Affiche antisémite de l'Institut d'Etude des Questions juives détournée en affiche anti-allemande par des graffiti gaullistes

Genre : Image

Type : Photographie

Source : © La Contemporaine (ex BDIC) Droits réservés

Détails techniques :

Photographie analogique en noir et blanc

Date document : 1941

Lieu : France - Ile-de-France - Paris - Paris

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Analyse média

Cette affiche de l’Institut d'Etude des Questions juives, officine créée en mai 1941 à Paris avec le soutien des Allemands, utilise le procédé de l’animalisation du Juif, habituel dans la propagande antisémite depuis la fin du XIXe siècle

Ici, c’est le Juif-vautour dépeçant la France. Aucune légende ne vient expliquer le rapprochement effectué, mais l’accentuation de la forme du bec du vautour est un indice suffisant. Elle coïncide d’ailleurs parfaitement avec les théories de l’anthropologue français d’origine suisse, Georges Montandon, dans sa brochure racialiste de novembre 1940, Comment reconnaître le Juif ? Selon celles-ci le « type juifu » (sic) se caractérise entre autres par un « nez fortement convexe » qu’il qualifie de « profil en bec de vautour ». La figuration de la France meurtrie se veut dans la continuité de l’imagerie républicaine (une femme revêtue du drapeau aux trois couleurs), moins le bonnet phrygien, cependant.

L’affiche est surchargée de l’inscription « vive de Gaulle » et de graffiti qui la redoublent symboliquement: ils associent la Croix de Lorraine, emblème de la France Libre depuis l’été 1940 (et qui est apparue sur les murs de la métropole depuis l’automne 1940), et le V. Ce V a fait l'objet d’une campagne européenne de la BBC depuis mars 1941 avec souvent la simple connotation « V comme victoire » (anglaise). Mais il prend en France, dès qu’il est associé à la croix de Lorraine, une connotation plus précise: celle d’un choix politique en faveur des dissidents de la France libre face au gouvernement légal de Vichy, partisan de la collaboration avec l'Allemagne nazie.

On notera qu’ici l’affiche est surchargée de façon à en retourner le sens global : la mention « Institut d’Etude des Questions juives » étant rayée, le texte qui reste c’est : « Français au secours ». Or, il est assorti d’excroissances en forme de V et Croix de Lorraine qui, associés au « Vive de Gaulle », font implicitement du chef de la France libre le seul sauveur capable de répondre à cet appel au secours. Du coup, le dessin qui surmonte ces inscriptions prend une toute autre connotation, extrêmement familière aux Français de cet époque : l’oiseau enserrant la France et barré par trois grands graffiti évoque irrésistiblement non pas le « vautour juif » mais l’aigle impérial allemand.

Reste à élucider l’origine de la photographie elle-même, qui paraît avoir été destinée aux services de propagande Français libres ou britanniques.


Auteur : Bruno Leroux

Sources : Claudine Sagaert, « L'utilisation des préjuges esthétiques comme redoutable outil de stigmatisation du juif. La question de l'apparence dans les écrits antisémites du XIXe siècle à la première moitié du XXe siècle », Revue d'anthropologie des connaissances, 2013/4 (Vol. 7, n° 4), p. 971-992. Disponible sur le site Cairn.info