Rue Paul-Winter, Mulhouse (Haut-Rhin)

Genre : Image

Type : Nom de rue

Producteur : Bertrand Merle

Source : © collection Bertrand Merle / Aéria Droits réservés

Détails techniques :

photographie numérique en couleur

Date document : Janvier 2016

Lieu : France - Grand Est (Alsace) - Haut-Rhin - Mulhouse

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Analyse média

Deux appellations successives pour la même personne: à l’origine, la rue prend le nom de Commandant-Daniel (arrêté municipal du 19 décembre 1989), puis rue Paul-Winter après un second arrêté du 22 janvier 1991. L’état civil a pris le dessus sur le pseudonyme, mais la plaque de la rue a fusionné les deux. La rue mène au cimetière militaire des Vallons où sont enterrés près de 1100 soldats morts lors de la libération de Mulhouse au cours de l’hiver 1944-1945. Des Français décédés en Allemagne ou pendant la guerre de 1914-1918 sont également enterrés dans ce cimetière. La rue Paul-Winter est un ancien chemin vicinal du Rebberg. Elle est située entre l’hôpital du Hasenrain et Brunstatt, une commune mitoyenne de Mulhouse. C’est une impasse perpendiculaire à la rue du Poitou. Elle est proche de la rue d’Altkirch, axe de circulation important (D432). La plaque indique les années de naissance et de décès (1898 - 1981) et rappelle l’implication de Paul Winter dans la Résistance avec la précision « alias commandant Daniel ».


Bertrand Merle

Sources
Les rues de Mulhouse. Histoire et patrimoine. Conseil consultatif du patrimoine mulhousien et avec le concours de la Société d’histoire et de géographie de Mulhouse. Editions JM 2007 et JM 2009 actualisées et enrichies.

Contexte historique

Paul Winter naît le 25 août 1898 à Mulhouse (Haut-Rhin) dans une famille catholique domiciliée 29 rue des Trois-Rois (Dreikönigstrasse). A cette époque, l’Alsace est devenue allemande à la suite de la guerre de 1870-1871 et le traité de Francfort-sur-le-Main. Il est le fils de Ferdinand Jean Baptiste Winter, inspecteur de machines (Maschineninspektor) et d’Anne Marie née Gerber. Il se marie à Wittenheim (Haut-Rhin) le 19 janvier 1931 avec Marthe Gégauff. Il décède dans cette commune le 8 septembre 1981.

Au cours de la Première Guerre mondiale, il déserte l’armée allemande et rejoint les rangs français. Dès le conflit terminé, il s’investit dans différentes actions du domaine associatif, notamment au Souvenir français, dans des mouvements catholiques et d’officiers de réserve. C’est à l’Action française qu’il rencontre le Thannnois Paul Dungler (1902-1974) fondateur dès septembre 1940, de la 7e colonne d’Alsace avec notamment Marcel Kibler, originaire de Saint-Amarin (1904-1992). La vague d’expulsions autour du 10 décembre 1940 manque d’étouffer cette première organisation de la résistance alsacienne. Paul Dungler part se réfugier à Lyon où il retrouve Marcel Kibler expulsé avec sa famille. Néanmoins, le contact avec l’Alsace n’est pas rompu où Paul Winter reprend le flambeau.

La 7e colonne devient rapidement le réseau Martial des forces françaises combattantes (FFC). La collecte de renseignements est l’objet principal du réseau. Ils sont tous les trois issus du monde de l’industrie. En 1939, Paul Winter (commandant Daniel) a 41 ans, Paul Dungler (Martial) 37, Marcel Kibler (Marceau) 35 ans. En 1931, Paul Winter, après des études d’ingénieur à Reutlingen (Allemagne) et à Mulhouse, est devenu propriétaire des Tissages de Bourtzwiller situés rue de Soultz. Aujourd’hui, cet ancien emplacement industriel a été transformé en zone d’habitation. Il suit aussi une formation militaire de haut-niveau à l’Ecole de guerre en tant que réserviste. Dans son établissement, Paul Winter met en place un système de prévention médicale, des cours du soir dans différents domaines et assure des repas gratuits à la cantine. Lorsque la guerre éclate en 1939, Paul Winter, capitaine de réserve, est engagé volontaire et placé dans une division d’infanterie stationnée dans le secteur fortifié de Longwy où il dirige le 2e bureau. Démobilisé après l’armistice, il est à Mulhouse à l’automne 1940 et rencontre rapidement des acteurs importants de la résistance locale comme Auguste Riegel, Daniel Seither (1914-2015) ou Antoine Willmann. Cette affectation dans le renseignement lui enseigne les règles de prudence qu’il applique ensuite pendant son activité clandestine. C’est ainsi qu’il refuse tout contact en Alsace avec le réseau du docteur vétérinaire Charles Bareiss (1904-1961) qui sera d’ailleurs arrêté le 16 juin 1942 dans un hôtel à Mulhouse: condamné à mort, déporté, sa peine sera commuée en prison.

Dans l’Alsace annexée de fait au cours de l’été 1940, Paul Winter n’est pas expulsé à l’arrivée des Allemands à l’inverse de nombreux cadres ou responsables de la région. Il le doit à son implication sociale dans son entreprise qui est considérée comme une Musterbetrieb (entreprise modèle). Il reste donc en Alsace ce qui lui permet de développer le réseau Martial en s’entourant notamment d’officiers de réserve afin de préparer un futur retour des forces françaises. En attendant, le réseau Martial développe son activité dans différentes directions. Avec l’aide de son frère Georges Winter, banquier, il trouve des fonds afin de venir en aide aux familles dont un membre est victime d’arrestation. A Mulhouse il parvient à faire infiltrer l’administration nazie en nouant des contacts avec le personnel. Le réseau est également actif dans les filières d’évasion par la Suisse ou les Vosges. A Bâle (Suisse) il a des contacts avec Julien Dungler, le frère de Paul Dungler, attaché commercial au consulat de France. A Mulhouse, Paul Winter est au cœur de l’opération qui permet de faire passer le général Henri Giraud vers la Suisse après son évasion de la forteresse de Königstein (nord de l’Allemagne). Différents retards accumulés en cours de route font rater des relais et compliquent l’opération. Giraud arrive à Mulhouse dans la soirée du 19 avril 1942 et prend une chambre à l’hôtel de l’Europe (l’établissement, qui n’existe plus aujourd’hui était situé non loin de la gare, au coin de la rue Paul-Déroulède et l’avenue du Maréchal-Foch). Le lendemain, le Mulhousien Paul Weiss et le Thannois René Ortlieb conduisent l’évadé chez le curé René Stamm à Liebsdorf près de la frontière helvétique.

Mais l’activité principale de Paul Winter est ailleurs. Pendant plus de deux ans, il œuvre à la mise en place des FFIA (Forces françaises de l’intérieur d’Alsace) et structure cette force clandestine, en manque d’armes. Il travaille aussi à la mise en place d’une administration civile dès que les libérateurs seront arrivés à Mulhouse dans le cadre du Comité départemental de libération (CDL). A ce titre, il participe entre le 17 et le 22 juin 1944 aux deux réunions de Grendelbruch (Bas-Rhin) dans la vallée de la Bruche, commune située non loin du camp de concentration du Struthof et du camp de Schirmeck-Vorbrück. C’est le véritable « sommet » de la résistance alsacienne qui réunit une dizaine de personnes dont Marcel Kibler (à ce moment responsable du réseau et des FFIA) et Jean Eschbach son chef d’état-major. Parmi les décisions prises, Paul Winter est nommé chef des FFIA du Haut-Rhin et Georges Kieffer (alias commandant François) pour le Bas-Rhin. A ce moment, sur le front Ouest, les Alliés ont déjà débarqué en Normandie mais peinent encore à percer vers Paris; sur le front Est, la Wehrmacht est en train de céder en Biélorussie. En France, les massacres de Tulle (7 juin) et d’Oradour-sur-Glane (10 juin) viennent de survenir; la Résistance de Dordogne et celle du Morbihan sont passées à l’action.

Le 16 novembre 1944, Paul Winter est à deux doigts de se faire arrêter. Il parvient à s’échapper en se faisant hospitaliser à la clinique du Saint-Sauveur, le Klesterla, rue du Bourg, tenue par les sœurs de Niederbronn. La congrégation fait partie des rares collectivités décorées de la médaille de la Résistance française avec rosette (décret du 24 avril 1946). Paul Winter sort de la clinique le 21 novembre lorsque la 1ere division blindée (1ere armée - de Lattre de Tassigny) entre dans la ville et que les combats se poursuivent tout autour. Paul Winter prend à ce moment la tête du bataillon des FFIA, environ 900 hommes, qui prend part à la libération de la ville et assure par la suite le maintien de l’ordre. Très vite les nouvelles institutions municipales se mettent en place. Dès le 28 novembre, Auguste Wicky, maire en 1939 et rentré du sud-ouest, retrouve son siège. Fort de son autorité morale, Paul Winter revendique que ce n’est pas au préfet du Conseil national de la résistance Jacques Fonlupt-Esperaber (Mulhouse 30 avril 1886 - Pau 4 décembre 1980) de nommer les fonctionnaires municipaux. Ce conflit a également eu lieu à Strasbourg. En janvier 1945, alors que la bataille se poursuit autour de Mulhouse et que s’est formée la poche de Colmar, Paul Winter s’implique avec la Croix rouge dans le transferts de 12000 enfants mulhousiens et de vallée de Thann vers la Suisse afin qu’ils évitent les zones de combats. Il participe aussi au ravitaillement de la ville.

La paix revenue, il siège au sein de la 1ere assemblée nationale constituante (21 octobre 1945 - 10 juin 1946) sous l’étiquette RDS (Résistance démocratique et socialiste). Paul Winter est officier de la Légion d’honneur, croix de guerre 1939-1945 avec palme, médaille de la Résistance française avec rosette, chevalier du Saint-Sépulcre (Vatican).


Bertrand Merle

Bibliographie
- Paul Winter. Fiche d’Eric Le Normand. DVDrom de l’Aéria La résistance des Alsaciens. Aéri. 2016.
- Paul Winter. http://www2.assemblee-nationale.fr/sycomore/recherche
- Paul Winter. Fiche d’Eliane Michelon. Nouveau dictionnaire de biographie alsacienne (NDBA) n°40; pages 4267-4268.
- De la 7e colonne au réseau Martial. Fiche d’Eric Le Normand. DVDrom de l’Aéria La résistance des Alsaciens. Aéri. 2016.
- De la 7e colonne d’Alsace aux FFI d’Alsace. Bernard Veit. Actes du colloque organisé par la fondation franco-allemande à Strasbourg (19-20 novembre 2004) Les résistances des Alsaciens-Mosellans durant la Seconde Guerre mondiale. Sous la direction d’Alfred Wahl. Centre régional universitaire lorrain d’histoire site de Metz. 2006
- La réunion de Grendelbruch. Vidéo. DVDrom de l’Aéria La résistance des Alsaciens sous la direction d’Eric Le Normand. Aéri. 2016.
- Pour l’unité et le renouveau du MRP du Haut-Rhin (1945-1946). François Igersheim. Revue d’Alsace n° 140 pages 377 - 426 (2014).
- L’Alsace et la Lorraine à Londres et à Alger: de la BBC à la Libération. François Igersheim . Revue d’Alsace n° 136 pages 199 à 273 (2010).