Appel à manifester le 11 novembre 1940

Légende :

Appel à manifester reproduit sur une feuille de cahier

Genre : Image

Type : Tract

Source : © BDIC, 4° delta 47 Res. Droits réservés

Détails techniques :

Taille réelle : 17 x 11 cm environ

Date document : Novembre 1940

Lieu : France - Ile-de-France - Paris - Paris

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Analyse média

Ce tract est, avec une allocution à la BBC de René Cassin, la seule trace qui reste des appels à manifester le 11 novembre 1940 devant les monuments aux morts de 14-18. Selon toute vraisemblance, leur diffusion s’est combinée à des initiatives totalement spontanées pour amener, à Paris, plusieurs milliers de lycéens et d’étudiants à se rendre à l’Etoile. Aux dires de plusieurs témoins, il a été rédigé collectivement au 5 place Saint-Michel, siège social de plusieurs associations estudiantines et du Centre d’entr’aide des étudiants mobilisés et prisonniers. Il a ensuite été ronéoté en plusieurs endroits : au Centre d’entr’aide, à la « corpo » de Droit et au sous-sol de la faculté de Droit, puis distribué et parfois recopié. L’ampleur de la manifestation parisienne ne doit pas faire oublier que des rassemblements et dépôts de gerbes ont aussi eu lieu à cette date en province, notamment en Bretagne (Brest, Nantes) et Normandie (Rouen, Caen).

L’exemplaire toujours reproduit de ce tract porte le cachet « Bibliothèque-musée de la guerre ». Devenue aujourd’hui la Bibliothèque de documentation internationale contemporaine, la BMG avait été créée en 1918 par le don à l’Etat d’une collection privée de 22000 documents sur la Grande guerre, réunis sur le moment même. Pendant la guerre 1939-45, ses locaux sont partagés entre Vincennes et la rue du Bac où se trouve sa salle de lecture. La même méthode est utilisée qu’en 14-18 : toutes sortes de documents sont discrètement collectés et conservés pour l’histoire, y compris des tracts clandestins. Ce tract aurait ainsi été trouvé par une bibliothécaire de la BMG en novembre 1940 dans l’escalier de la bibliothèque de l’Ecole de Médecine.


Bruno Leroux, Traces de Résistance, Fondation de la Résistance, 2011

Bibliographie et sources : Alain Monchablon, « La manifestation étudiante à l’Etoile du 11 novembre 1940 : histoire et mémoires », Vingtième siècle, n° 110, avril-juin 2011 ; J . Sainclivier, « Les débuts de la Résistance en zone occupée » in J.-M. Guillon et P Laborie (dir), Mémoire et histoire : la Résistance, Privat, 1995, p. 166 (le 11 novembre 1940 en province); AN 72 AJ 78 dossier 1, pièce 12 (sur la découverte du tract conservé à la BDIC).

Contexte historique

Courant juillet 1940, une résistance individuelle ou, parfois plus collective à l'ordre nouveau sourd à l'Université. Le 30 octobre, la situation se tend après l'arrestation du professeur Langevin. François Lescure et Roger Morais, dirigeants respectifs de l'Union nationale des étudiants et du Centre d'entraide aux étudiants mobilisés et prisonniers, imaginent de canaliser l'émotion grandissante en un mouvement susceptible de lui donner corps. Des monômes s'organisent au Quartier latin. Le 8 novembre, un rassemblement se forme, malgré une stricte interdiction et d'importantes forces de l'ordre. Des mots d'ordre invitent à se rendre au rond-point des Champs-Elysées, trois jours plus tard, pour fleurir la statue de Clemenceau puis gagner l'Arc de Triomphe, à 16 heures. Des directives similaires émanant d'origines diverses circulent de bouche à oreille dans les lycées et les facultés. Sans que rien ne les coordonne. Souvent dans l'ignorance les unes des autres. Le chiffre 11 fleurit sur les murs du quartier latin, soit ELF en allemand "Es Liebe Frankreich". Toute la journée du 11 novembre, des parisiens viennent déposer des bouquets La préfecture de police en recense quelque 750 au pied de la statue de Clemenceau, la journée durant, et 5600 personnes place de l'Etoile. Des lycéens et étudiants venus du quartier latin portent, pour certains, deux cannes à pêche, "deux gaules" et les cocardes sont légions. Soit une juxtaposition de gestes spontanés plus qu'un cortège aux formes canoniques. Les rapports relatifs aux quelque mille interpellations opérées par la police française permettent de préciser la sociologie des manifestants : 917 hommes et 122 femmes, 545 lycéens ou collégiens, 299 étudiants, 57 écoliers, 138 salariés (dont de nombreux professeurs et instituteurs). Une moyenne d'age de 18 ans.

Les étudiants et lycéens, majoritaires, sont mieux rodés aux monômes qu'aux manifestations de rue, de surcroît interdites. Ils tournent autour du rond-point cerné par la police aux accents de La Marseillaise et aux cris de "Vive de Gaulle", "Vive Churchill". Quelques heurts les opposent à de petits groupes adverses mobilisés par Jeune Front ou la Garde française. L'arrivée de renforts allemands confère brusquement à la manifestation un tour d'autant plus dramatique qu'aucun cadre de protection n'a été prévu. Le bilan officiel fait état de 123 arrestations et de 3 blessés légers. La presse estudiantine clandestine et Radio-Londres évoquent des morts. Le lendemain, le boulevard Saint-Michel est interdit à la circulation et les institutions universitaires fermées sur directive des autorités allemandes. La presse légale tait l'événement cinq jours durant.

Cette manifestation conforme aux directives générales énoncées par radio-Londres et qui doit beaucoup aux étudiants communistes n'a été initiée ni par la France combattante ni par la direction clandestine du PCF. De jeunes étudiants s'expriment au nom de valeurs communes à partir d'initiatives propres qui convergent et se cristallisent. La manifestation n'entretient, du reste, aucun lien organique avec les rares manifestations (de très faible ampleur) attestées, ce jour, dans d'autres villes. Fait d'exception propre à catalyser les refus, elle va s'imposer au nombre des mythes fondateurs de la Résistance.


Danielle Tartakowsy, "La manifestation du 11 novembre 1940" in DVD-ROM La Résistance en Ile-de-France, AERI, 2004