Plaque apposée sous un ponceau du chemin de fer à Livron

Légende :

évoquant le transfert des déportés du "train fantôme", le 20 août 1944

Genre : Image

Type : Plaque

Source : © Photo Jean Sauvageon Droits réservés

Date document : 2005

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Livron-sur-Drôme

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Contexte historique

Le "train fantôme" dans la vallée du Rhône.

Le train de déportés du 19 au 21 août 1944 cherche à rejoindre l'Allemagne. Après plusieurs changements de direction, il emprunte la vallée du Rhône. De nombreux déportés succombent lors du voyage.

Un convoi de 900 prisonniers, de 23 nationalités différentes, dont une centaine de femmes, capturés dans le Sud-Ouest, enfermés au camp du Vernet ou dans la prison Saint-Michel de Toulouse et livrés aux Allemands, est parti le 9 août 1944 de Bordeaux. 

En réalité, son périple commence le 3 juillet à Toulouse. 

Le train atteint Bordeaux le lendemain mais sera obligé deux fois, par les mitraillages et les bombardements, de faire demi-tour dans sa marche vers Angoulême et de revenir à Bordeaux où les déportés restent trois jours enfermés dans les wagons avec, dans le ventre, une tasse de vermicelle et une tranche de pain données par la Croix-Rouge.

On les fait sortir des wagons, dont on évacue les morts, pour les faire patienter du 12 juillet au 8 août dans la synagogue de la ville, transformée en prison.
Ce 8 août, ils reviennent à la gare et s'entassent dans les wagons à bestiaux. Pour une bonne part prélevés dans le camp du Vernet-d'Ariège, ce sont presque tous des "politiques", des résistants et des communistes français, des Espagnols républicains, des Italiens antifascistes. Dans ce train se trouvent cependant des Ardéchois, comme Raymond Champel, 19 ans. Résistant de la première heure dans le Nord de la Drôme, il distribuait tracts et journaux lorsqu'il est arrêté pour "menées communistes" le 11 novembre 1942. Il connaît ensuite les prisons de Valence, Grenoble et Montluc à Lyon avant d'être relâché. Il rejoint alors le maquis de Buis-les-Baronnies où il est arrêté le 17 décembre 1943. Ses nouvelles prisons d'accueil sont Montpellier et Toulouse, et c'est ce qui lui vaut d'être dans ce train. On y trouve également Jean Nodon, Ardéchois de 20 ans né à Saint-Michel-de-Chabrillanoux, arrêté à Valence en mai 1944 et dont on ignore les activités jusqu'à ce mois d'août.
Les déportés ont reçu des vivres distribués par les quakers, un pain et une boîte de sardines pour deux hommes, un pain d'épice pour sept.
Attaqué, stoppé, détourné, ce train a mis presque trois semaines, presque huit semaines si on se réfère au premier départ, pour atteindre son but, le camp de Dachau. Ses multiples pérégrinations lui ont valu le surnom de "train fantôme".

De Bordeaux le 9 août, le train part vers Toulouse, les Allemands ayant décidé de contourner le Massif central par le sud pour éviter les zones de combat du Sud-Ouest dont ils réservent les possibilités de passage à leurs troupes en repli. Par Carcassonne, Montpellier, Nîmes, Remoulins, le train, mitraillé par les avions alliés et confronté aux troupes débarquées en Provence le 15 août, parvient péniblement à Roquemaure le 18 août. 

C'est là que cinq hommes, dont le maquisard buxois Raymond Champel, s'évadent après avoir percé un trou dans le plancher du wagon et s'être laissés glisser entre les roues. Champel, dernier à quitter le wagon, a de la chance, il réussit, mais les paysans de la région trouvent le long de la voie trois cadavres affreusement mutilés.

Le pont sur le Rhône, bombardé, ne permet plus la traversée. Les Allemands obligent alors les déportés à une marche de 17 km à travers les vignes de Châteauneuf-du-Pape pour gagner la rive gauche du Rhône et remonter dans un nouveau train formé à Sorgues (Vaucluse).

Des cheminots et des paysans du pays obtiennent l'autorisation de ravitailler les détenus. Ils apportent du pain, des fruits, des tomates, des melons, des oeufs et surtout de l'eau, en énorme quantité pour apaiser la soif de tous ces malheureux. 

Le 19 août, le train entre dans la Drôme par le sud et arrive à Pierrelatte. Sous la chaleur estivale, confinés dans des wagons à bestiaux depuis dix jours, hommes et femmes sont épuisés.

En gare de Pierrelatte à 10 h 30, le train est attaqué à la bombe et à la mitrailleuse par des avions alliés, qui survolent le train à plusieurs reprises sur toute sa longueur, croyant sans doute à un train militaire allemand. Les soldats s'enfuient en courant, abandonnant leurs otages au mitraillage.

Des prisonniers brandissent en vain des drapeaux tricolores de fortune, constitués de vêtements des trois couleurs : ils ne sont pas vus des pilotes. Il y a des morts et des blessés parmi les détenus.

Jacob Insel, un résistant polonais de la MOI, ancien des Brigades internationales en Espagne, évadé du camp français du Vernet, commandant du groupe polonais des FTP, qui avait abattu un officier allemand, puis, arrêté, avait subi la torture, est touché par une balle explosive : il s'affale, le dos percé d'un grand trou. François Lafforgue, originaire de Sedan, agite le drapeau. Puis, il arrache à mains nues le barbelé qui obstrue la lucarne, grimpe à l'ouverture et saute sur la voie. Il va pour ouvrir la porte de l'extérieur lorsqu'il est abattu par les gardes allemands de retour.

Des soldats allemands de l'escorte sont allés chercher le docteur Gustave Jaume, médecin de Pierrelatte, et sa femme Hélène, infirmière, pour soigner les blessés. 

"Des corps presque nus, étendus sur le sol ; huit ou dix. Ces hommes, tous jeunes, dont le regard vers nous suppliait du secours. Sans regarder mon mari, je compris que lui, médecin, devant ce drame horrible, ne pouvait rien pour eux. Un beau garçon, la cuisse ouverte dont le sang coulait, un autre ses deux mains sur le ventre d'où s'échappaient ses boyaux. Un autre, les cheveux frisés, le visage très pâle, exprimait la mort et encore d'autres tout autant blessés. Seuls nos yeux affectueux pouvaient leur dire "espoir" sans trop y croire. Le wagon d'où ils sortaient était sale, leurs excréments étaient leurs sacs de couchage. J'ai essuyé avec des linges leurs visages dont la sueur et la puanteur s'échappaient".

Les Allemands ne parviennent pas à remettre en marche la locomotive dont la vapeur s'échappe par les trous de la mitraille. Ils en font venir une nouvelle de Montélimar. Puis ils remettent les morts et les blessés dans le train. Plusieurs meurent peu après, mais le train, reparti à 23 h, continue néanmoins sa route vers le nord. Sous un arbre, un Espagnol blessé, Raphaël Gimenez, a été oublié par les Allemands. Il est transporté au cabinet médical du docteur Jaume, puis à l'hôpital de Valréas sur une charrette couverte de foin. Grâce à ces soins, il survivra. En outre, un Italien antifasciste de 20 ans, Nunzio Titonel, réussit, bien que blessé, à s'évader à l'occasion de cet arrêt et est conduit à l'hôpital de Montélimar par un paysan.

Le capitaine Dufour ("Paris"), commandant la 10ème compagnie du 4ème bataillon, est informé par la population de la présence de ce train de déportés en gare de Pierrelatte. Il juge impensable d'entreprendre une action directe immédiate, d'autant que tous les on-dit qui circulent l'obligent à vérifier l'information. Il décide de faire une reconnaissance armée vers la gare de Montélimar. Mais le groupe qui la compose est accroché dans la nuit par les Allemands. Dans le même temps, le commandant Laurent du 1er régiment envoie un message radio, demandant à l'aviation alliée d'intervenir pour détruire la voie ferrée au nord de Montélimar. 

De Pierrelatte, le docteur Jaume téléphone à la présidente de la Croix-Rouge de Montélimar, Mme Valette-Viallard, pour la prévenir de l'arrivée de ces blessés. 

Celle-ci se trouve sur le quai, encadrée de deux officiers allemands et de Richter (Reichert), le chef de la Gestapo de la ville, lorsque le train stoppe au matin du 20 août en gare de Montélimar. Depuis plusieurs jours, les forces alliées chassent devant elles les Allemands du Sud de la France. Le soir même, les Américains vont pousser jusqu'à Die. 

Des troupes de la Résistance ont été retirées de la vallée du Rhône et envoyées vers Sisteron. Ce desserrement va permettre au train fantôme de passer. 

Sept des blessés sont morts et les Allemands demandent à Madame Valette-Viallard d'enlever les cadavres.

"Je veux bien prendre les morts, mais alors je veux aussi les blessés, exige-t-elle. - Non, les morts seulement, et c'est un ordre. - Alors je refuse". Mme Valette-Viallard tient bon. Les morts sont tirés des wagons et enterrés.

Ce sont les Suisses Maurice Pugin, 22 ans, Henri Barrès, 43 ans, les Polonais Jacob Insel, 35 ans, et Jean Unserky et les Français François Lafforgue, 21 ans, et Robert Dardillac, le septième, un autre Suisse, Léon Dantin. Ces hommes, déportés grâce à la collaboration de l'État français, mais tués par des balles alliées, auront droit lors de leurs obsèques au salut fasciste de la Milice montilienne.

Tous les blessés sont transportés à l'hôpital et à la clinique Kuss. Ils sont ensuite cachés et soignés par Mme Valette-Viallard et ses collaboratrices dans sa propriété. Pour écarter les recherches, elle fait courir le bruit qu'il y avait des cas de typhoïde (ou de typhus), mais, compte tenu de la progression rapide des Alliés, les Allemands ne vinrent jamais les récupérer.

Le désordre dans la gare et le découragement des Allemands qui ont perdu toute illusion facilitent les évasions : Jean Auter, un Héraultais de 19 ans, Christian de Roque-Maurel,  d'Oloron-Sainte-Marie, 24 ans, un des fondateurs du fameux maquis Bir-Hakeim en Languedoc-Cévennes, Damien Nardonne, de Sète, 19 ans, Jacques Silberfeld, Français de 29 ans né aux Pays-Bas, Damien Macone, lui aussi de Sète, 20 ans, dénoncé et torturé, et Jean Pioch, de l'Hérault, 20 ans, sont arrivés, à la faveur des désordres, à introduire une barre de fer dans leur wagon : ils s'en servent pour s'attaquer au plancher. Une planche est retirée, une seconde dégage un trou suffisant. Le train roule lentement, Roque-Maurel se laisse tomber le premier sur le ballast dont les pierres lui meurtrissent les genoux et la poitrine. Fuyant la voie très surveillée, il tombe dans un ruisseau. Derrière lui se jettent Silberfeld et Toussaint (?). Les suivants sont malchanceux : Robert (?), qui a voulu sauter par la fenêtre, se tue, et Revel (?) a les jambes broyées par les roues du train. Damien Macone s'en tire sans mal.

À Savasse, au lieu-dit L'Homme-d'Armes, un commando de la 11ème compagnie, dirigé par le commandant anglais Jack Pall, s'avance à nouveau vers la voie ferrée. Mais les quatre groupes de douze hommes, seulement munis d'armes légères, se sentent trop faibles devant le nombre et l'armement des troupes ennemies et doivent renoncer.

Le convoi stoppe à Loriol : le viaduc SNCF enjambant la rivière Drôme étant lui aussi inutilisable, les déportés doivent traverser à pied la rivière presque à sec. Ils se dirigent en colonne par quatre vers le nord, vers Livron, encadrés par les Feldgendarmes.
Les sentinelles demandent une corvée pour transborder les bagages des Allemands entassés au bord de la Drôme. Au cinquième voyage survient une alerte aérienne. Les sentinelles s'abritent. À dix mètres stationne un paysan avec sa remorque. Deux des déportés de corvée, Jacques Delannoy, un Lillois de 24 ans, et Roger Dureuil, Dijonnais du même âge, (et dix autres, selon certains témoignages) accompagnés par leur sentinelle, en profitent pour disparaître et rejoindre le maquis.
Les restants montent à Livron dans un nouveau train, jusque là caché sous des branchages, qui redémarre à 15 h 55 alors qu'au même moment les Américains descendaient le long de la vallée de la Drôme.
Mais il doit à nouveau s'immobiliser à Valence où il faut prévoir des mesures de sécurité. Le capitaine Boetzer propose de garer le train dans le tunnel. De la fenêtre du bureau du chef de gare, une femme montre aux détenus des wagons un carton sur lequel elle a écrit : "Paris est encerclé, ayez du courage".
Les déportés reçoivent une distribution d'eau par la Croix-Rouge et quelques volontaires du convoi, dont un Valentinois qui demande discrètement à une jeune fille de la Croix-Rouge d'aller au 117 rue de Châteauvert pour qu'une action soit entreprise par la Résistance. Mais la jeune fille ne se rendra à l'adresse indiquée que le lendemain !
À 17 h, le capitaine allemand rend compte : le convoi de terroristes est arrivé avec 110 hommes d'escorte. Cela n'empêche pas que de nouvelles évasions se produisent : un cheminot aurait fait fuir onze détenus déguisés, malgré leurs haillons, en ouvriers de la voie. Vingt-cinq hommes seraient descendus du train et partis sans être inquiétés. On ne connaît que sept d'entre eux : les Espagnols José Arzelai, Manuel Ivrania, Manuel Navaro, Hugo Paradella, Eugenio Sanchez et Grégoire Villellas, avec Maurice Lafosse, de la Gironde. D'autres font des tentatives infructueuses, tels les deux Girondins Philippe Toureille, qui n'ose passer devant un gardien français en uniforme, et René Lafond, dénoncé par des collaborationnistes zélés et sorti à coups de bottes des toilettes où il s'était caché.
Le lendemain 21 août, un nouveau transbordement est nécessaire à Pont-de-l'Isère. À Saint-Rambert-d'Albon, personne dans la gare : le chef et tout son personnel ont rejoint le maquis la veille.
Entassés à 70 par wagon, les déportés sont accablés par la chaleur et le manque d'air qui les obligent à se mettre nus, et souffrent de l'absence de ravitaillement, surtout d'eau. Profitant des circonstances et de la lenteur du voyage, tout au long du parcours, au moins 62 hommes ont réussi à s'évader, parmi lesquels onze dans la Drôme. Certains l'ont fait en enlevant des planches et en sautant du wagon, d'autres en profitant des arrêts.
Le convoi passera ensuite à Lyon, Dijon, Langres, Toul avant d'entrer en Allemagne à Sarrebrück. 53 jours pour traverser la France !
En pleine bataille de la Libération, et bien que remplacé plusieurs fois ou dévié sur des lignes secondaires, le convoi, guidé par les préfets, les services de la SNCF et la police française, parviendra pourtant à Dachau le 28 août après de multiples péripéties. Exceptionnellement, les nazis, pas assurés de pouvoir emmener les femmes à Ravensbrück, les immatriculent. Le surlendemain, elles seront cependant transférées dans le KL qui leur est réservé. Les hommes sont envoyés dans d'autres camps, les plus nombreux à Mauthausen. Jean Nodon n'a pas réussi à s'évader durant le trajet, mais il a survécu au camp de Dachau. Il pesait 32 kilos à sa libération. Il a vu des prisonniers tellement affamés qu'ils mangeaient les cuisses des prisonniers morts, tellement désespérés qu'ils se suicidaient en se jetant contre les grillages électriques qui entouraient le camp. Il sera affecté à différents Kommandos de Dachau, Allach, Augsburg-Pfersee (Messerschmitt), Kaufering-Landsberg (base aérienne) où il sera libéré.


Auteurs : Alain Coustaury et Robert Serre
Sources DVD-Rom La Résistance dans la Drôme et le Vercors, édition AERI-AERD, 2007.