Attentat du métro Barbès

Légende :

Extrait du rapport journalier de la Préfecture de Police

Genre : Image

Type : Rapport de police

Source : © Archives nationales Droits réservés

Détails techniques :

Rapport dactylographié

Date document : 21 août 1941

Lieu : France - Ile-de-France - Paris - Paris

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Contexte historique

Début août 1941, la lutte armée change de visage. Il est très probable que ce soit par Danielle Casanova, secrétaire des Jeunes Filles de France et membre du comité exécutif de l'Internationale communiste de la Jeunesse, que les nouvelles directives du Komintern parviennent aux JC parisiennes. Il s'agit désormais d'abattre des officiers allemands. Assumant la direction politique pour les JC de plusieurs arrondissements de Paris, Odile Arrighi se charge de faire passer la consigne aux responsables sur le terrain par l'intermédiaire de Georges Ghertmann, alors secrétaire des JC du Xe. Ce dernier, qui a fait la campagne de mai-juin 1940 au sein du 21e régiment de marche des volontaires étrangers, formé à Barcarès, a connu le baptême du feu dans les Ardennes. Il semble à Odile avoir l'ascendance et l'expérience nécessaires pour préparer les combattants. Ainsi Ghertmann demande-t-il à Gilbert Brustlein de faire des marches dans la forêt et de s'exercer à poignarder des officiers allemands avec des bâtons. Ces consignes suscitent une réprobation quasi-unanime de la part des futurs combattants, qui savent que la direction du PC a toujours condamné les attentats individuels... Tentatives avortées, hésitations et reculades se succèdent.
Sous la houlette d'Albert Ouzoulias ("Marc") - à qui, depuis le 2 août, a été confiée la direction politique des Bataillons de la jeunesse -, et de son adjoint, Pierre Georges ("Frédo", devenu colonel "Fabien"), une vingtaine de jeunes des groupes armés suivent, vers le 15 août, un stage d'entraînement de trois jours dans la forêt de Lardy (actuellement dans l'Essonne). "Marc" et "Frédo" cherchent à convaincre les jeunes de franchir le pas. Gilbert Brustlein ("Benjamin") tente bien d'abattre un officier, gare de Lyon, mais au dernier nomment, ses camarades (Fernand Zalkinow, Acher Semahya et Tony Bloncourt) l'en empêchent. " "Frédo" n'était pas tellement content de nous ; "Bon sang, je vais vous montrer comment il faut faire" nous dit-il " raconte Gilbert Brustlein. L'exécution de son ami, Szmul (ou Samuel) Tyszelman, fusillé avec Henri Gautherot le 19 août après avoir été arrêté à la manifestation du 13 août, donne un motif supplémentaire à "Frédo" de montrer l'exemple.

Le 21 août, Frédo a donné rendez vous à Robert Gueusquin ("Bob") et à Gilbert Brustlein à huit heures du matin au métro Barbès-Rochechouart, sur le quai en direction de la porte d'Orléans. Ces deux derniers reviennent, chacun de leur côté, d'une tentative nocturne de déraillement sur le réseau ferré qui va vers l'Est, à Nogent-le Perreux. L'alarme ayant été donnée, le groupe de Gilbert, commandé par "Bob", responsable de l'opération, avait cessé de déboulonner les éclisses et s'était replié. Gilbert Brustlein arrive au rendez-vous avec Fernand Zalkinow ("Benoît") qui porte le sac contenant les outils du déraillement. "Fabien" leur annonce qu'ils vont faire un coup à cet endroit. Brustlein doit assurer sa protection tandis que Gueusquin doit rester sur le quai et rendre compte de l'opération. Zalkinow, qui ne semble pas vouloir partir, s'éloigne à l'autre extrémité du quai. Une vingtaine de personnes attendent leur train pour se rendre sur leur lieu de travail. Il est 8h05. Dans son livre, Gilbert Brustlein rend compte, avec force détails, de cette opération : " Un allemand en uniforme bleu marine descend l'escalier et pénètre sur le quai, près de nous. "Tu vois, c'est lui qui va payer" me chuchote Fabien. Le poinçonneur ferme le portillon d'entrée car la rame entre en gare. Elle stoppe, et le wagon de première est devant nous. Les portières s'ouvrent. L'allemand pénètre dans le compartiment ; alors Fabien se précipite derrière lui et tend son 6.35. Deux coups de feu : pan, pan ! Je suis à côté de Fabien ; j'ai sorti mon arme pour le protéger. L'allemand tente de se retourner vers moi, chancelle et s'effondre. Fabien fait demi-tour et court en direction de l'escalier de sortie. Je le suis, tenant toujours mon 7.65 pointé en avant pour parer à toute tentative d'interception contre lui. Mais il n'y a aucune réaction sur le quai, et il range son arme dans sa poche [...] Arrivé presque en haut de l'escalier, Fabien crie : "Arrêtez-le". [..] alors voyant mon arme pointée, un courageux tente d'escalader la rampe pour me ceinturer. [...] Je l'esquive et je me précipite vers la grande porte battante par où Fabien s'est échappé. [...] Je le retrouve ; il m'a attendu dans le grand hall situé au niveau du terre-plein du boulevard Barbès. [...] nous sortons sans hâte [...] nous traversons le boulevard et nous empruntons la rue Bervic [...] puis nous entamons un pas de course en direction du square Willette. Personne ne nous poursuit, mais Fabien augmente l'allure de la course et prend quelques mètres d'avance sur moi [...] Il s'exclame : "Titi est vengé". "

Le poumon perforé par deux balles de 6.35, celui que "Frédo" prend pour un officier s'effondre à l'intérieur du wagon. Le sergent Gerecht, présent dans le wagon, allonge le corps de l'officier sur une banquette du quai et part prévenir la police. Quelques minutes pus tard, un car police-secours emporte le corps à l'Ortslazarett de l'hôpital Lariboisière : Alfons Moser, Feldpost n°01039 M.B, auxiliaire d'intendance (Hilfs-Assistent) affecté aux magasins généraux d'habillement de la Marine à Montrouge (Marine-Bekleidungsmagazin) vient de décéder d'une hémorragie interne.
En dépit de son élégant costume bleu à boutons dorés, du poignard qu'il arbore à la ceinture, et de sa haute caquette blanche, Alfons Moser n'était pas un officier. Tous juste venait-il d'être promu aspirant. Informée de l'attentat à 9h10, la Kommandantur dépêche sur place une équipe de quatre policiers du groupe GFP 610. Les premiers éléments de l'enquête apprennent que les deux coups ont été "vraisemblablement tirés d'une poche de veste, atteignant le dos. La distance du tir ne peut avoir été que très minime étant donné les traces de poudre à l'entrée de la plaie". La description des auteurs de l'attentat par quatre témoins français présents sur le quai, trop vague pour être utile, apprend néanmoins aux policiers allemands et français que les auteurs sont relativement jeunes. À midi , le groupe GFP 11, dirigé par le dr Momsenn, reprend le dossier. Il procède le soir même, à minuit, à une reconstitution de l'attentat avec le wagon qui avait été aussitôt scellé et parqué sur une voie de garage (mais seulement après avoir effectué son parcours jusqu'à la porte d'Orléans !). Très tôt, la police française penche pour un assassinat politique commis par des communistes. Elle suggère également à ses homologues allemands, dont certains parlent d'un crime crapuleux, un probable lien avec les rafles de Juifs qui ont eu lieu la veille dans le XIe, en représailles à la manifestation du 13 août au cours de laquelle de nombreux Juifs, parmi lesquels Tyzselman, ont été arrêtés. Cependant, la thèse de la vulgaire affaire de moeurs est reprise et amplifiée par le PC lui-même qui cherche à brouiller les pistes. Ainsi peut-on lire dans un tract du mois de septembre 1941: " L'officier prussien qui a été abattu à Barbès a subi la loi de sa Jungle. GANGSTER et NOCEUR - il a manqué de galanterie à l'égard d'une dame de bonne compagnie. La réponse du chevalier en titre de la dame fut : vengeance et mort. Ouvriers, travailleurs, intellectuels, petits commerçants de Paris, VOICI LA VÉRITÉ QUE LES PATRIOTES FRANÇAIS VOUS FONT CONNAÎTRE."

Mais les policiers allemands, à la suite de leurs collègues français, ne s'y trompent pas. Des mesures immédiates sont prises par les autorités allemandes et françaises. L'avis que fait paraître, le lendemain de l'attentat le commandant du Grand-Paris Ernst Schaumburg (le MBF Stülpnagel étant absent de France), suivi du décret du 23 août, amorce le système des otages. L'amiral de la Kriegsmarine exigeant au moins six exécutions immédiates comme mesure de représailles, le MBF, qui préfère mettre en avant le gouvernement français, accepte que celui-ci adopte, de façon rétroactive, un projet de loi instituant une juridiction spéciale contre les communistes. D'autre part, de vastes perquisitions dans les Xe, XIe et XVIIIe arrondissements débutent le 23 août au matin : 180 Feldgendarmes, 120 à 150 membres de la GFP et 600 policiers français sont déployés sur le terrain. Une brigade forte de 130 hommes est créée pour surveiller les lignes importantes de métro. En vain.
Quant à "Frédo", le lendemain de l'attentat, il a rendez-vous à midi avec Jacques d'Andurain, au restaurant du 7 rue Le Goff, entre la rue Gay-Lussac et la rue Soufflot. Sous la table, il lui rend le revolver que celui-ci lui avait prêté. "Il manque deux balles". Ce revolver Herstal, que Jacques avait subtilisé à sa mère, était le seul à avoir fonctionné sans s'enrayer lors de l'attentat du 14 août dernier à la manufacture des isolants d'Ivry-sur-Seine. Le sachant, "Frédo" était venu le trouver pour le lui emprunter. "De toute ma vie, ce sera mon seul dessous de table" commente Jacques dans ses souvenirs.

Il faut attendre l'arrestation du groupe de Gilbert Brustlein, à la fin du mois d'octobre 1941, pour que les polices française et allemande commencent à mettre un nom sur l'auteur présumé de l'attentat du métro Barbès. En effet, le 17 novembre 1941, lors d'un interrogatoire, Roger Hanlet affirme qu'au cours d'une discussion avec Acher Semahya et Tony Bloncourt, ceux-ci auraient dit que Brustlein était l'auteur de l'attentat de Barbès, en réponse à l'exécution de son camarade Tyszelman. Ce que confirment Christian Rizo et Fernand Zalkinow. Mais Brustlein s'est volatilisé. Cela n'empêche pas la préfecture de police de pavoiser. Dans son rapport intitulé Communisme et Terrorisme I (septembre-décembre 1941), elle s'enorgueillit d'avoir arrêté les "auteurs et complices de plusieurs sabotages et attentats, parmi lesquels les meurtriers de l'aspirant de marine Moser à Paris et du lieutenant-colonel Hotz à Nantes". Ce que conteste le commissaire Jessen de la GFP dans son rapport du 22 janvier 1942. Ce n'est qu'avec l'arrestation de Tony Bloncourt (5 janvier 1942), que le Sonderkommando fur Kapitalverbrechen und Sabotage, le service chargé des enquêtes sur les attentats contre les membres des forces d'Occupation, obtient la certitude de la participation de Brustlein à l'attentat de Barbès, soit comme auteur, soit comme complice. En effet, les déclarations de Tony concordant en tout point avec les élément de l'enquête, ils en concluent que les précisions qu'il donne - en l'occurrence que Brustlein a tiré sur Moser par la porte du métro -, n'ont pu lui être données que par l'auteur du coup ou une personne qui était sur les lieux.
Le véritable nom du tireur ne sera connu qu'avec l'arrestation de Frédo, le 30 novembre 1942, au métro République. Dans son interrogatoire du même jour, il déclare aux policiers français : "Au lendemain de l'exécution de Gautherau (sic) par les autorités allemandes, j'ai réalisé de ma propre initiative un attentat contre un aspirant de marine allemande. C'est moi qui ai tiré. J'étais accompagné par Brustlein. Cette affaire a eu lieu au métro Barbès-Rochechouart, le 21 août 1941".

Si la valeur militaire de l'attentat du métro Barbès-Rochechouart est quasi-inexistante, en revanche sa portée symbolique et sa valeur d'exemple pour les membres des Bataillons de la Jeunesse sont très fortes : c'est l'indiscutable signal de la lutte armée. Le soir-même du 21 août, quelques membres du groupe de Brustlein se rendent à la station de métro Bastille, dans l'espoir de réitérer l'exploit du matin.


Boris Dänzer-Kantof, "Attentat du métro Barbès-Rochechouart (21 août 1941)" in DVD-ROM La Résistance en Ile-de-France, AERI, 2004.

Sources et bibliographie : 

Archives, AJ 40 871, dos.2, pièces 211 à 213, 219 et 220 ; AJ 40 887, dos. 3 ; BB18 3384, dos. 7078-A-41.
Bundesarchives MA, RW35/539 dossier " Anschlag auf Mar. Ass. Moser in Paris am 21.8.1941 " ; BA MA, RW35/548.
Archives Andrée Georges, Interrogatoire de Pierre Georges par les Brigades spéciales, procès-verbal du 30 novembre 1942.
Témoignage de Georges Ghertmann.
Jean-Marc Berlière, Franck Liaigre, Le sang des communistes, Paris, Fayard, 2004.
Gilbert Brustlein (interview), "J'étais avec Fabien" in L'Humanité Dimanche, 3e année, n°99, 20 août 1950.
Gilbert Brustlein, Le chant d'amour d'un terroriste à la retraite, édité à compte d'auteur, 1989.
Claudine Cardon, Politique des otages et déportation à Auschwitz, Thèse de doctorat d'Histoire sous la direction de Claude Willard et François Bédarida, Université Paris 8, 2 volumes
Albert Ouzoulias, Les Bataillons de la jeunesse, Paris, Editions sociales, 1967.
Hervé Villeré, L'affaire de la Section spéciale, Paris, Fayard, 1973.