Lettre de De Gaulle à Boisson, 18 septembre 1940
Légende :
Le 18 septembre 1940, alors qu'il se trouve sur le Westerland, en pleine mer, face à Dakar, le général de Gaulle adresse un ultimatum au gouverneur Boisson l'enjoignant de rallier la France libre. Si ce dernier s'opposait au débarquement des Français libres à Dakar, alors de Gaulle ferait intervenir les forces alliées qui accompagnent le convoi.
Genre : Image
Type : Lettre
Source : © Archives nationales 3AG1/280 Droits réservés
Détails techniques :
Document dacylographié
Date document : 18 septembre 1940
Contexte historique
Pour éviter que la flotte française tombe aux mains des Allemands, l’Angleterre avait détruit une escadre dans la rade de Mers el Kébir (3 juillet 1940). Une partie importante de la flotte mouille à Dakar, notamment le cuirassé Richelieu qui, avec le Jean Bart, est ce que la flotte française a de plus puissant. La ville dispose de moyens militaires considérables, de batteries côtières appuyées de plusieurs escadrilles d’aviation.
Privé de l’Afrique du Nord, et un mois après le ralliement à la France libre de trois colonies d’Afrique équatoriale française, du Tchad (26 août), du territoire sous mandat du Cameroun, de l’Oubangui-Chari (27 août) et du Congo-Brazzaville (28 août), le général de Gaulle a besoin d’une assise territoriale forte et pense avec Churchill pouvoir prendre le contrôle politique et militaire de l’AOF, partie de l’Afrique la plus peuplée et la plus riche, restée fidèle à Vichy. Churchill veut éviter à tout prix que la Marine française ne tombe entre les mains de l’Axe et que Dakar ne devienne une base avancée. Il désire également mettre la main sur les 1000 tonnes d’or que la Banque de France a envoyées à Dakar. Le principe de l’attaque est arrêté le 6 août par de Gaulle et Churchill. Trois scénarios ont été envisagés. Facile (Happy) : Dakar se rallie immédiatement ; délicat (Sticky) si des résistances armées se manifestent ; mauvais (Nasty) avec un affrontement violent entre les deux camps. Dans ce dernier cas, un débarquement des forces armées est prévu sur les plages du voisinage immédiat. A Dakar, les forces vichystes sont placées sous les ordres des généraux Barrau et Gama et de l’amiral Landriau.
La force M, commandée par l’amiral anglais Cunningham, appareille de Liverpool le 31 août. Elle se compose pour les Anglais de 4500 hommes, de deux cuirassés le Resolution et le Barham, du porte-avion Ark Royal, de quatre croiseurs et de dix destroyers ; pour les Français libres de 2400 hommes embarqués sur le Westernland et le Pennland, de trois avisos, le Savorgnan de Brazza, le Commandant-Dominé, le Commandant-Duboc. Initialement dénommée Scipio, l’opération Menace débute le 23 septembre au lever du jour. De Gaulle dépêche vers Ouakam deux avions qui atterrissent après avoir largué des tracts annonçant l’arrivée du général de Gaulle à la tête de ses troupes « pour renforcer la défense et ravitailler Dakar ». Les deux pilotes sont arrêtés et emprisonnés. Au même moment, de Gaulle diffuse un message radiotéléphonique annonçant l’arrivée de parlementaires :
"Le général de Gaulle arrive avec ses troupes pour renforcer la défense de Dakar et pour ravitailler la ville. Une puissante escadre anglaise et de nombreuses troupes britanniques sont là pour l’appuyer. Le général de Gaulle vient d’envoyer des officiers de son état-major auprès des autorités de Dakar : Gouverneur général, Amiral commandant la Marine, Général commandant supérieur. Cette délégation du général de Gaulle a mission de demander le libre débarquement des troupes françaises et du ravitaillement. Si tout se passe bien, les forces britanniques n’auront pas à intervenir et ne débarqueront pas. Tous les officiers, soldats, marins, aviateurs, habitants de Dakar doivent s’employer à faciliter cette opération de salut". Mais les forces britanniques et françaises au large de Dakar sont dans une brume épaisse, ce qui ne permet pas d’impressionner les défenseurs de la ville.
Deux embarcations, sous le commandement de Thierry d’Argenlieu, sont mises à l’eau devant Gorée par l’aviso Savorgnan de Brazza. Elles pénètrent dans le port et accostent. Les émissaires sont repoussés par le chef de la police portuaire et essuient des coups de mitrailleuse. D’Argenlieu et un officier sont blessés. Boisson organise alors la résistance du port. Peu après, deux avisos essaient de débarquer mais essuient des salves de semonce. Dans le port de Dakar, les deux camps commencent à échanger des tirs. Plusieurs bâtiments sont touchés, dont le sous-marin français Persée, qui coule. De Gaulle et Cunningham se rendent compte qu’une entrée directe à Dakar est impossible. Dans l’après-midi, les Gaullistes tentent un débarquement à Rufisque et là aussi échouent. Dans un dernier message, de Gaulle avait espéré encore rallier les autorités. Mais Boisson lui avait répondu : « Vous confirme que nous nous opposerons par la force à tout débarquement. Stop. Vous avez pris la responsabilité de faire couler le sang français, gardez cette responsabilité, ce sang a déjà coulé ». De Gaulle renonce à engager à nouveau ses forces car il ne veut pas de bataille entre Français ou, selon certains historiens, parce que la force Y, une escadre française envoyée par Vichy pour rétablir l’ordre en Afrique équatoriale, n’est pas loin. L’amiral Cunningham reçoit l’ordre de Churchill de poursuivre les combats et donne l’ordre à Boisson de rallier de Gaulle.« La France m’a confié Dakar » répond Boisson « je le défendrai jusqu’au bout ».Les 24 et le matin du 25 septembre, les Anglais vont faire plusieurs tentatives pour forcer l’entrée du port. Ils renoncent à 9h30 et se retirent vers Freetown.
La bataille de Dakar a fait près de 200 tués militaires et civils, et plus de 500 blessés. La ville de Dakar a été durement touchée. En tout, il y eut quatre bombardements de gros calibres et trois bombardements aériens.
Le succès des forces vichystes est incontestable et ce premier combat entre Français va marquer les esprits. Pierre Boisson est un héros. Il reçoit un message personnel de félicitations du maréchal Pétain qui lui envoie sa photo dédicacée. « La France avec émotion et confiance suit votre résistance à la trahison de partisans et à l’agression britannique. Sous votre autorité Dakar donne l’exemple du courage et de la fidélité. La Métropole toute entière est fière de votre attitude et de la résolution des forces que vous commandez. Je vous félicite et je vous exprime toute ma confiance » (Pétain). Toutefois, dans un rapport adressé à Pétain le 21 octobre, Boisson juge la situation en AOF tendue et fragile.
De Gaulle sort affaibli de cet épisode tragique : « Les jours qui suivirent me furent cruels. J’éprouvais les impressions d’un homme dont un séisme secoue brutalement la maison et qui reçoit sur le tête la pluie des tuiles tombant du toit » (De Gaulle, Mémoires de guerre). Mais ses compagnons lui restent fidèles. « Il n’est ni excessif ni prétentieux de dire que le général de Gaulle fut alors sauvé (ce sont les intérêts de la France qui furent sauvés) par l’inébranlable loyauté de ses soldats de l’expédition Menace et des coloniaux militaires et civils de l’Afrique centrale » (de Larminat). Le 27 octobre 1940, il lance à Brazzaville un manifeste annonçant la création d’un conseil de défense de l’Empire, organe de décision de la France libre. Après plusieurs jours de combat, le Gabon rejoint la France libre. Les colonies ralliées forment désormais un bloc cohérent qui constitue une menace pour l’AOF et l’AFN, restées fidèles à Vichy. Il faudra attendre le 23 novembre 1942, 15 jours après le débarquement des Alliés à Alger, pour que l’AOF se range aux côtés des Alliés, rendant ainsi possible la préparation des opérations militaires en Méditerranée.
Texte extrait de corpus documentaire mis en ligne par les archives nationales d'Outre-Mer, "La bataille de Dakar, 23-25 septembre 1940. Le face-à-face De Gaulle - Boisson"