François Pelletier

Légende :

François Pelletier, Ruben, sans date

Genre : Image

Type : Photographie

Source : © ANACR de Marseille Droits réservés

Détails techniques :

Photographie analogique en noir et blanc. Voir aussi l'album photo lié.

Date document : Sans date

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Var - Signes

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Contexte historique

François Pelletier naquit le 24 décembre 1920, à Milly-sur-Thérain, une commune de l’Oise de quelques centaines d’habitants. Il fit ses premiers pas dans la grande ferme familiale du petit hameau de Courroy, au contact du monde rural et des activités agricoles. Son père, André, employait une demi-douzaine d’ouvriers pour exploiter ses terres et sa mère, Paulette, gérait les tâches domestiques qui s’alourdirent rapidement. François Pelletier fut le premier-né d’une fratrie qui compta bientôt deux autres garçons et une fille.

Le fils cadet, Antoine, a publié en 1991 une chronique chaleureuse de la vie familiale et de l’engagement résistant ultérieur de ses deux frères. Il y relate, en particulier, les sentiments conservateurs du père, ancien combattant, Croix-de-Feu, et très attaché au patrimoine. Les enfants, élevés dans la religion catholique, étaient scolarisés dans des établissements privés, le collège du Saint-Esprit à Beauvais, puis le pensionnat de Passy-Froyennes, près de Tournai, en Belgique, chez les frères des écoles chrétiennes, pour les garçons.  

En 1938, ayant obtenu la première partie du baccalauréat, François Pelletier entra en terminale philosophie au lycée de Beauvais. Après sa réussite au baccalauréat en 1939, il se destina à l’agriculture. Il put tester sa vocation, bien que difficilement en 1939-1940, dans l’exploitation familiale malmenée par le chaos de la guerre, de la débâcle et de l’exode, puis, en 1941, au cours d’un stage dans une ferme proche de Saint-Just-en-Chaussée. Il rêvait alors de s’établir dans un « pays neuf » comme le Canada.

Ce fut finalement en Algérie qu’un négociant en laines, proche de la famille, favorisa son installation en janvier 1942 dans une station d’élevage de moutons, à Tadmit, entre Djelfa et Laghouat. Mais, insatisfait, il la quitta au cours de l’été pour une usine d’alpha à Djelfa, puis pour la gérance d’une ferme aux environs de Sétif, dans le Constantinois. Le débarquement allié du 8 novembre en Afrique du Nord imposa à François Pelletier « comme à tant d’autres », écrit son frère Antoine, « la brutale remontée du chemin qui l’avait conduit, trois ans plus tôt, d’un bellicisme juvénile à la plus totale indifférence au sort d’un pays fini, le sien, qui n’avait subi que ce qu’il méritait ».

Mobilisé par les nouvelles autorités, François Pelletier fut versé, fin décembre 1942, dans l’aviation à Blida. Soucieux de participer vraiment au combat, il s’engagea en février 1943 dans les parachutistes, et fut affecté aux Chasseurs de l’infanterie de l’air (CIA) à Fès. Breveté parachutiste en avril, il obtint ensuite son détachement comme instructeur au Club des Pins de Staouéli, à quelques kilomètres d’Alger, destiné à former des équipes de choc. À partir de septembre, il suivit, à deux pas du Club des Pins, l’entraînement du service Action, des services spéciaux franco-anglais. C’est dans ces circonstances qu’il rencontra Maurice Seignon de Possel-Deydier, Noël, avec lequel il se lia. Il eut avec lui de nombreuses discussions où la rigueur morale de l’un s’affrontait à la mentalité de « viveur » de l’autre. À Staouéli, François sympathisa également avec un instructeur d’une tout autre trempe, Henri Rosencher, Raoul.

L’entraînement terminé, Noël et François Pelletier, Ruben, devaient être acheminés vers la France et monter, chacun de leur côté, une filière de liaison maritime avec l’Afrique du Nord et la Corse. L’opération Keystone réussit le 7/8 janvier pour Seignon de Possel et son radio, Henri Le Corre, Alexandre, parachutés près de Dieulefit (Drôme), et qui gagnèrent la côte méditerranéenne, près de Marseille. En revanche, plusieurs tentatives navales (à partir de la Corse) de la mission Ladbrook, de François Pelletier et de son radio Jean Paoli, Paul, échouèrent. Tous deux furent finalement parachutés dans la nuit du 7 au 8 mars, près de La-Motte-du-Caire (Vaucluse) et, pris en charge par l’ORA, hébergés par la famille Reybaud avant de gagner le Var.

Ruben s’installa à Cogolin chez Pattachini, propriétaire du cinéma de la localité, et Paul à Draguignan. François Pelletier aménagea un point de chute sur la côte pour les liaisons maritimes, la crique des Brouis, dans la baie de Cavalaire, proche du cap Lardier (base dite « Djibouti »). Il travailla aussi avec le résistant Jean Despas qu’il aida à créer le groupement de la  Brigade des Maures. Jean Despas installa Ruben à Saint-Tropez, dans la villa Jeannette, qui appartenait à la famille Dot, gérante du cinéma des Pattachini. Après le 8 mai, Ruben choisit un autre point d’accostage, la plage des Virolles, au nord du cap Pinet, baptisée par Alger Karikal. Il y reçut Henri Rosencher qui gagna ensuite Vinon-sur-Verdon, dans le Var, PC de la mission dirigée par Henry Chanay, Michel.

En juin 1944, lors de la mobilisation de la Résistance au moment du débarquement de Normandie, Ruben partit avec Jean Despas au maquis de La-Mourre, proche de La-Garde-Freinet, puis revint, le 12 juin, à Saint-Tropez. Le 29 juin, Maurice Seignon de Possel-Deydier arriva à la villa Jeannette pour demander à François Pelletier une aide que celui-ci lui accorda sans barguigner. De fait, Noël, passé au service du SIPO-SD (la Gestapo), sous le pseudonyme d’Érick, venait aux renseignements. Le 21 juillet 1944, de retour à Saint-Tropez, il y rencontra le major américain Jean-Maurice Muthular d’Errecalde, Lucas, dont le SIPO-SD avait détecté la présence. Le lundi 24 juillet, les Allemands intervinrent et arrêtèrent Lucas, Ruben et Paul qu’ils emmenèrent à Marseille, au 425 rue-Paradis.

François Pelletier fut torturé. Le recoupement des interrogatoires et la trahison de Noël permirent à la Gestapo d’établir un relevé très complet de ses activités. Dans le livre de saisie de la police de sécurité allemande (SD), François Pelletier figure page 129 sous le numéro 948, à la date du 10 août 1944 (les dates de ce registre ne correspondent pas nécessairement à celles des entrées rue-Paradis). On trouve enregistrés, à la même date, sous le numéro 929, Jean Paoli et, sous le numéro 945, Muthular (d’Errecalde). Sur ces pages, François Pelletier est domicilié villa Jeannette, désigné comme responsable de la liaison Corse-France par vedettes rapides et porteur d’une somme de 80 320 francs. Il fut détenu avec Philippe Lafforgue et un truand du PPF qui jouait le rôle de mouton, Charles Palmièri.

L’homme clé du SIPO-SD de Marseille, Ernst Dunker-Delage, évoque également François Pelletier dans le rapport intitulé « Antoine », daté du 11 août, sous le numéro 32 : « Est venu en France de Blida, le 8.3.1944. A été parachuté près de La-Motte-d’Aigues (Vaucluse). Depuis ce moment, il a dirigé la liaison par vedettes rapides entre Saint-Tropez et la Corse. Son activité n’étant pas suffisante, il a organisé au cours des derniers mois dans le secteur désigné ci-dessus un groupe de résistance dans le sens de l’ORA. Il a amené aux FTP la moitié des armes qui lui furent envoyées par parachutes : 12 containers, de telle sorte qu’on a trouvé chez lui : 6 containers, 1 dépôt de vivres, 20 mines allemandes que Pelletier avait lui-même enlevé du lieu de parachutage. Ce matériel fut laissé à la Wehrmacht ».

Le paragraphe se termine, comme pour beaucoup de résistants fusillés à Signes, par ces quelques mots : « Il fut… le… ». Le 12 août 1944, Ruben fut effectivement exécuté dans le vallon de Signes avec huit de ses camarades et enterré, de manière sommaire, dans la « deuxième fosse ». Son corps, qui occupa le cercueil 694 lorsque, le 17 septembre 1944, les dépouilles exhumées furent déposées à la morgue du cimetière Saint-Pierre de Marseille, a été parmi les premiers identifiés, en particulier du fait de son index droit amputé depuis sa jeunesse. Selon le médecin légiste, la mort fut causée par « éclatement complet de l’occipital et des pariétaux ».

Comme son frère Michel, François Pelletier fut inhumé dans le cimetière de Milly-sur-Thérain dont le monument aux morts porte le nom des deux frères. Tous deux sont également honorés par une plaque apposée sur le mur d’entrée de l’ancienne école communale du hameau de Courroy, « victimes de la barbarie allemande pour leur activité patriotique contre l’oppresseur ». François Pelletier fut reconnu Mort pour la France et décoré, à titre posthume, de la Croix de guerre avec étoile de bronze. Le Var garde aussi le souvenir de François Pelletier : son nom a été donné à des rues de Saint-Tropez, Cogolin et La-Garde-Freinet. À proximité de cette localité, au col de Vignon, sur la route départementale 74, une stèle perpétue son nom et celui de Jean-Maurice Muthular d’Errecalde. L’inscription évoque leur combat « pour que vive la France et l’Humanité ».


Auteur : Robert Mencherini

Sources : archives nationales, 72 AJ 104, AIII, le Kommandeur de la SIPO et du SD de Marseille, « Rapport final sur l’identification d’un groupe de Résistance de Marseille par le Kommandeur de Lyon dans l’affaire “industriel”. L’affaire Antoine », Marseille, 11 août 1944 ; archives départementales des Bouches-du-Rhône, 58 W 20, interrogatoire de Dunker par le principal chef de la BST, à propos du rapport Antoine, 9 juillet 1945 ; DAVCC, 27 P 45 Livre de saisies de la police de sécurité (SD), Marseille, commencé le 14 juin 1943 ; DAVCC, 27P 244, laboratoire de police technique, Marseille, 20 septembre 1944 (rapport d’autopsie des 38 cadavres de Signes) ; notice François Pelletier sur le site des Anciens des services spéciaux de la Défense nationale ; Antoine Pelletier, Autrement qu’ainsi, Paris, Éd. Quintette, 1991 ; Henri Rosencher, Le sel, la cendre et la flamme, Paris, Kiron-Éditions du Félin, 2000, pp. 245, 253 ; Madeleine Baudoin, Témoins de la Résistance en R2, intérêt du témoignage en histoire contemporaine, thèse de doctorat d’État, Université de Provence, 1977, 3 volumes, 820 p. ; Sir Richard Brooks, Flottilles secrètes. Les liaisons clandestines en France et en Afrique du Nord, 1940-1944, éditions Marcel-Didier Vrac, Le Touvet, 2001, p. 941, (avec une erreur sur le point de chute indiqué, baie de Morgiou) ; Arthur Layton Funk, Les Alliés et la Résistance. Un combat côte à côte pour libérer le Sud-Est de la France, Aix, Édisud, 2001, trad. Christine Alicot (ed. originale, Hidden Ally, Greenport, Greenwood Press, 1992) ; Jean-Marie Guillon, La Résistance dans le Var, essai d’histoire politique, thèse de doctorat d’État, dir. Émile Temime, Université de Provence, Aix-en-Provence, 1989 ; Jean-Marie Guillon, notice in Maitron-en-ligne ; Robert Mencherini, Résistance et Occupation, 1940-1944, Midi rouge, Ombres et lumières. Histoire politique et sociale de Marseille et des Bouches-du-Rhône, 1930 - 1950, tome 4, La Libération et les années tricolores, Paris, Syllepse, 2014, pp. 45 et 60.