"Avez-vous vu les Tondues ?", L'Assaut, 25 septembre 1944

Légende :

Article de presse intitulé "Avez-vous vu les Tondues ?", paru dans L'Assaut, édition du 25 septembre 1944 - cet article introduit une étude de cas sur le phénomène de la tonte des femmes à la Libération

Genre : Image

Type : Article de presse

Source : © AD Ardèche - 70 J 41 Droits réservés

Détails techniques :

Document imprimé sur papier journal. Voir également l'album lié.

Date document : 25 septembre 1944

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Ardèche

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Analyse média

La tonte est pratiquée sur des femmes ayant eu des relations réelles ou présumées avec des Allemands, d'où leur surnom de « collaboratrices horizontales ». 

Comme il est dit dans l'article intitulé "N'oublions pas les femmes légères" publié dans L'Assaut du 21 août 1944, la tonte concerne « des pauvres filles, des bonnes mais aussi de respectables bourgeoises, des femmes mariées » (cf. l'album photo lié). En référence à un acte antérieur répréhensible, cette violence punitive est réalisée sous la contrainte. La tonte est un acte physique et symbolique dont les victimes sont parfois des boucs émissaires.

Si certaines femmes sont de dangereuses collaboratrices, espionnes... par conviction, d'autres payent pour avoir aimé un ennemi, et d'autres, enfin, sont coupables d'avoir été aux services d'Allemands comme employées de maison, femmes de ménage, secrétaires, restauratrices…
Fabrice Virgili dans La France virile distingue quatre catégories de faits de collaboration : politique (adhésion à une organisation collaborationniste ou plus modestement avoir émis des opinions favorables à l'ennemi ou opposées à la Résistance et aux Alliés), avoir dénoncé quelqu'un aux autorités d'occupation (exemple de "la négresse" à Bourg-Saint-Andéol, accusée d'avoir dénoncé Piéri à la Gestapo), financière (avoir touché de l'argent du fait de relations professionnelles ou commerciales) et enfin personnelle (avoir eu des relations avec des membres des troupes d'occupation : « Mais il ne s'agit guère que de pauvres filles, des bonnes, qui couchaient avec le boche pour un cadeau ou pour de l'argent, mais on murmure à Privas que les FTP doivent réparer certains oublis qui n'ont peut-être pas été involontaires. Il y a des femmes beaucoup plus coupables qui n'ont pas fréquenté de simples soldats, mais des officiers, et ce ne sont plus des bonnes ou des ouvrières, mais de respectables bourgeoises, des femmes mariées qui ne se sont pas données pour de l'argent mais pour le plaisir. Qu'elles soient elles aussi passées à la tondeuse et marquées du stigmate de la croix gammée sur le front » (cf., dans l'album photo lié, l'article "N'oublions pas les femmes légères" de L'Assaut du 21 août 1944). Virgili y ajoute l'état de suspicion qui touche les ressortissants d'un pays de l'Axe. La diversité des raisons à ces tontes interdit toute explication univoque.

L'étude des registres d'écrou indique que le motif d'internement des « tondues » pour « relation sexuelle avec l'ennemi » est insignifiant. L'intelligence avec l'ennemi ou la trahison représente près des 9/10e des motifs d'emprisonnement. 20 000 femmes auraient été victimes de ces tontes, mentionnées dans 77 départements sur les 90 de l'époque.

Souvent programmées avec l'aval d'autorités locales de la Résistance (exemple donné par Le Riverain de la Libération du 9 septembre 1944 : "Par ordre des autorités militaires, "la négresse" sera tondue place du Champs-de-Mars", à Bourg-Saint-Andéol... "La nouvelle annoncée par le crieur public..."), parfois annoncées dans la presse clandestine, donc préméditées, ces tontes obéissent à deux scénarii : soit les tondues, après être passées entre les mains d'un coiffeur, sont promenées dans les rues de la ville ou du village à pied ou en char allemand (à Bourg-Saint-Andéol, comme en atteste encore Le Riverain de la Libération et à Tournon, dans La Voix du Peuple n ° 6 du 23 septembre 1944*), soit encadrées par des résistants locaux, des hommes investis du pouvoir de police et de justice, elles parcourent les principaux axes de l'agglomération portant leur chevelure abondante, ondoyante à la mode à l'époque avant que la tondeuse d'un coiffeur ne fasse son œuvre. Cela semble être le cas à Privas, où le photographe Jean Oisel fixe pour l'histoire cet événement**. Promenées sur le cours de l'esplanade route d'Aubenas avant d'être conduites rue Fillat devant la préfecture, elles sont alors tondues dans un car affrété pour l'occasion, cela le 12 août 1944, jour de la libération de Privas.

Enlevées, maltraitées, barbouillées de rouge à lèvres, de mercurochrome, d'encre, sommairement vêtues, voire nues, ces femmes tondues sont exhibées sous les lazzis, les insultes, les menaces d'une foule bruyante et déchaînée. Certaines de ces femmes portent sur le front, la poitrine ou d'autres parties du corps, tracées à la peinture ou au goudron, des croix gammées. À Bourg-Saint-Andéol, comme le rapporte La Voix du Peuple n ° 4 du 9 septembre 1944, "13 femmes ont été tondues et marquées de la croix gammée pour rapport avec les boches. Au Teil, Jean Flandrin*** témoigne : " Je les [les femmes tondues] revois encore être obligées de défiler dans les rues du Teil, une croix gammée sur le front. D'autres inscriptions explicites fleurissent, comme « a dénoncé, collabo » et plus souvent encore « a couché avec les boches ». Selon l'édition de L'Assaut du 28 août 1944, il y a, à Privas, "des femmes de miliciens, collaboratrices notoires qu'on a promenées le crâne rasé, la croix gammée peinte sur le front."

Cette tonte expiatoire, qui prive des femmes d'un attribut de séduction, est destinée à les rendre humbles - comme en témoigne La Voix du Peuple n ° 6 du 23 septembre 1944, « Tournon, encore des tondues ! On n'y croyait plus à la tonsure. Pensez voir ! Madame une telle ! Du trop beau monde pour être tondue ! » - à les humilier, à les mettre au ban de la Nation à qui elles ont été infidèles. C'est un des actes de reconstruction d'une nation qui se veut purifiée et forte. 

 

Voir l'album photo lié.


Auteur : Alain Martinot

Références :

Cf. Archives départementales de l'Ardèche - 70 J 46.

** Cf. Archives départementales de l'Ardèche - Collection Oisel 41 FI 03038, 03039, 03040.

***  Témoignage écrit de Jean Flandrin recueilli par Jacques Marqueyrol pour la revue Mémoire du Teil, numéro spécial 2017.

Contexte historique

Cette violence sexuée, à l'encontre de femmes ayant disposé de leur corps et d'elles-mêmes, est l'occasion de défoulements collectifs d'hommes et de femmes après des mois d'occupation, de privations, de peurs. Des résistants de la dernière heure figurent parmi ceux qui manifestent le plus d'empressement, de vindicte au nom de la Justice.

Des Français, ayant eu des relations avec des Allemandes - peu nombreuses en Ardèche où les effectifs de l'armée d'occupation sont relativement faibles par rapport à d'autres départements - sont réprouvés, mais non punis.

Les sévices contre ces femmes s'inscrivent pour la plupart dans la période de l'épuration sauvage, extrajudiciaire à la Libération, ainsi le 12 août à Privas. Toutefois certaines violences ont commencé avant et réapparaissent lors du retour de femmes volontaires ou requises de la Relève et du STO au printemps 1945.

Ces actions ciblées sont un exutoire à l'épuration, un moyen de réduire les tensions locales dans les premiers jours de la Libération.

Cette pratique de la tonte remonte à une tradition ancienne où la femme adultère était exposée et promenée dans la cité, le plus souvent sur un âne, tradition qui s'est poursuivie à travers le temps.

Cette violence à l'égard de certaines femmes ne fait pas l'unanimité. Ainsi dans la Citoyenne du Vivarais n° 2 du 15 octobre 1944 (Voir l'album photo lié) un petit texte du comité des Femmes de France exprime le malaise, le désaccord de cette organisation face à ces pratiques.

Cette réaction trouve sa transcription dans le poème « Comprenne qui voudra » de Paul Eluard dont la phrase d'exergue est « En ce temps là, pour ne pas châtier les coupables, on maltraitait les filles. On alla même jusqu'à les tondre ».

Ce texte, initialement publié clandestinement dans les Lettres françaises du 2 décembre 1944, est accompagné du commentaire suivant : « Réaction de colère. Je revois, devant la boutique d'un coiffeur de la rue de Grenelle, une magnifique chevelure féminine gisant sur le pavé. Je revois les idiotes lamentables tremblant de peur sous les rires de la foule. Elles n'avaient pas vendu la France et elles n'avaient souvent rien vendu du tout. Elles ne firent, en tout cas, de morale à personne. Tandis que les bandits à face d'apôtre, les Pétain, Laval, Darnand, Déat, Doriot, Luchaire, etc., sont partis. Certains même, connaissant leur puissance, restent tranquillement chez eux, dans l'espoir de recommencer demain. »

« Comprenne qui voudra » appartient au recueil poétique de Paul Eluard intitulé Au rendez-vous allemand.

Vingt ans plus tard, Georges Brassens, dans La tondue, fait part de sa sympathie pour la victime et de son remords d'avoir laissé faire.


Auteur : Alain Martinot

Sources

Fabrice Virgili, La France « virile », Des femmes tondues à la Libération, Paris, Payot, 2000.

Jacques Marqueyrol, La vie des Teillois pendant la Seconge Guerre mondiale, numéro spécial de la revue Mémoire du Teil, publiée en 2017 par l'association Patrimoine et Traditions.