Lettre d’un employeur à son ouvrier juif

Légende :

Madame Cros, chef des Établissements Cros, tient à conserver monsieur Jacob Plaut parmi ses employés malgré le fait qu’il soit juif.

Genre : Image

Type : Lettre

Source : © Collection de Mme Édith Plaut-Cerf Droits réservés

Détails techniques :

Papier à en-tête format 21 x 27 cm, texte frappé à la machine à écrire comportant un ruban d’encre violette.

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Manthes

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Analyse média

Monsieur Jacob Plaut avait dû s’adresser à son employeur, le 21 mai 1942, pour demander si, en application du Statut des Juifs, il pouvait rester dans l’entreprise. Par retour du courrier et lettre recommandée, madame Cros, lui répond qu’elle ne souhaite pas se passer de ses services.

C’est une lettre, sur un papier à en-tête des Établissements Vve CROS & Cie, scierie mécanique envoyée « recommandée ». Elle est signée par madame veuve Armand Cros. Durant la minorité de son fils Robert, celle-ci a pris en main l'entreprise familiale. Ce fils, enrôlé dans le même régiment que Max Plaut, le frère de Jacob tué en 1940 sur le front à Reims, a passé toute la guerre comme prisonnier en Bavière.

Transcription :
Manthes, le 21 mai 1943
Monsieur Jacob PLAUT, MANTHES
Nous vous accusons réception de votre lettre du 21 courant.
Nous ne vous avons retiré aucune des fonctions qui vous ont été confiées et il n’a jamais été question de nous passer de vos services.
Si vous ne désirez plus faire partie de la maison, veuillez vous le faire savoir…


Auteurs : Jean Sauvageon

Contexte historique

En application des Statuts des Juifs du 3 octobre 1940 et du 2 juin 1941, un recensement des Juifs est effectué par le gouvernement de Vichy en janvier 1942. Le préfet de la Drôme fait appel aux maires pour recenser les Juifs de leurs communes, les maires, même ceux nommés par Vichy, répondent peu à cette directive. 967 Juifs de plus de 15 ans sont ainsi décomptés.

M. Plaut est certainement compris dans ce nombre. Craignant d’être inquiété, il a certainement informé son employeur de sa situation, lequel indique par cette lettre du 21 mai 1942 qu’il ne souhaite pas se priver de ses services.

Cependant, quelques mois plus tard, M. Plaut a fait des démarches pour s’installer comme artisan, « réparateur de scies à ruban » à Beaurepaire, petite ville de l’Isère, proche de Manthes. Il reçoit l’autorisation du Commissariat aux Questions juives de Lyon, par lettre recommandée avec accusé de Réception, en date du 21 octobre 1942 :
« J’ai l’honneur de vous informer que le Commissaire Général aux Questions Juives ne voit aucun inconvénient à ce que vous vous installiez à BEAUREPAIRE (Isère) comme artisan réparateur de scies à rubans. »

Le métier de « réparateur de scies à rubans » n’était certainement pas dans la liste des métiers interdit aux Juifs ! D’autre part, la pénurie de produits manufacturés métalliques que l’on ne pouvait acheter qu’avec des « bons-matières » incitait les scieurs à faire réparer leurs scies qu’ils ne pouvaient remplacer. Bien que l'activité de « réparateur de scies » ait été enregistrée à Beaurepaire, elle s'effectuait à Manthes où la famille habitait, en face de l'ancienne gare sur la ligne « Saint Rambert –Rives »...

Y a-t-il eu entente entre madame Cros et monsieur Plaut pour que celui-ci entretienne aussi les scies à ruban de l’entreprise sans qu’il en fasse partie ? En effet, M. Plaut n’a pas cessé pas de se rendre à la scierie durant la guerre dont il rapportait des chutes de bois et de la sciure pour le chauffage.

La famille Plaut était très bien intégrée dans le village. Madame Édith Plaut-Cerf se souvient d'un épisode significatif de ce temps de guerre. Avec étonnement, elle aperçoit, un soir, un porc de belle taille dans le poulailler, vidé de ses locataires normaux. À ses questions, ses parents ont répondu qu’elle avait rêvé. Par la suite, elle a su qu'ils avaient hébergé cet hôte pour éviter, à des paysans amis vivant au quartier des Morelles, des difficultés au cours d’un contrôle, la bête n'ayant pas été déclarée.

Cependant, il a fallu cacher l’origine juive de la famille. Si les cartes d’identité établies en 1939 portent bien les noms et prénoms de Plaut Jacob et Plaut Meta, il a été nécessaire de modifier l’état-civil, en 1943, et de devenir monsieur Plantier Jacques né à Rennes et madame Plantier Louise née à Lorient, alors que leurs lieux de naissance se situaient en Allemagne. Ces fausses cartes d’identité ont été vraisemblablement faites par un « faussaire » de Beaurepaire. Les vraies cartes portent la mention « juif » ou « juive » inscrite à l’encre rouge sur le premier volet de la carte. (cf. album)


Auteurs : Jean Sauvageon
Sources : Collection et témoignage de Mme Édith Plaut-Cerf.