSS vaincraLe Discours de Staline), un texte intitulé Le Front national. Malgré un lancement de tracts effectué dans un autre quartier pour faire diversion, les forces de l'ordre arrêtèrent deux personnes. A la même époque (fin juillet, selon Rol-Tanguy), Raymond Losserand est sollicité par Eugène Hénaff pour créer en région parisienne le TP ("Travail particulier"), c'est-à-dire les premiers groupes armés du PCF. Le parti lui adjoint deux collaborateurs, Henri Tanguy et Gaston Carré. 

Ce dernier est né le 7 novembre 1905 à Vézelay, dans l'Yonne. Le 12 mars 1929, il se marie avec Yvonne Calmels à la mairie du XXe arrondissement. Comme Raymond Losserand, il adhère au parti communiste en 1934. Il est alors plombier dans une entreprise du bâtiment et habite Aubervilliers. En 1936, il siège au comité de la région Paris-Nord du parti. Comme Henri Tanguy, il abandonne ses responsabilités politiques pour s'engager dans les Brigades internationales, le 19 octobre suivant. Ancien chef de pièce d'artillerie pendant la guerre du Rif, en 1926-1927, Gaston Carré est nommé chef de batterie, puis commandant du groupe d'artillerie Anna Pauker en 1937. Il s'illustre notamment lors de la Bataille de Teruel (décembre 1937-janvier 1938). Il a sous ses ordres plusieurs futurs FTP parisiens comme Louis Champion et Joseph Epstein. Il retourne en France, après 21 mois de combats, avec le grade de capitaine. Après la défaite de l'été 1940, il semble entrer rapidement en résistance. Tueur aux abattoirs de La Villette, il est encore légal lorsqu'il est affecté au triangle de direction du Travail Particulier de la région parisienne. Les charpentes métalliques d'un des bâtiments de La Villette servent d'ailleurs un moment à cacher des pistolets. En théorie, Gaston Carré ("Jean-Pierre") et Henri Tanguy ("Imbert") sont chargés des questions militaires (organisation des groupes de combat, recherche d'armes, etc.) tandis que Raymond Losserand, devenu "Bertrand", s'occupe du recrutement. En réalité, au début, les responsabilités ne sont pas aussi tranchées. En effet, à l'été 1941, la lutte armée est encore balbutiante. Les combattants sont peu nombreux et leurs actions se soldent souvent par des échecs. Les trois hommes s'attachent donc d'abord à trouver des volontaires et à élever le niveau des opérations. Ils recrutent essentiellement parmi les militants communistes des comités populaires et les anciens des Brigades internationales. Ils organisent aussi de nombreuses actions : déraillements de trains, sabotages d'usines… A partir d'octobre, le PCF décide l'unification des groupes armés du parti, des JC et de la MOI dans une organisation unique et cloisonnée, l'Organisation spéciale (OS). En région parisienne, cette tâche est confiée au trio Tanguy/Losserand/Carré. La structuration de l'OS s'avère lente et difficile. La répression policière, particulièrement efficace, décime régulièrement les rangs communistes et désorganise les liaisons. Elle atteint son apogée, en février 1942, avec l'arrestation de nombreux dirigeants nationaux : Félix Cadras, Arthur Dallidet, Danielle Casanova, etc.
En mai, la direction parisienne de l'OS tombe à son tour lors d'un vaste coup de filet orchestré par la brigade spéciale. A l'origine de cette opération, l'arrestation, le 10 février 1942, d'un des principaux responsables de l'OS, Yves Kermen. Lors de son interpellation, une jeune femme, avec qui il était en rendez-vous, réussit à prendre la fuite. Il s'agit de France Bloch-Sérazin. Les inspecteurs retrouvent sa trace le 28 mars et la prennent en filature. Ils découvrent ainsi "que la femme Sérazin entretenait des relations avec des militants communistes et plus particulièrement avec des membres de l'OS. Employée comme chimiste dans un laboratoire de recherches, elle a été vue à plusieurs reprises remettant à des éléments terroristes des flacons et matières servant à la fabrication d'explosifs". Effectivement, France Bloch est en liaison avec Madeleine Besseyre, dont le mari, un ancien de la guerre d'Espagne, est le responsable à l'armement de l'OS parisienne. Elle livre aussi des produits chimiques à Henri Douillot ("Dumas"), l'un des artificiers de l'organisation. Celui-ci, ancien conseiller municipal de Bondy, avait été interné à la citadelle de Sisteron en 1940. Il y avait fait la connaissance de Frédéric Sérazin, le mari de France Bloch. Tous deux s'étaient évadés en mars 1941. Contrairement à son comparse, repris peu après, Henri Douillot a pu échapper à la police et rejoindre les rangs de l'OS à Paris, en septembre 1941.
En quelques semaines seulement, les filatures des différents contacts de France Bloch permet aux Renseignements généraux de repérer une grande partie des combattants parisiens. Ils décident donc, à la mi-mai de commencer les arrestations. Le 14, Madeleine et Mary Besseyre sont arrêtés. Le 16, G. Carré, R. Losserand et leurs épouses tombent à leur tour ainsi que F. Bloch-Sérazin, I. Appéré, H. Douillot, Pierre Janaud, chargé du service de santé, Paul Thierret qui, en liaison avec Henri Tanguy "exerçait une activité considérable en faveur du recrutement d'une armée populaire", etc. L'opération se poursuit dans les jours qui suivent. Au total, 71 arrestations et la découverte de plusieurs dépôts d'armes. Henri Tanguy est le seul dirigeant à en réchapper. Pourtant, la police l'avait "logé", lui aussi, mais, prévenu à temps par sa concierge, il évite la souricière tendue à son domicile par la police. Coupé de l'organisation pendant près de deux semaines, il ne reprend sa place qu'à la fin du mois. A ses côtés, Raymond Colin et Roger Linet prennent la succession de Gaston Carré et Raymond Losserand.

Ces derniers sont d'abord incarcérés avec leurs camarades au Dépôt (Palais de Justice de Paris). Les interrogatoires sont particulièrement violents. Paul Thierret perd un oeil sous les coups de matraque. La police cherche en particulier à connaître l'identité d'un individu au blouson blanc, soupçonné d'être "l'un des chefs de l'organisation centrale terroriste". Il s'agit d'Henri Tanguy. Prévenu par l'avocat de Gaston Carré, celui-ci déjoue encore les recherches policières pendant plusieurs semaines avant d'être muté, en septembre 1942, à la tête des FTP de l'interrégion Anjou-Poitou. Les tortures ne semblent pas entamer la combativité de son compagnon de combat. En témoigne cet extrait d'un rapport des Renseignements généraux de juin 1942 : "Dans une autre lettre émanant d'un nommé Carré, Gaston, actuellement détenu au dépôt pour action terroriste, et qu'il essayait de faire parvenir à son beau-frère, l'auteur indique son désir de recouvrer sa liberté pour se venger des policiers de la brigade spéciale […]". A la mi-juin, les prévenus sont transférés à la prison de la Santé et confiés à la Gestapo. Raymond Losserand aurait subi, au total, 54 interrogatoires. Il est jugé avec Gaston Carré, et 22 autres camarades à l'hôtel Continental, à partir du 16 septembre. 19 d'entre eux, parmi lesquels les deux dirigeants de l'OS, sont condamnés à mort le 30 septembre. France Bloch exceptée, ils sont fusillés, le 21 octobre 1942, au stand de tir d'Issy-les-Moulineaux. 

L'annonce de leur exécution suscite rapidement des réactions. Dans la nuit du 10 au 11 décembre 1942, les plaques du square du Petit-Montrouge (XIVe arrondissement) sont recouvertes d'un papier bleu, portant une inscription tracée à la craie : "Rue Losserand, conseiller municipal assassiné par les Allemands". Dans les mois qui suivent, la propagande communiste, notamment France d'Abord, journal des FTPF, célèbre leur sacrifice à plusieurs reprises. En 1943 et 1944, un détachement Carré, puis une compagnie Losserand voient le jour chez les Francs-Tireurs parisiens. A l'été 1944, leur état-major lance la "promotion Losserand-Carré", campagne de recrutement de nouveaux combattants en vue de l'insurrection. L'hommage se poursuit après-guerre. La rue de Vanves, dans le XIVe arrondissement, devient la rue "Raymond Losserand". Le 10 octobre 1945, ce dernier reçoit le grade de commandant FFI à titre posthume et, deux ans plus tard, la Croix de guerre avec étoile d'argent. La même année, son compagnon d'armes est promu Chevalier de la Légion d'honneur.
En 1949, les éditions du PCF publient Raymond Losserand. Une vie ardente et généreuse. L'auteur, Gérard Mihlaud, avait été le responsable clandestin du Secours populaire dans le XIVe arrondissement. Marié à Marianne Bloch, la sœur de France Bloch-Sérazin, il avait dû fuir en zone sud après les arrestations du 16 mai 1942. Louisette Losserand fut envoyée à Auschwitz, puis Mauthausen. Elle survécut, mais Yvonne Carré, également déportée, trouva la mort en mars 1943. 


Axel Porin, in DVD-ROM La Résistance en Ile-de-France, AERI, 2004.