Missak Manouchian

Légende :

Missak Manouchian, chef militaire des FTP-MOI de la région parisienne, fusillé le 21 février 1944 au Mont Valérien.

Genre : Image

Type : Carte postale

Source : © Musée de la Résistance nationale, Champigny-sur-Marne Droits réservés

Détails techniques :

Carte postale en noir et blanc

Date document : 1944

Lieu : France - Ile-de-France

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Contexte historique

Né le 1er septembre 1906 au sein d'une famille paysanne arménienne dans le village turc d'Adyaman, Missak Manouchian a vécu son enfance dans le souvenir du massacre de 200.000 Arméniens entre 1894 et 1896. En 1915, ses parents font partie du million et demi d'Arméniens qui disparaissent dans le génocide perpétré par les autorités de l'Empire ottoman, son père mourant assassiné et sa mère de maladie dans une situation de famine. Hébergé dans une famille kurde, il est ensuite élevé avec son frère dans un orphelinat chrétien de Syrie, avant de rejoindre Marseille en 1924. Il y apprend la menuiserie, vit au jour le jour, tout en fréquentant les universités ouvrières fondées par la CGT. Embauché comme ouvrier tourneur aux usines Citroën du quai de Javel à Paris, il fonde avec des amis deux revues littéraires successives, Tchank (" L'Effort ") et Machagouyt (" Culture "). Adhérent au Parti communiste français à partir de 1934, membre du groupe arménien, il est rédacteur en chef du journal Zangou, qui tire son nom d'un fleuve de la région d'Erevan. Participant au mouvement Amsterdam-Pleyel contre la guerre, il approche Henri Barbusse et Romain Rolland. En tant que membre de l'Association des écrivains communistes, Manouchian correspond en outre avec les poètes arméniens Avétik Issahakian et Archag Tchobanian. Il siège à la direction d'un Comité de secours à l'Arménie fondé par le docteur Haïc Kaldjian et dissous en 1937. En 1938-1939, Manouchian entreprend une tournée des groupes de la diaspora arménienne implantés en France. Il est alors secrétaire de l'Union populaire arménienne qui tente de rassembler les Arméniens proches de l'expérience du Front populaire. A la déclaration de guerre de septembre 1939, Missak Manouchian est interné comme communiste étranger dans un camp, puis incorporé. Rentré à Paris en 1940, il poursuit son activité militante. Arrêté en juin 1941 lors d'une grande rafle préventive ordonnée par les Allemands à la veille de l'invasion allemande de l'URSS, il séjourne quelques semaines au camp de Royallieu près de Compiègne d'où il est libéré, faute de charges suffisantes.
Nommé responsable de la section arménienne de la MOI sous le pseudonyme de Georges, il est choisi pour intégrer les FTP-MOI en février 1943 et est affecté au premier détachement comme simple combattant, pourvu par la suite du matricule 10300. Premier Arménien versé dans les FTP-MOI parisiens, Missak Manouchian participe pour la première fois à une action armée à Levallois-Perret, le 17 mars 1943 à 8 heures, jetant une grenade sur un détachement allemand, qui circulait rue Rivay. D'après le rapport de police, l'attentat cause la mort d'un soldat et en blesse quinze autres. Deux civils français sont également blessés.

Boris Holban, dans des mémoires écrits à rebours de l'héroïsation construite par la veuve du résistant arménien, met l'accent sur la supposée imprudence de Missak Manouchian ; ce dernier, contrevenant aux ordres de sa direction, serait revenu sur place pour constater les dommages causés à l'ennemi : "Il me répliqua que les communistes sont des hommes libres de disposer de leur vie et de leur personne. Il m'avait convaincu : il ne pouvait pas être chef militaire d'un détachement. Je le lui ai dit, et je conseillais même de le remettre à la disposition de son groupe de langue". Cependant, dans ses mémoires, Adam Rayski signale les réticences de Missak Manouchian à engager de forts effectifs de combattants dans les actions armées au sein de la capitale. De même qu'Adam Rayski aurait soumis au début mai 1943 à sa direction un plan de transfert de l'essentiel des forces et de la direction des FTP-MOI en zone sud, "une démarche semblable a été faite en juin par Manouchian, je l'ai su de sa bouche au cours d'un rendez-vous à Brétigny-sur-Orge. Il estimait que les camarades arméniens seraient mieux protégés et plus utiles à Marseille et à Grenoble où vivaient d'importantes colonies d'Arméniens".

Il ne semble pas que l'obéissance de Missak Manouchian à l'appareil de direction des FTP-MOI ait été mis en cause puisque, le 5 juillet 1943, quand le Tchèque Alik Neuer, commissaire technique de la direction, est arrêté, Missak Manouchian le remplace. En août 1943, relevé par l'Italien Secondo de cette direction technique, Manouchian remplace Boris Holban au poste de commissaire militaire. Il accepte finalement la stratégie adoptée par Joseph Epstein, alias le colonel Gilles, chef des FTP de région parisienne, d'intensifier le combat en engageant davantage d'unités dans chaque action, soit de 15 à 20 hommes. Selon le témoignage d'Albert Ouzoulias, responsable national aux opérations des FTPF, "devant cette idée neuve, au début, des chefs de détachements, et même Manouchian et ses camarades de la MOI, attachés au "groupe de trois", levèrent les bras au ciel. Le comité militaire de la région parisienne lui-même était un peu effrayé par ces conceptions nouvelles de son commissaire aux opérations". Dans ses mémoires, Boris Holban confie son amertume de n'avoir été ni écouté au sujet des nouveaux choix stratégiques de la direction des FTP, ni consulté sur le choix de son successeur qui aurait été désigné sur la proposition de Joseph Dawidowicz commissaire politique et trésorier des FTP-MOI de la région parisienne. Moins de deux mois après sa nomination, Missak Manouchian est en tout cas repéré par la police.

Le 24 septembre 1943, entre 9 heures et 10 heures, en suivant Boczor, les policiers de la 2e Brigade spéciale repèrent en effet Missak Manouchian, sans connaître son activité de chef militaire des FTP-MOI. A la sortie de la gare de Bourg-la-Reine, les deux hommes se sont fixés rendez-vous. Le rapport, reproduit comme toute une série d'autres dans l'ouvrage Le sang de l'étranger, précise : "A pied, en passant par Montrouge, ils arrivent à la porte d'Orléans, ils échangent des papiers puis se séparent. Manoukian fait quelques emplettes dans le quartier, et à 12 heures 30 pénètre rue de Plaisance n°11. Il ne ressort pas de la soirée". Quatre jours plus tard, en suivant Manouchian lors de son rendez-vous, chaque mardi, avec Joseph Epstein, les policiers repèrent le chef des FTP de la région parisienne : "Le 28 septembre 1943. Manouchian sort de son domicile à 10 heures 30 et prend le métro à Alésia pour descendre à la gare du Nord ; son train étant vraisemblablement parti, il déjeune à la terrasse d'un café voisin de la gare ; à 12 heures 05, il prend le train et descend à 13 heures 10 à la gare de Mériel dans l'Oise. A la sortie de la gare, il rencontre un homme qui n'est autre que le nommé Estain Joseph, né le 16 octobre 1910 au Bouscat. Ils circulent ensemble, et, sur la route de L'Isle-Adam, ils pénètrent dans le café-restaurant Majestic, sis à cet endroit. Ils s'enfoncent dans les bois sous une pluie battante ; nous sommes, pour ne pas éveiller leur méfiance, obligés de cesser la surveillance". Renseignés à la faveur de la trahison de Joseph Dawidowicz, arrêté depuis le 26 octobre, les policiers resserrent leur filature. Le 5 novembre 1943, Manouchian est aperçu en compagnie d'Alfonso. Cinq jours plus tard, leur rapport décrit une nouvelle rencontre de Manouchian avec Joseph Epstein : "Manouchian sort de chez lui à 7 heures 15, prend le métro à Pernety et descend à la Gare-de-Lyon. Il prend le train à 8 heures 02 et descend à Brunoy à 8 heures 45. A la sortie de la gare, il retrouve Estain ; ils se rendent à Epinay-sous-Sénart, puis font demi-tour et se rendent dans un café situé devant la gare de Brunoy où ils demeurent 50 minutes. Ils se séparent à 11 heures 30, Manouchian prend le train en direction de Paris. […]"
Le chef militaire des FTP-MOI de la région parisienne semble dès lors habité par un funeste pressentiment, ainsi que le confie Cristina Boïco : "C'était en novembre, quelques jours avant son arrestation. Ce fut ma dernière rencontre avec lui. Près d'une gare. Je ne sais plus laquelle. Mais nous marchions dans des rues longues, où il y avait trop de monde. Je n'aimais pas ça. Lui-même avait le sentiment qu'il était encerclé, qu'il allait tomber. Je lui ai offert une planque, au cas où. Par mes contacts à la Sorbonne, je touchais un secteur qui n'avait rien à voir avec la MOI. Il a refusé, me disant qu'il n'avait pas de problème pour son logement. Je l'ai quitté très inquiète, en raison de sa propre inquiétude". Le 15 novembre, Missak Manouchian, dans un café parisien, aurait rencontré une dernière fois son épouse qui raconte dans ses mémoires : "Lorsque je suis arrivée, Manouche était déjà là. Nous sommes entrés dans le café et nous avons pris un verre au comptoir. De temps à autre, Manouche sortait et regardait dans la rue. Quelques instants plus tard, sont arrivés Henri Karayan, que je connaissais très bien, puis Olga Bancic que j'avais rencontrée deux fois et dont, comme je l'ai déjà dit, je ne connaissais que le nom de résistance : Pierrette. Tous trois se sont alors parlé tout bas, à l'oreille, puis Pierrette m'a remis un paquet de la grandeur d'une boîte de chaussures ; je l'ai glissé dans un sac que Manouche m'avait demandé d'apporter. Nous avons alors formé deux couples, Henri et moi d'un côté, Pierrette et Manouche de l'autre. C'était de leur côté que des choses importantes se disaient. Nous, nous avons parlé de tout et de rien, en attendant de nous séparer". Le lendemain mardi 16 novembre 1943, Missak Manouchian est suivi par le commissaire Gaston Barrachin et par quatre de ses inspecteurs, depuis son domicile jusqu'au train qu'il prend à la gare de Lyon en direction de Evry-Petit-Bourg. C'est là que Joseph Epstein lui a fixé un de leurs rendez-vous hebdomadaires. S'apercevant de la filature, les deux hommes n'ont pas le temps de se rejoindre et tentent de s'enfuir le long des berges de la Seine. Il est 10 heures du matin. Tandis que Joseph Epstein est ceinturé, Missak Manouchian est arrêté par deux inspecteurs. Il décide de ne pas se servir, après deux sommations, d'un pistolet 6,35 chargé, dissimulé dans la poche droite de son manteau. La chute de Marcel Rayman, d'Olga Bancic et de Joseph Svec, à 13 heures 30 le même jour, clôt une vague de 68 arrestations opérées par les hommes de la 2ème Brigade spéciale.

Arrêté le lendemain et emmené avec sa mère dans les locaux de la Préfecture de police de Paris, Simon Rayman raconte dans ses mémoires : "Le premier jour, personne ne s'adressait la parole. Dès que je suis entré dans cette salle 23, j'ai été frappé par la silhouette d'un homme de taille moyenne qui restait figé, des heures durant, devant la fenêtre couverte pourtant d'un papier bleu et opaque. Il se retournait de temps en temps, quand les policiers ramenaient un détenu après un interrogatoire. J'ai su par la suite que cet homme était Manouchian". Enfermé à la prison de Fresnes, Missak Manouchian écrit une dernière lettre à son épouse que cette dernière a reproduite dans la syntaxe et l'orthographe d'origine, permettant de mieux percevoir une voix : "Ma petite Mélinée, ma petite orpheline bien-aimée, Dans quelques heures je ne serai plus de ce monde. On va être fusillé cet après-midi à 15 heures. Cela m'arrive comme un accident dans ma vie, je n'y crois pas mais pourtant je sais que je ne te verrai plus jamais. Que puis-je t'écrire, tout est confus en moi et bien claire en même temps. Je m'étais engagé dans l'armée de la libération en soldat volontaire et je meurs à deux doigts de la victoire et du but. Bonheur ! à ceux qui vont nous survivre et goutter la douceur de la liberté et de la Paix de demain. J'en suis sûre que le peuple français et tous les combattants de la liberté sauront honorer notre mémoire dignement. Au moment de mourir, je proclame que je n'ai aucune haine contre le peuple allemand et contre qui que ce soit. Chacun aura ce qu'il méritera comme châtiment et comme récompense. Le peuple Allemand et tous les autres peuples vivront en paix et en fraternité après la guerre qui ne durera plus longtemps. Bonheur ! à tous !-… J'ai un regret profond de ne pas t'avoir rendue heureuse. J'aurais bien voulu avoir un enfant de toi comme tu le voulais toujours. Je te prie donc de te marier après la guerre sans faute et d'avoir un enfant pour mon bonheur et pour accomplir ma dernière volonté. Marie-toi avec quelqu'un qui puisse te rendre heureuse. […] je meurs en soldat régulier de l'Armée française de la Libération. […] Je pardonne à tous ceux qui m'ont fait du mal ou qui ont voulu me faire du mal sauf à celui qui nous a trahis pour racheter sa peau et ceux qui nous ont vendu. […]" Au cours des décennies qui suivent la Libération, cette dernière phrase a alimenté bien des polémiques sur les responsabilités présumées des dirigeants communistes, sinon de la police française, dans la chute de ce qu'il est convenu depuis d'appeler le groupe Manouchian.

Missak Manouchian est fusillé le 21 février 1944, au Mont Valérien, aux côtés de 21 autres combattants FTP-MOI. Son nom est accolé par la propagande allemande, telle qu'elle s'exprime sur l'affiche rouge éditée en février 1944, à une représentation de "chef de bande" auquel sont imputés "56 attentats, 150 morts, 600 blessés".  


Michel Laffitte in DVD-ROM La Résistance en Ile-de-France, AERI, 2004

Sources et bibliographie :
Archives de la Préfecture de Police, rapports hebdomadaires sur la répression des menées communistes (semaine du 16 au 22 mars  43).
Stéphane Courtois, Denis Peschanski, Adam Rayski, Le sang de l'étranger. Les immigrés de la MOI dans la Résistance, Fayard, Paris, 1989.
Boris Holban, Testament, Paris, Calmann-Lévy, 1989.
Henri Karayan, "Manouchian, un après-midi, un soir", propos recueillis par Jean Morawski, L'Humanité, 4 avril 2000.
Mélinée Manouchian, Manouchian, Paris, Les Editeurs français réunis, 1974.
Adam Rayski, Nos illusions perdues, Paris, Balland, 1985.
Gérard Bedrossian, "Manouchian, Arménien, résistant et poète" in Passages, N°4, mars 1988.