Premier numéro grand format du Provençal, 24 août 1944

Légende :

Première page du Provençal, 24 août 1944

Genre : Image

Type : Journal

Source : © Collection Charles Jansana Droits réservés

Détails techniques :

Document imprimé sur papier journal.

Date document : 24 août 1944

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille

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Analyse média

Le 24 août 1944, Le Provençal paraît pour la première fois en grand format. Il porte le numéro deux et coûte 1,50 francs, ce qui est le prix des autres quotidiens comme La Marseillaise ou Rouge-Midi. Il reprend la couleur rouge-orangée du quotidien d'avant-guerre, Le Petit Provençal, investi le 22 par un groupe de militants socialistes et du MLN dirigé par Francis Leenhardt, Lionel. La veille, le premier exemplaire, un simple demi-format, a été distribué gratuitement. Le bandeau donne l'orientation politique du journal « organe des patriotes socialistes et républicains ». Le Provençal est à la fois l'organe du parti socialiste et du MLN (Mouvement de Libération nationale).

La manchette, comme celle de La Marseillaise, considère que la libération de Marseille est acquise et montre l'action convergente des armées alliées et des FFI sans insister comme le fait La Marseillaise, journal du Front national, sur le rôle des différentes composantes des FFI, ce qui reviendrait à mettre en valeur des groupes à dominante communiste. La photo sous la manchette montre des Marseillaises offrant des fleurs aux soldats français mettant en valeur le rôle de l'armée régulière dans la libération de la ville et son accueil chaleureux par les populations civiles.

En page 2 du journal, une autre photo montre un char français toujours place de la Préfecture, entouré par des civils. La rédaction a donc choisi une photo moins guerrière et plus souriante pour sa une.

Les titres du ventre de la une font largement référence à la situation militaire. L'arrivée du général de Gaulle à Paris est annoncée ainsi que le rôle des blindés de Leclerc dans la libération de la capitale.

Deux tribunes encadrent la photo exposée en une. 

L'une, « Le succès de notre journal », est consacrée à la naissance du Provençal. Elle rappelle en des termes très voisins de ceux de La Marseillaise que le premier numéro du journal est sorti la veille, au milieu des combats malgré des conditions matérielles très précaires, et que l'accueil du public fut d'emblée enthousiaste. Sans expliquer pourquoi la confusion serait possible, l'article insiste sur l'absence de liens avec Le Petit Provençal. Les membres de la rédaction sont présentés comme des patriotes socialistes et républicains qui ont lutté dès la première heure contre Vichy et l'occupant. « Ils éprouvent aujourd'hui une joie immense à faire librement entendre leur voix et à travailler à la restauration de la France dans la liberté et le progrès social. »

La seconde tribune, intitulée « Admirable jeunesse », fait de la résistance un combat quasiment générationnel. Le défaitisme semble être l'apanage des adultes, intoxiqués par la propagande de Vichy. En revanche, les jeunes n'ont pas failli. L'article cite en exemple le bombardement du 27 mai 1944. Les jeunes secouristes de la Croix Rouge et de la Défense passive ont pallié l'incurie de l'administration municipale. Ce bombardement très meurtrier du centre de Marseille par l'aviation américaine avait profondément choqué la population et été désavoué par les organisations de résistance. Du secours aux populations sinistrées, les jeunes passent massivement à la lutte armée. L'article cite l'engagement de la jeunesse dans les FFI, les CFL (Corps France libre /Corps francs de la Libération), l'ORA  (Organisation de résistance de l'armée), les Milices socialistes et les FTP (Francs-Tireurs et Partisans). On peut remarquer que les organisations non communistes sont privilégiées.

La suite de l'article en page deux, sous-titré « Plus de barrières ! » insiste sur l'union de tous les jeunes dans la lutte pour la libération du pays, les jeunes ouvriers fraternisent avec les jeunes bourgeois, les jeunes libres-penseurs avec les jeunes catholiques et les jeunes protestants. Ce thème se retrouve dans les différents journaux de la Libération : la résistance a fédéré toutes les couches sociales, au-delà des clivages spirituels.

L'article se termine par un hommage aux jeunes tombés pendant les années de lutte et en fait les héritiers fidèles des combattants de 1914-1918, rassemblant les deux conflits dans une même nécessité : la défense de la patrie.


Sylvie Orsoni

Contexte historique

Les combats pour la libération de Marseille commencent le 19 août 1944 lorsque des groupes italien, arménien et juif des FTP-MOI, et de FFI interviennent dans les stations de tramways et la gare Saint-Charles pour faire respecter le mot d'ordre de grève générale insurrectionnelle et bloquer les communications. Des groupes des Milices patriotiques commencent à harceler les troupes allemandes dans les secteurs de la Belle-de-Mai, de Saint-Mauront ou de Bois-Luzy. Les combats s'intensifient dans les jours suivants et sont marqués le 21 par la prise de la préfecture, où le Comité départemental de Libération s'installe, présidé par Francis Leenhardt. Le 22 août, le général de Monsabert obtient du général de Lattre, très réticent, l'autorisation de lancer deux bataillons vers Marseille. Le soir  même, les tirailleurs algériens du 7e RTA  (régiment de tirailleurs algériens) atteignent les faubourgs de Marseille avant de pénétrer le lendemain dans la ville.
Le 23 août, les troupes françaises sont sur la Canebière. Le général de Monsabert essaie d'obtenir en vain du général Schaefer la reddition des troupes allemandes.
La journée du 24 août est marquée par l'installation à la préfecture de Raymond Aubrac, commissaire régional de la République, nommé par le gouvernement provisoire. La prise de la préfecture et l'installation du commissaire régional de la République marquent la victoire politique de la France libre. Mais les combats meurtriers se poursuivent, en particulier autour de Notre-Dame-de-la-Garde. Il faut attendre le 29 août pour que les dernières garnisons allemandes des îles Pomègues et Ratonneau se rendent.

Avant même la reddition des troupes allemandes, des groupes de résistants s'emparent des locaux des quotidiens qui tombent sous le coup de l'ordonnance du 22 juin 1944, interdisant de parution les publications qui avaient poursuivi leurs activités pendant l'Occupation. L'information est un enjeu majeur pour les différentes organisations de Résistance. Il faut défendre les valeurs de la Résistance et les mesures prises par les nouvelles autorités. Il faut aussi préparer les échéances électorales à venir.

Le 22 août 1944, un groupe emmené par Francis Leenhardt, composé de socialistes et de membres du MLN  s'empare des locaux du Petit Provençal, rue de-la-Darse et lance Le Provençal qui succède aux deux publications clandestines, l'Espoir, socialiste, et Le Marseillais, du Mouvement de Libération nationale (MLN). Le Petit Provençal n'est pas choisi au hasard. C'était avec Le Petit Marseillais, un des quotidiens le plus lus. Avant-guerre, Le Petit  Provençal, dirigé par Vincent Delpuech tirait à 245 000 exemplaires. Le Petit Provençal comme Le Petit Marseillais incarnent la presse que rejettent les résistants. Presse d'avant-guerre, marquée par l'affairisme et presse des années d'Occupation qui a prêté allégeance au régime de Vichy. Le premier numéro du Provençal est distribué gratuitement le 23 septembre. Le 24, le premier numéro grand format et payant paraît. Rouge-Midi, quotidien du parti communiste et La Marseillaise, journal du Front national, reparaissent également dès le 24 septembre. Le Provençal et La Marseillaise reprennent la typographie des anciens quotidiens dont ils ont réquisitionné les locaux. Ils bénéficient de moyens techniques (imprimerie, papier même en quantité très limitée) et humains (ouvriers typographes) précieux en ces temps de pénurie. Dans les mois qui suivent, Le Provençal comme le reste de la presse quotidienne, devra d'ailleurs, certains jours, renoncer au grand format et se contenter d'un demi-format. De 100 000 exemplaires à la Libération, Le Provençal connaît une croissance qui le porte à 180 000 exemplaires en juillet 1945.


Auteur : Sylvie Orsoni

Sources :

Robert Mencherini, La Libération et les années tricolores (1944-1947). Midi Rouge, ombres et lumières, tome 4. Paris, Syllepse, 2014.

1944, La Libération, exposition du Musée d'Histoire de Marseille - 2013.