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Plaque à la mémoire de Pierre Ruibet et Claude Gatineau, Jonzac (Charente-Maritime)

Légende :

Plaque située à l'entrée des carrières de Heurtebize à Jonzac

Genre : Image

Type : Plaque commémorative

Source : © Lieux de mémoires ww1 et ww2 (Facebook) Droits réservés

Détails techniques :

Photographie numérique en couleur

Date document : sans date

Lieu : France - Nouvelle-Aquitaine (Poitou-Charentes) - Charente-Maritime - Jonzac

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Contexte historique

Pierre Ruibet voit le jour le 9 juillet 1925 à Grenoble dans une famille très marquée par les souvenirs de la Grande Guerre. Alors que son père est déjà personnellement entré dans la Résistance de l'Isère, se présente enfin, en 1942, une opportunité inattendue de carrière militaire pour son fils maintenant âgé de 17 ans. C'est l'ouverture à Audinac (Ariège) du Centre Bayard destiné à la formation des futurs cadres de l'armée d'armistice. C'est ainsi qu'inscrit au concours par son père, Pierre Ruibet réussit à être admis le 30 juillet 1942 dans ce centre où il porte tous les espoirs paternels. A partir de son 18e anniversaire, le 9 juillet 1943, Pierre Ruibet relève du STO. Toujours présent à Audinac, où il ne reste pratiquement plus d'élèves, la majorité ayant réussie à passer en Angleterre via l'Espagne, il se fait renvoyer le 12 juillet où, timide et solitaire, "il n'a su s'attirer la sympathie ni de ses camarades, ni de ses chefs".

Certainement très déçu par cet échec, son père le fait alors engager dans une de ces structures dispensant du départ en Allemagne, la Compagnie des travailleurs de PTT, créée au Vigan (Gard) par d'anciens officiers d'un régiment du génie acquis à la Résistance pour accueillir les réfractaires au STO. C'est ainsi que, hasard du destin, le premier chantier de cette providentielle compagnie étant d'enfouir la ligne téléphonique souterraine de Jonzac à Pons, le jeune Pierre Ruibet débarque, en septembre 1943, à Jonzac où, trouvant enfin la chaleur humaine qui lui manquait tant à Audinac, il a à coeur de prendre sa revanche et de se montrer digne des espoirs que son père a mis en lui en entrant à son tour dans la Résistance et en y acceptant la périlleuse mission de faire sauter le plus important dépôt de munitions de la Kriegsmarine en France.

En effet, c'est à Jonzac, au camp du Cluzelet où ils sont logés, que "Pierrot", comme on l'appelle maintenant à Jonzac, fait la rencontre qui va bouleverser son destin, celle d'un authentique ancien enfant de troupe réfractaire au STO comme lui, le jeune Jonzacais Michel Robert qui s'y est fait embaucher comme cuisinier et qui l'introduit dans sa famille où il est accueilli chaleureusement tant par sa mère, concierge au tribunal, qui va le considérer comme son fils, que par sa soeur Mathilde, âgée de 15 ans, à qui va vite le lier un tendre sentiment.

Après la dissolution de la Compagnie des travailleurs de PTT en décembre 1943, "Pierrot" vient loger au tribunal à partir du 18 janvier 1944 pendant que Michel va résider à Voiron, chez monsieur Ruibet. Il s'engage, fin février, comme manoeuvre au dépôt de munitions que la Kriegsmarine allemande est en train d'installer dans les carrières d'Heurtebize. Il ne manque pas de prendre le risque d'en ramener chaque soir dans sa musette ce qu'il appelle des "friandises", à savoir de petites munitions qu'il cache imprudemment dans sa chambre jusqu'au jour où, s'en rendant compte, Marthe Robert, pleine de compréhension pour le jeune patriote et devenant sa complice, lui indique une bien meilleure cachette : sous l'estrade des juges.

C'est fin avril seulement que Pierre Ruibet entre officiellement dans la Résistance, le jour où un ami de Michel Robert, René Marchadier, du groupe franc bordelais Alerte, est chargé d'étudier sur place la faisabilité d'un sabotage du dépôt de munitions, et débarque au tribunal où, faute d'y trouver Michel et sur les conseils de Marthe Robert, il expose le but de sa mission : obtenir des renseignements sur ce dépôt de munitions ennemi. En effet, c'est ce jour-là que, s'étant spontanément proposé pour prendre le risque d'en faire l'inventaire en s'y laissant enfermer de nuit, Pierre Ruibet est immédiatement admis dans le groupe Alerte par René Marchadier qui, revenu de Bordeaux, en rend compte à ses chefs le soir même.

Le jeune patriote réussit sa mission, c'est-à-dire détruire le plus important dépôt de munitions allemand en France, mais y laisse sa vie ce qui lui vaut une Légion d'honneur à titre posthume. Cette Légion d'honneur qui l'obsède tellement jusqu'au bout, pour se montrer digne de son père. Il n'a d'ailleurs pas pu s'empêcher de dire à Claude Gatineau, son complice, qu' "après la guerre, il recevrait la Légion d'honneur". Il n'a pas manqué non plus de l'évoquer expressément dans sa dernière lettre à sa mère où l'on peut lire aussi : "Je suis fiancé à la soeur de Michel. [...] J'aurais certainement la Légion d'honneur à titre posthume, je vous demande de la remettre à ma fiancée, c'est à elle qu'elle revient".
Mieux, il est promu par le général de Gaulle, hélas toujours à titre posthume, au grade de lieutenant, mais aussi admis dans le cercle restreint des Compagnons de la Libération en lui décernant la croix de la Libération pour "avoir trouvé une mort héroïque dans cette gigantesque explosion en sachant qu'il n'avait aucune chance d'en réchapper".


Claude Gatineau est né le 2 juillet 1923 dans la ferme familiale de la commune saintongeaise de Champagnac. Il fait une scolarité sans histoire dans l'école communale de garçons de la petite sous-préfecture de Jonzac. Il entre immédiatement dans la vie active à 14 ans, d'abord comme aide familial à la ferme de 1937 à 1939, ensuite comme magasinier aux entrepôts du cognac Gautret de 1939 à 1942 et, enfin, comme manoeuvre de 1942 à 1943 dans l'entreprise de travaux publics La Saintongeaise, qui a obtenu le marché de l'aménagement des carrières d'Heurtebize en dépôt de munitions pour l'occupant. C'est l'institution du STO qui fait basculer son destin ; d'abord en lui faisant faire la connaissance de deux jeunes réfractaires de l'Isère, Pierre Ruibet et Jean-Louis Lachamp, faisant partie de la Compagnie des travailleurs des PTT arrivée en septembre 1943 à Jonzac où elle loge au camp du Cluzelet ; ensuite, en le contraignant, pour échapper au départ en Allemagne, à s'engager le 28 décembre 1943 comme transporteur de munitions au dépôt que la Kriegsmarine est en train d'installer dans les carrières qu'il connaît donc très bien pour avoir participé aux travaux d'aménagement. Vu sa carrure, il est affecté, comme Pierre Ruibet, aux grosses munitions, c'est-à-dire au stockage des obus de marine et des torpilles. C'est alors que, sans pour cela faire encore partie de la Résistance, il y manifeste son patriotisme en profitant de l'absence de fouille à l'entrée comme à la sortie du dépôt, pour rapporter à la maison des trophées pris à l'ennemi et faciles à cacher dans une musette : grenades, plaquettes de poudre, etc.

C'est le 15 juin 1944 que le destin du jeune patriote bascule, le jour où, probablement sans prendre totalement conscience du risque pris, il accepte spontanément de faire acte de Résistance. En effet, le jugeant suffisamment fiable et ayant manifestement confiance en lui, Pierre Ruibet, maintenant engagé lui aussi dans ce dépôt et alors en train d'en préparer le sabotage pour le compte du groupe franc bordelais Alerte, lui confie aux toilettes son projet et, en l'impressionnant manifestement par ses confidences, lui demande si, le moment venu, il accepterait de l'aider en faisant le guet pendant qu'il mettrait en place détonateurs et crayons retardateurs. Le sabotage réussit le 30 juin 1944, Claude Gatineau, bien naïf et refusant d'écouter ses camarades lui conseillant de s'enfuir et de se cacher, décide de revenir à la carrière revêtu de sa tenue de pompier pour donner le change. Identifié par le surveillant Albert Engler comme complice de Pierre Ruibet, Claude Gatineau est arrêté et transféré à la Kommandantur. Là, sachant que son compagnon n'a eu aucune chance d'être sorti vivant de l'explosion, seul, sans défense et brutalisé par l'adjudant-chef de la Gestapo, Heinrich Bechtel, il reconnaît sa complicité et avoue tout ce qu'il sait sur l'organisation du sabotage, c'est-à-dire ce que Pierre Ruibet a bien voulu lui confier sans mettre en péril le groupe Alerte dont il ne sait heureusement qu'une chose, à savoir que c'est "un groupe de Bordeaux".

Il est traduit dès le lendemain devant le tribunal de l'Amiral pour avoir un procès pourtant en bonne et due forme mais où, vu les charges qui pèsent contre lui, il n'a cependant aucune chance malgré le soutien d'un avocat bordelais bilingue commis d'office en catastrophe, Maître Kappelhof-Lançon qui n'a même pas eu le temps de s'entretenir avec lui avant de plaider en allemand pour sa défense en lui recommandant manifestement de faire profil bas en chargeant au maximum Pierre Ruibet maintenant décédé et en se portant volontaire pour partir au STO en Allemagne pour expier sa faute. Le tribunal ayant délibéré, la terrible sentence tombe : "Au nom du peuple allemand, l'accusé est condamné à mort pour crime d'attentat à l'explosif, crime de terrorisme, crime contre le peuple et crime contre la protection des forces d'occupation". C'est ainsi que, pour avoir spontanément accepté d'aider Pierre Ruibet, le jeune patriote Claude Gatineau est passé par les armes le soir même à 20h45, la veille de son 21e anniversaire et en présence de Monseigneur Chauvin, archiprêtre de Jonzac, à qui il a remis cette dernière lettre griffonnée au crayon : 

"Mes chers parents,
Pardonnez-moi pour ce que je vous apprends : je vais être fusillé dans quelques instants. Monsieur le curé est venu me donner la communion. Je meurs en bon français et je vous embrasse tous. C'est malheureux de mourir si jeune à la veille de ses 21 ans, à la veille du mariage de sa soeur ; ils se marieront quand même, il n'y aura pas le même plaisir, vous ne danserez pas, je crois bien que vous serez vexés quand vous apprendrez cela. Vous ne m'en voudrez pas.
Votre fils qui vous aime.
Claude.
"

Le général de Gaulle n'a pas de doute sur le patriotisme de ce "bon français" car il lui accorde la Légion d'honneur et l'élève au grade de Lieutenant à titre posthume.


James Pitaud in CD-ROM La Résistance en Charente-Maritime, AERI, 2009