Rapport de l'inspecteur d’académie des Bouches-du-Rhône, 26 mai 1942

Légende :

Rapport mensuel de l'inspecteur d'académie des Bouches-du-Rhône au préfet régional, 26 mai 1942

Type : correspondance officielle

Source : © Archives départementales des Bouches-du-Rhône, 76 W 48 Droits réservés

Date document : 26 mai 1942

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille

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Analyse média

La tonalité générale du rapport adressé par l'inspecteur d'académie des Bouches-du-Rhône au préfet régional pour le mois de mai 1942 est nettement plus sombre que ses comptes-rendus précédents.
L'inspecteur d’académie expédie en une demi-page la partie consacrée à l'état d'esprit des enseignants du public : ils demeurent loyaux et déférents. La manifestation pro-gaulliste (mouvements de dissidence) que certaines élèves se permettaient dans le cours privé Ferrari de Marseille est ramenée au stade d'innocentes taquineries. La Chevauchée de Jeanne d'Arc, spectacle réalisé par les enfants des écoles primaires d'Arles a permis aux écoles privées et publiques de travailler en « une entente parfaite. ». En page 6 l'inspecteur d'académie mettra dans la bouche d'élèves et de parents des commentaires peu flatteurs sur cette initiative de la propagande vichyste. L'empire colonial continue à faire la fierté de la nation. Les établissements scolaires participent assidûment à « La Quinzaine impériale » qui se déroule entre le 16 et le 31 mai 1942. L'attaque britannique contre la colonie de Madagascar suscite l’indignation comme en témoigne le proviseur du lycée Thiers.
Le ton est cependant nettement moins triomphaliste que dans les rapports de 1941. Il ne s'agit plus de conquérir les esprits mais de maintenir une situation politique dans des conditions matérielles qui deviennent de plus en plus difficiles.
L'inspecteur d'académie ne cache pas les ratés de la propagande : séances de cinémas destinées aux écoliers non adaptées au niveau des élèves, Chevauchée de Jeanne d'Arc qualifiée de « lamentable », tout en prenant la précaution de placer les critiques dans la bouche de tiers. Il critique même en page 6 son administration centrale : « les instructions officielles de la dernière heure, relatives aux conditions d'âge... ont détruit d'un seul jet le travail très important et très prenant des dispenses d'âge prévues jusqu'alors. ».

Les difficultés matérielles qui frappent la population et leurs répercussions sur les enseignants et les élèves ne sont pas minimisées : sous-alimentation qui devient préoccupante, manque d'hygiène lié aux pénuries de savon surtout sensible dans les quartiers les plus pauvres qui fait craindre des épidémies. L'inspecteur réclame des mesures pour que les cantines scolaires puissent correctement fonctionner. Les vols relevés sont à mettre en relation avec les pénuries. La participation des enseignants aux nombreuses tâches extra-scolaires imposées par le régime est d'autant plus méritoire qu'ils sont épuisés par la sous-alimentation (4e paragraphe). A travers les exemples des élèves des lycées Longchamp et Montgrand, c'est la dégradation physique de toute une génération qui est signalée.

L'état d'esprit de la population devient préoccupant pour le régime : « l'atmosphère est lourde, les esprits désorientés, divisés, tendus vers un avenir meilleur et ne voient poindre aucune lueur à l'horizon. Il ne me semble pas que la propagande gouvernementale obtienne les effets voulus. » La radio française, aux ordres du gouvernement est sévèrement jugée : « Il ne me semble pas que la propagande gouvernementale obtienne les effets voulus. La radio, surtout, accablantes avec ses répétitions interminables, ses informations trop souvent insignifiantes... rebute plutôt qu'elle n'attire, et me paraît parfois plus néfaste qu'utile. ». L'inspecteur d’académie attribue ces propos qui frisent le défaitisme à « un collaborateur » aussi anonyme qu'alarmiste. Il montre en creux l'influence de la radio anglaise sur les populations (page 6 « radio anglaise »).
La page 7 montre que dans les établissements scolaires, certains élèves et enseignants soutiennent la France libre. Au lycée Thiers, l'élève surprit avec un tract gaulliste a été exclu sans que l'on sache s'il a été l'objet de poursuites judiciaires. L'élève du lycée Mignet est incarcéré à la prison d'Aix (il en sera libéré le mois suivant en attente de jugement). La possession ou la diffusion de tracts communistes est sans doute un facteur aggravant. L'inspecteur d'académie transmet d'ailleurs le dossier à l'intendant de police de Marseille sans attendre.
Le rapport se termine par l'annonce de la révocation d'une institutrice franc-maçonne qui n'avait pas obéi à la loi du 13 août 1940 obligeant les membres de la franc-maçonnerie à se signaler et à cesser toute activité (voir notice mise en disponibilité d'un enseignant franc-maçon).

Ce rapport contraste avec ceux de 1941, remplis de zèle et d’optimisme.


Auteure : Sylvie Orsoni

Contexte historique

Le 12 août 1941, le maréchal Pétain dans un long discours met en garde les Français contre « le vent mauvais » qu'il sent se lever et conclut : « En 1917, j'ai mis fin aux mutineries ; en 1940, j'ai mis un terme à la déroute. Aujourd'hui c'est de vous-mêmes que je veux vous sauver. » Il reconnaît implicitement que le mécontentement gagne du terrain. Depuis l'attaque de l'URSS par l'Allemagne, le parti communiste décide de passer à la lutte armée. Attentats et exécutions d'otages par les Allemands bouleversent les Français. Le régime durcit son appareil répressif en créant en août 1941 les Sections spéciales, tribunaux aux sentences immédiatement exécutoires et sans appel. La fin de l'année 1941 voit l'entrée en guerre des Etats-Unis. La population est de plus en plus touchée par les pénuries et accepte mal la politique de collaboration dont elle ne voit pas les bienfaits. Le retour au pouvoir de Pierre Laval, jugé servile envers les occupants en avril 1942 suscite la défiance. La popularité du maréchal n'en est pas affectée, au contraire.
Contrairement à ce qu'affirme le proviseur du lycée Thiers, l'attaque de Madagascar le 5 mai 1942 par les troupes britanniques ne suscite pas une réprobation unanime. La manifestation censée montrée l'indignation de la population marseillaise rencontre peu de succès. L'opinion publique a évolué depuis l'attaque en juillet 1940 de la flotte française en rade de Mers-el-Kébir. Les Marseillais restent attachés à l'empire colonial d'autant que leur ville est un grand port colonial mais n'interprètent pas forcément les opérations militaires britanniques, destinées à protéger leurs lignes de communication à travers l'océan indien comme une agression. Les rapports des Renseignements généraux confirment que les Provençaux cherchent à s'informer par d'autres canaux que ceux contrôlés par le gouvernement. Radio-Londres est massivement écoutée.
Dans son rapport de janvier 1942, l'inspecteur d'académie estimait que l'épuration était pratiquement achevée. Il est donc logique qu'il ne présente au préfet qu'une seule sanction. Veut-il mettre en valeur son efficacité ? Protéger ses troupes dans un contexte de plus en plus répressif ? Il ne va pas jusqu'à défendre des enseignants déférés devant le tribunal militaire.


Auteure : Sylvie Orsoni

Sources
Echinard Pierre, Orsoni Sylvie, Dragoni Marc, Le lycée Thiers, 200 ans d'histoire, Aix-en-Provence, Edisud, 2004.
Mencherini Robert, Vichy en Provence, Midi rouge, ombres et lumières, 2, Paris, Syllepse, 2009.