Almanach des Lettres françaises publié par le CNE

Légende :

Ouvrage paru sous la direction de George Adam et publié par le Comité national des écrivains en mars 1944. Les rédacteurs en furent : Aragon, Eluard, Mauriac, Blanzat, Fernand Loris, Jacques Debû-Bridel, Colette Duval, Jean Lescure, Jean Guéhenno, Frédéric Joliot-Curie, Claude Morgan et Edith Thomas.

Genre : Image

Type : Brochure

Source : © Département AERI de la Fondation de la Résistance Droits réservés

Détails techniques :

Format In-8°, broché, 90 pages

Date document : Mars 1944

Lieu : France - Ile-de-France - Paris - Paris

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Contexte historique

Le succès du regroupement des écrivains dans la clandestinité et, en particulier, de l'alliance entre communistes et non-communistes, doit beaucoup à des solidarités antérieures qui s'étaient nouées au cours des luttes communes menées dans les années 1930 au sein des organisations antifascistes, à la faveur de la ligne d'ouverture du PCF aux intellectuels et de l'union des gauches qu'avait concrétisée la victoire du Front populaire. Cette union avait cependant été rudement éprouvée par la scission entre pacifistes intégraux et antifascistes autour des accords de Munich d'une part, puis par le pacte germano-soviétique qui faisait, d'autre part, peser sur les communistes un véritable anathème. Or, à l'été 1941, malgré l'invasion de l'URSS par les troupes allemandes, le principe d'une alliance avec les communistes est loin d'être acquis dans les milieux intellectuels. Inversement, les bases conceptuelles et concrètes d'une telle alliance dans le cadre d'une lutte idéologique commune semblent encore très floues jusqu'à la fin 1941 et même au-delà, tant pour la direction du Parti que pour ses premiers initiateurs, le trio composé de Georges Politzer, Jacques Solomon et Jacques Decour, responsables de la revue La Pensée libre.

Chargé à l'été 1941 de grouper des écrivains dans le cadre d'un Front national des intellectuels et de fonder un organe clandestin, les futures Lettres françaises, Decour s'adresse, sur le conseil d'Aragon, au directeur de La Nouvelle Revue française, Jean Paulhan, lequel le met à son tour en contact avec Jacques Debû-Bridel. En février 1942, alors que le premier numéro du journal est sur le point d'être imprimé, Decour est arrêté avec d'autres responsables communistes. Ils sont fusillés en mai. Decour s'occupait avec Debû-Bridel de la réalisation matérielle du projet. Son arrestation diffère la mise en place de la structure clandestine en séparant les producteurs des moyens de production. Claude Morgan, qui secondait Decour, se retrouve isolé, ayant perdu la liaison aussi bien avec le groupe des écrivains qu'avec les services techniques. Paulhan et Debû-Bridel continuent cependant de réunir, au cours de l'année 1942, le premier noyau du Front national des écrivains, composé de Jean Blanzat, Charles Vildrac, Jean Guéhenno, Jean Vaudal, le Père Maydieu et François Mauriac. Parallèlement, Claude Morgan commence en septembre 1942 de faire paraître Les Lettres françaises, sous le contrôle du nouveau responsable des intellectuels, Pierre Villon, et de Georges Cogniot, qui suit le journal de près en l'incitant à se professionnaliser et à s'adresser plus spécifiquement aux écrivains.
En 1943, alors que le contact est renoué, par l'intermédiaire d'Edith Thomas, les effectifs du comité augmentent, avec l'arrivée en 1943 de Paul Eluard, Jean-Paul Sartre, Louis Parrot, Jean Lescure, Pierre Leyris, André Frénaud, Raymond Queneau, Lucien Scheler et d'autres. Lors d'une réunion qui s'est tenue chez Edith Thomas, rue Pierre Nicolle, plus de vingt membres sont dénombrés. C'est le réseau de la maison Gallimard et de La Nouvelle Revue française qui a présidé au deux principales phases de recrutement du comité de zone Nord, en 1941 et en 1943, et qui a rendu possible l'alliance entre communistes et non communistes.
En 1943 se constitue également, sous la présidence d'Aragon, un Comité national des écrivains de zone Sud, qui donnera son nom à l'ensemble du groupement lors de sa réunification au mois de septembre. Il s'appuie sur les réseaux de la littérature de "contrebande" formés par Aragon depuis l'armistice autour des revues Poésie à Villeneuve, Fontaine à Alger et Confluences à Lyon. Réalisant l'alliance avec les catholiques, le groupement de zone Sud compte bientôt Louis Martin-Chauffier, Jean Cassou, René Tavernier, Pierre Emmanuel, Jean Prévost, Claude Aveline, Pierre Seghers, Georges Sadoul, Stanislas Fumet, André Rousseaux, Andrée Viollis, Auguste Anglès, Elsa Triolet, Claude Roy, Henry Malherbe et le RP Bruckberger. L'alliance avec les catholiques a été facilitée par l'indépendance relative des comités d'intellectuels en zone Sud par rapport au Front national, où celui-ci est par ailleurs concurrencé sur ce terrain par les MUR, dont Martin-Chauffier et Cassou, par exemple, sont membres, ce qui ne manque pas de créer des tensions entre Aragon et la direction communiste. Le bulletin Les Etoiles est l'organe des intellectuels de zone Sud, qui alimentent en même temps Les Lettres françaises.
Au début de l'année 1943, au moment où Les Lettres françaises deviennent le lieu de publication des membres du comité, ceux-ci trouvent également un nouveau débouché éditorial avec la création des Editions de Minuit. Jean Paulhan,  qui assume le rôle de directeur littéraire des éditions à partir de la fin 1942, puis Paul Eluard qui le relaie en juin, sont les intermédiaires. Le CNE devient bientôt une sorte de comité de lecture de la maison d'édition clandestine, au sein duquel il aura sa propre collection. Outre la préparation du journal et des publications des Editions de Minuit, les réunions du Comité national des écrivains consistaient en échange d'informations et en débats sur le code de déontologie à adopter vis-à-vis des publications légales. Des désaccords sont apparus quant à savoir s'il fallait refuser de collaborer à toutes les publications légales de zone Nord ou s'il y avait des exceptions, comme l'hebdomadaire Comoedia, que défendait Paulhan.
Jusqu'à la fin 1943, le CNE se compose majoritairement de représentants de la nouvelle génération, qui ont entre 30 et 40 ans, rassemblés autour des figures de proue que sont Aragon, Paulhan, Eluard et François Mauriac. A l'approche de la Libération, le comité recueille l'adhésion de grands aînés comme Paul Valéry, Georges Duhamel, Gabriel Marcel, les frères Tharaud, dont la contribution ne sera pas très active, mais qui apportent au groupement clandestin son prestige lorsque paraît au grand jour la liste de ses membres le 9 septembre 1944...
A la Libération, le CNE s'institutionnalise et se transforme en association littéraire. Sa politique de rassemblement lui confère une légitimité quasi-nationale, mais le rôle qu'il joue dans l'épuration intellectuelle, par la constitution d'une "liste noire" d'écrivains collaborateurs et par sa participation à l'épuration professionnelle, est à l'origine de premières scissions internes, qui entraînent le départ de Jean Paulhan et d'autres prestigieux aînés. Les polémiques de la Guerre froide et les procès de l'Est achèvent de l'identifier avec le Parti communiste, dont il restera solidaire jusqu'à sa disparition en 1970.


Gisèle Sapiro in DVD-ROM La Résistance en Ile-de-France, AERI, 2004.

Sources et bibliographie :
Musée de la Résistance Nationale, Fonds Georges Gogniot et Pierre Villon.
FETA-CNRS, Fonds Elsa Triolet-Aragon.
Jacques Debû-Bridel, La Résistance intellectuelle,Paris, Julliard, 1970.
Louis Parrot, L'Intelligence en guerre,Paris, La Jeune Parque, 1945, rééd. Le Castor Astral, 1990.
Gisèle Sapiro, La Guerre des écrivains, 1940-1953, Paris, Fayard, 1999.
Anne Simonin, Les Editions de Minuit. Le devoir d'insoumission (1942-1955), Paris, IMEC, 1994.
Vercors, La Bataille du silence. Souvenirs de minuit,Paris, Presses de la Cité, 1967,rééd. Editions de Minuit, 1992.
Daniel Virieux, Le Front National  de Lutte pour la Liberté et l'Indépendance de la France. Un mouvement de Résistance - Période clandestine (mai 1941-août 1944), Atelier de Lille, 1995, 5 vol.