Brassard de Ceux de la Libération - Vengeance

Légende :

Brassard de capitaine du mouvement Ceux de la Libération - Vengeance

Genre : Image

Type : Brassard

Source : © Collection Gilles Chapin Droits réservés

Détails techniques :

Brassard en toile

Date document : 1944

Lieu : France

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Analyse média

Sur un tissu ovale ont été cousus deux rectangles bleu et rouge. Dans le partie centrale, une croix de Lorraine a été peinte en bleu. Le cachet comprend le sigle CLV pour Ceux de la Libération - Vengeance. Le porteur de ce brassard avait le grade de capitaine comme le montrent les barettes dorées ajoutées sur le brassard. 


Fabrice Bourrée

Contexte historique

Ceux de la Libération aurait compté 807 agents P1 et 652 P2. Au-delà des permanents et des réguliers, le mouvement a peut-être mis sur le pied de guerre des milliers d'individus. Si certains effectifs avancés par des responsables paraissent franchement excessifs, l'organisation semble avoir effectivement drainé de nombreuses énergies -dont la majeure partie en région parisienne-, prêtes à agir le jour J mais confrontées à une intense répression anéantissant souvent toutes possibilités d'action.

D'après plusieurs témoignages, la réunion qui marque la naissance du mouvement Ceux de la Libération se serait tenue le 2 août 1940. Ce jour-là, Maurice Ripoche rencontre deux de ses amis et voisins du quartier de la place Denfert-Rochereau, l'ingénieur Maurice Nore, et le pharmacien Yves Chabrol. N'acceptant pas la défaite, les trois hommes s'interrogent sur la conduite à tenir. Ils vont, dans un premier temps, chercher à constituer un noyau, à resserrer les liens entre réservistes d'unités dissoutes et à établir des contacts avec les officiers d'active. On trouve de fait, dans le mouvement qui se développe, des officiers aviateurs et des officiers des chars. On y trouve également des industriels, des cadres supérieurs... Les ingénieurs y sont légion.
L'idée qui prédomine, à l'origine, est de monter un état-major de Résistance composé d'éléments sûrs. Le recrutement en nombre ne devait venir que plus tard, ainsi que les liaisons éventuelles avec d'autres pôles de résistance. Sur un plan politique, le mouvement est assez marqué à droite, tout au moins en ses débuts. Il recrute parmi des ex-membres du Parti social français du colonel de la Rocque. Maurice Ripoche traduit clairement ses attentes politiques dans le Manifeste qu'il rédige vers le mois d'octobre 1940 : son jugement de la IIIe République est sans appel. La réclamation de l'abolition du suffrage universel y côtoie celle d'un Etat fort. La politique est cependant mise de côté. Il est à noter que CDLL n'entreprend aucune activité officielle de propagande. L'édition d'une publication clandestine surviendra de façon tardive, en 1944.
Le pragmatisme, l'action semblent donc être les priorités. Les premiers mois sont surtout consacrés au recrutement. Au-delà des adhésions individuelles, certains groupes locaux se rattachent à CDLL. Ainsi en est-il de celui d'Hubert Canale à Saint-Germain-en-Laye dont Maurice Vannier, qui deviendra secrétaire général du mouvement, fait partie. Ces premiers mois voient par ailleurs la mise en place d'une activité de renseignement. Georges Savourey est entré à CDLL en décembre 1940. Parce qu'il a une expérience dans ce domaine, Ripoche le charge d'organiser le service de renseignement du mouvement. C'est dans le domaine militaire que le SR va surtout se spécialiser : unités allemandes en stationnement (effectifs, armement, identification des unités, etc.), dépôts de munitions et de carburant, organisation défensive allemande sur le territoire et les côtes, emplacements de la DCA, etc. font l'objet de relevés systématiques. Paul Outin, un cheminot de Mareil Marly, fournit ainsi des renseignements concernant les chemins de fer. Alfred Lemarioux de Saint-Cyr l'Ecole apporte, quant à lui, des informations sur le stockage de matériel aérien (pièces de Gyroplane Bréguet). Albert Davoust collecte pour sa part des renseignements sur les camps d'aviation... D'après Jacques Ballet, c'est Henri Pascal et Pierre Rigaud qui auraient établi la première liaison avec le Service de renseignement Terre de l'Armée dirigé en zone sud par le colonel Rivet qui avait gardé le contact avec les Britanniques. Des liaisons avec le SR Air sont également établies par l'intermédiaire du lieutenant de réserve puis capitaine d'aviation Robert Masson auprès du commandant Badré et du capitaine Gervais. Le réseau Uranus aide à la transmission. Par la suite, le travail avec les services de Vichy devenant de plus en plus difficile, voire compromis avec l'invasion de la zone non occupée par les Allemands en novembre 1942, CDLL utilisera, aux fins de ses transmissions clandestines, les services de la Délégation générale et du Bureau des opérations aériennes (BOA) pour transmettre ses courriers. Il est à noter que le mouvement ne semble jamais avoir véritablement cherché à développer son propre service de liaison radio.

Il est difficile de mesurer l'action de CDLL au cours de l'année 1941. Il semble que l'extension géographique du mouvement date surtout de l'année 1942. Au cours de déplacements en province, certains de ses agents, comme Maurice Vannier ou Guy Trouvé, organisent des groupes. Georges Wauters, désigné en 1941 comme délégué de CDLL en Champagne, développe ainsi le mouvement dans cette région. Pierre Beuchon, ancien des chars, y effectue le même travail en Bourgogne dont il est originaire. Assez rapidement, le mouvement est surveillé de près par la police. Après Henri Pascal, un des premiers membres de CDLL, Maurice Ripoche manque d'être arrêté le 9 octobre 1941. Il doit fuir, lui aussi, la région parisienne ; il rejoint Lyon sous le pseudonyme de "Dufour". Sur place, il continue à diriger le mouvement mais c'est Georges Savourey qui a pris la tête de l'organisation en zone occupée. Lorsque ce dernier se rend en zone libre en janvier 1942, il apprend que de lourdes menaces pèsent sur le mouvement dont l'activité est connue des services de police. Alors que Ripoche et Rivet lui conseillent de demeurer à Lyon, Savourey reprend le chemin de Paris, n'ayant pas préparé sa succession. Il consacre les semaines suivantes à terminer le travail en cours. Il désigne un successeur et est finalement appréhendé le 1er mars 1942. Le renseignement revient à Jacques Ballet. Le mouvement continue de fonctionner grâce aux membres du comité directeur (Henry Chareyron, Raymond Jovignot...).
En dépit de cette menace permanente, l'année 1942 voit la création de nouveaux services et l'extension du mouvement : le service Action et le service Evasion sont mis sur pied. Ce dernier voit le jour sous la direction de René Leduc, vraisemblablement vers la fin de l'année. Il s'agit, à l'origine, de faire passer en zone libre les prisonniers français et anglais évadés et les Français désireux de rejoindre les FFL ou la zone non occupée. A la fin de l'année 1942, l'activité s'étend aux aviateurs alliés et aux agents de Londres. Des équipes sont constituées dans l'Eure, le Calvados, une partie de la Bretagne et en Ile-de-France. Elles recueillent les candidats au départ, les dirigent vers Paris où ils sont hébergés par un réseau de logeurs. Toute une logistique accompagne ce travail. Léon Roulin d'Argenteuil appartient par exemple au groupe de la préfecture de la Seine : il aide à la fourniture de fausses cartes d'identité, de cartes d'alimentation... Deux circuits géographiques rejoignent ensuite les Pyrénées via le lieu de transit principal de la filière Evasion, une ferme landaise bien camouflée. Localement, le réseau est dirigé par Guy Trouvé (alias "Perdu"). Des passeurs espagnols prennent ensuite le relais. René Leduc estime avoir convoyé lui-même une trentaine d'aviateurs jusqu'en février 1944. Le nombre total d'aviateurs ayant utilisé les filières du réseau aurait été de 150. L'arrestation de René Leduc le 2 février 1944 met un terme à l'activité du service.

A l'été 1942, Paul Schimpf entre à CDLL. On va lui confier la direction militaire de l'organisation. Il semblerait que le comité directeur du mouvement ait alors envisagé à ce moment-là de mettre l'accent sur la dimension militaire. Celle-ci était considérée auparavant comme prématurée. Ainsi, la relation qui s'était établie dès 1941 avec l'Armée volontaire qui disposait de corps-francs n'avait débouché sur rien de concret, CDLL pensant qu'il n'était pas encore opportun d'entreprendre des actions militaires. Les choses ne sont plus les mêmes au second semestre 1942. De la fin décembre datent les premiers contacts de CDLL avec le mouvement Vengeance. Le docteur Victor-Dupont aurait rencontré Maurice Ripoche et Gilbert Védy aux alentours de décembre 1942. Des tractations sont menées qui doivent mener à l'intégration des corps-francs Vengeance dans l'organisation paramilitaire de CDLL. De son côté, le mouvement de Ripoche a déjà constitué quelques troupes, à Paris, en banlieue et dans différents départements (Aube, Yonne, Côte d'Or). En région parisienne, l'organisation est structurée : ainsi, le centre de combat "A" de la région de Paris correspond au Nord-Ouest de la Seine-et-Oise. Il est divisé en neuf secteurs calqués sur des communes (Beauchamps, Herblay, Saint-Ouen l'Aumône...). Chaque secteur doit fournir un effectif de francs-tireurs. Si l'on en croit André Pochan, qui dirigeait ce centre de combat, au moment de son arrestation, le 28 avril 1943, "de nombreux éléments étaient constitués et la plupart des EM formés" (dossier de CVR).
Au-delà de la mise sur pied d'effectifs destinés à l'action directe, il faut signaler des études prospectives, directement tournées vers l'action armée, réalisées sous la direction de Schimpf : Raymond Jovignot étudie ainsi la possibilité de fabriquer au sein de ses ateliers des lance-flammes. Henri Pergaud, son adjoint, est quant à lui chargé de fournir les plans des réseaux ferrés avec les emplacements des tranchées et des signaux d'arrêt : l'objectif est mettre au point un dispositif pour bloquer les transports militaires allemands. Il faut aussi signaler, même s'ils ne le furent pas sous l'égide spécifique du colonel Schimpf, les travaux réalisés par le groupe de Maurice Lavirotte : l'élaboration d'un char (futur ARL 44).
Des actions furent menées par des groupes rattachés à CDLL. On peut citer, parmi d'autres, la réception d'un parachutage par le groupe CDLL d'Etampes (Seine-et-Oise) le 17 mai 1943. D'une façon générale, CDLL développe ses liens avec le BOA auprès duquel des équipes sont détachées. Des terrains de parachutage sont reconnus en Seine-et-Marne. On peut également mentionner, l'activité du groupe Ceux de la Libération-Vengeance d'Orgerus (Seine-et-Oise), sous la direction d'Emile Ghelfi, qui s'illustra notamment par un attentat commis sur la voie ferrée Paris-Granville. Ce jour-là, vers 1h45, un attentat à l'explosif détruit un rail sur 50 mètres et coupe six lignes téléphoniques.
Des actions de sabotage purent également être entreprises à la suite de la fabrication par Roger Coquoin de pastilles abrasives destinées à être introduites dans les réservoirs des camions allemands.
Fin 1942, les arrestations se multiplient. Avec l'arrestation de Chareyron, le comité directeur est à nouveau touché. Devant cette situation délicate, Maurice Ripoche décide de regagner la capitale afin de reconstituer les cadres du mouvement. Il travaille alors directement avec Roger Coquoin ("Lenormand") et Gilbert Védy ("Médéric"). Henri Manhès dont les liens avec CDLL sont anciens, a été chargé par Jean Moulin de coordonner les mouvements en zone occupée. C'est peut-être par son biais que le contact a été établi avec Alger et Londres. Ripoche a rencontré Jean Moulin mais on ne connaît pas le résultat de leurs discussions. Le 3 mars 1943, une catastrophe d'envergure s'abat sur CDLL : Maurice Ripoche et Maurice Vannier sont arrêtés à Paris, rue de Rome, dans le bureau du colonel Manhès ("Frédéric"), lui-même appréhendé le matin, ou au pont Cardinet (selon les sources). Deux tentatives destinées à faire échapper Ripoche n'aboutissent pas. En attendant, c'est Roger Coquoin qui se trouve investi de sa succession directe. La tâche est particulièrement lourde et elle se double d'une ouverture sur la nébuleuse résistante. A l'instar de Moulin avec qui il se trouve en contact, Coquoin défend l'idée d'unité d'action de la Résistance. En compagnie de "Médéric", il rencontre Passy et Brossolette au début du mois de mars 1943 dans le cadre de la mission Arquebuse-Brumaire. Coquoin aurait insisté en cette occasion sur la nécessité d'obtenir des armes. Le 27 mai 1943, il est présent lors de la première réunion du CNR, rue Dufour (VIe arrondissement).

Fin 1942, lors de la venue du général Delestraint ("Vidal") à Paris, la logistique du déplacement est assurée par CDLL. Pierre Beuchon, qui connaît "Vidal", contacte en effet une de ses connaissances, Jacques Richard, un cheminot qui travaille au service Traction, à la gare de Lyon. Beuchon lui signale la nécessité d'aider Delestraint dans ses nombreux déplacements entre Paris et Lyon qui ont pour finalité la mise sur pied de l'Armée secrète. Plutôt que de courir l'aventure pour l'obtention de "fiches d'admission", il fut convenu que Delestraint devait se rendre au dépôt, rue du Charolais, à Paris, dont le chef était membre de CDLL. Delestraint se voyait alors remettre un permis de circulation sur les chemins de fer puis était accompagné jusqu'à son train, au départ de Paris, où une place lui était réservée par la SNCF. Tout contrôle était ainsi évité. Par ailleurs, des bureaux clandestins et des caches furent mis à sa disposition. A la suite des réunions préliminaires à la formation de l'Armée secrète, Roger Coquoin accepte le commandement d'une des régions les plus importantes, la région P comprenant Paris et plusieurs départements.
Emile Ginas se voit investi plus particulièrement de Paris. Le 29 décembre 1943 survient une nouvelle tragédie. Coquoin a rendez-vous chez un de ses bras droits, rue des Frères Perier. Il s'agit en fait d'une souricière de la Gestapo. Le chef de CDLL tente de s'enfuir mais reçoit une rafale de mitraillette. Le colonel Ginas, qui a auparavant mis en place un système de transport au sein du mouvement avec l'appui de la Croix-Rouge, lui succède mais pour peu de temps : il est arrêté par les Allemands le 19 janvier 1944. André Mutter aurait alors pris la direction de CDLL lors d'une réunion le 9 février 1944. Gilbert Védy ("Médéric") est à Alger, en janvier 1944, lorsqu'il apprend la mort de Coquoin. Il parvient à être débarqué en Bretagne en mars 1944 et se rend à Paris pour aider à la direction du mouvement qui connaît un certain flottement depuis la mort de Coquoin. "Médéric" est immédiatement arrêté. Un rapport sur les forces de la Résistance, non daté, mais rédigé vraisemblablement fin mars-début avril 1944 et transmis au BCRA, offre un éclairage sinistre sur CDLL à ce moment-là : "Il n'est pas de mouvement de Résistance sur lequel autant de malheurs se soient abattus et, peut-être, est-il voué à un écroulement final. (...) Médéric voulait tenter de revivifier le service. Sa disparition tragique rendra peut-être définitivement vain ses espoirs de survie".

On ne sait pas grand-chose des derniers mois de CDLL, jusqu'à la Libération, sous la conduite d'André Mutter. Les rapports avec Vengeance, assez tendus, semble-t-il, du temps de Coquoin et de Vic-Dupont, paraissent s'améliorer. Le mouvement CDLL devient, en mars 1944, Ceux de la Libération - Vengeance. Un journal clandestin est édité : France libre. Le premier numéro connu date de juin 1944. Au cours de la Libération, Mutter siège avec ses hommes dans un local de la Fédération du bois, à proximité du Père Lachaise. Président la commission des colonies au CNR, il reçoit pour mission de s'emparer du ministère des Colonies ce qui est chose faite le 20 août 1944. De façons plus générale, la participation aux combats de la Libération des groupes appartenant à CDLL n'est pas facile à déterminer. On sait qu'à Paris, des formations motorisées issues des Equipes nationales furent constituées et placées sous l'autorité de Maurice Daguier qui avait été, en son temps, agent de liaison de Maurice Ripoche.
Il semble en fait que le mouvement Ceux de la Libération ait été particulièrement éprouvé par la répression. Si l'on en croit les chiffres avancés par le mouvement, il y aurait eu 320 déportés, 81 internés, 254 morts et disparus. Il est un fait que certaines arrestations désolidarisèrent plus d'un groupe. Ainsi, pour reprendre l'exemple précédemment cité d'André Pochan, commandant le centre de combat "A" de la région de Paris : après son arrestation du 28 avril 1943, une partie de ses effectifs rejoint Libération-Nord et participe ainsi aux combats de la Libération. Cinq Compagnons de la Libération ont dirigé ou ont fait partie de Ceux de la Libération (Coquoin, Védy, Ginas, Ballet, Deleule).



Emmanuel Debono in DVD-ROM La Résistance en Ile-de-France, AERI, 2004.

Sources et bibliographie :
Archives nationales, 72 AJ 42 (Ceux de la Libération).
Archives départementales des Yvelines, rapport sur Orgerus.
ONAC de Versailles, dossier de CVR des agents de CDLL.
Archives du Bureau Résistance, dossiers individuels des agents de CDLL et dossier CDLL "Evasion".
Service historique de la Défense, 1 KT 253 (CDLL - Souvenirs de guerre de Pierre Beuchon. Août 1940 à fin juillet 1943).
Archives du Musée de l'ordre de la Libération.
Icare, n°148 (premier trimestre 1994), "Aviateurs et résistants tome 3".
Maurice Daguier, mémoire intitulé Les Cahiers de l'un des résistants de "Ceux de la Libération", 1999, 2002.
Bruce Marshall, Le Lapin blanc, Paris, Gallimard, 1953.
François Wetterwald, Vengeance, histoire d'un corps franc, Paris, Mouvement Vengeance, 1947.