Information des RG de Marseille sur la tonte et l'exhibition d'une femme à Endoume, 2 septembre 1944

Légende :

Note d'information des Renseignements généraux sur les représailles contre des femmes ayant eu des relations avec les Allemands, 2 septembre 1944

Genre : Image

Type : Note des Renseignements généraux

Source : © AD des Bouches-du-Rhône - 150 W 89 Droits réservés

Détails techniques :

Document imprimé sur papier pelure.

Date document : 2 septembre 1944

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille

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Analyse média

En objet, la note indique qu'elle décrit les représailles contre des femmes ayant eu des relations avec les Allemands, sans plus de précision, tandis que, selon d'autres sources (article paru dans La Marseillaise le 3 septembre 1944), la jeune femme est soupçonnée d'avoir dénoncé des réfractaires au STO.

La note décrit l'action d'un groupe de jeunes gens du quartier d'Endoume à Marseille. Le 1er septembre, ces jeunes gens âgés de 18 à 20 ans se sont emparés d'une femme. Ils l'ont dénudée, tondue, marquée de croix gammées et promenée nue, tout en la frappant, puis l'ont abandonnée, exténuée dans une rue du quartier. La note indique qu'il s'agit d'une femme mariée, mais ne revient pas sur ce qui a motivé son traitement. Le châtiment de femmes ayant eu des relations sexuelles avec l'occupant n'est pas remis en cause. Ce qui est condamné par une partie de la population, c'est la nudité de la femme, qui constitue une atteinte aux bonnes mœurs et entraîne un trouble à l'ordre public. L'auteur de la note souligne par une majuscule cette entorse aux valeurs morales communément admises : « Beaucoup s'élèvent au nom de la Morale contre le fait de les faire défiler toutes nues ».

La note précise que des faits analogues se sont produits dans d'autres quartiers de Marseille.

Les événements d'Endoume correspondent à la représentation habituelle de la femme tondue de la Libération. L'historien Fabrice Virgili a montré que l'on ne pouvait résumer les tontes à cette violence anonyme exercée par des hommes extérieurs à la Résistance sur des femmes soupçonnées d’avoir pratiqué la « collaboration horizontale ».


Sylvie Orsoni

Contexte historique

Ces faits se déroulent cinq jours après le défilé de la victoire, qui célèbre la libération de Marseille. Le 24 août 1944, le commissaire régional de la République nommé par le Gouvernement provisoire de la République, Raymond Aubrac, est installé à la préfecture. Il désigne le 30 août 1944 les membres de la délégation municipale dirigée par Gaston Defferre. Le rétablissement de la légalité républicaine, et donc de l'ordre, est une priorité du Gouvernement provisoire. Les Renseignements généraux sont attentifs aux violences extra-judiciaires incompatibles avec la restauration de l'État de droit.

L'Assemblée consultative provisoire avait défini le cadre juridique et juridictionnel de l'épuration à mettre en œuvre au fur et à mesure de la libération du territoire métropolitain. L'ordonnance du 26 août 1944 crée le crime « d'indignité nationale », puni par la dégradation nationale, ainsi que des juridictions d'exception : Haute Cour de justice au niveau national, cours de justice au niveau départemental. L'ordonnance complémentaire du 26 décembre 1944 institue les chambres civiques pour examiner les cas des personnes susceptibles d'encourir une condamnation pour indignité nationale. L'ordonnance du 26 décembre ne retient pas les relations sexuelles avec l'occupant parmi les conduites susceptibles d'entraîner une condamnation pour indignité nationale. À aucun moment, le marquage physique des personnes condamnées n'est envisagé. Cependant, dans les premiers jours de la libération des villes et villages, une violence spécifique touche des femmes supposées avoir collaboré avec les Allemands ou/et dénoncé des résistants. C'est ce qu'Alain Brossat a appelé le « carnaval moche », qui suit un rituel pratiquement identique : les femmes sont rasées, marquées de croix gammées et promenées parfois nues dans les rues en présence d'une foule nombreuse. La mémoire collective attribue ces actes aux « résistants de la vingt-cinquième heure ». Elle établit une distinction entre les résistants qui ont lutté au péril de leur vie et des hommes qui croient  ainsi faire acte de patriotisme et faire oublier une attitude souvent attentiste pendant l'Occupation. L'historien Fabrice Virgili a montré que la réalité était plus complexe. Des femmes ont été tondues et exhibées par des FFI dans les premières heures qui suivent la libération de localités, elles l'ont été dans le huis clos des casernes après leur arrestation et avant leur jugement. Le fait déclencheur des tontes n'est pas forcément la « collaboration horizontale » ou la dénonciation de résistants, mais la proximité professionnelle avec l'occupant. Les femmes qui passent en jugement doivent répondre de leur vie sexuelle antérieure à la guerre. Toute liberté prise avec la morale traditionnelle induit une culpabilité ultérieure. Il y a donc un lien direct entre les tontes et la reprise en main symbolique des femmes à la Libération.


Auteur : Sylvie Orsoni

Sources :

Robert Mencherini, La Libération et les années tricolores (1944-1947). Midi rouge, ombres et lumières, tome 4, Paris, Syllepse, 2014.

Sylvie Orsoni, La Libération du côté des femmes, Dossier pédagogique n° 8, Archives départementales des Bouches-du-Rhône.

Fabrice Virgili, La France « virile », Des femmes tondues à la Libération, Paris, Payot, 2000.