Intervention de l'American Friends Service Committee (AFSC) en faveur d'une internée à l'hôtel du Levant, Marseille, 7 janvier 1942.

Légende :

Lettre de l'American Friends Service Committee en faveur d’une internée de l'hôtel du Levant, 7 janvier 1942, Marseille

Type : lettre

Producteur : MUREL PACA

Source : © archives départementales des Bouches-du-Rhône, 7 W 111 Droits réservés

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille

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Analyse média

L'American Friends Service Committee est une œuvre de secours créée par les quakers des Etats-Unis. Une de ses missions est de venir en aide aux réfugiés. Le 7 janvier 1942 la déléguée de l'AFSC intervient en faveur d'EmilieWachenheim. Celle-ci, de nationalité allemande, a été internée au camp de Gurs dans les Pyrénées atlantiques (voir contexte historique). Elle a été autorisée, pour raison de santé, à résider dans la commune de LestelleBetharam située à une soixantaine de kilomètres de Gurs puis de venir à Marseille pour effectuer les démarches en vue de son émigration aux Etats-Unis. Elle dispose de trois mois pour effectuer ses démarches. Madame Wachenheim réside à l'hôtel du Levant, situé 36 rue Fauchier, dans le quartier de La Joliette. Cet hôtel est géré par le Comité d'assistance aux réfugiés (CAR) une organisation juive créée en 1936 (voir contexte historique). Il héberge les femmes et les enfants étrangers en instance d'émigration. Le séjour est payant. Les conditions de vie à l'hôtel du Levant d'abord meilleures que dans les hôtels Bompard et Terminus des ports, centres d'internement fermés, se dégradent rapidement sous le poids des réfugiés et ne sont pas compatibles avec l'état de santé de madame Wachenheim.  L'AFSC intervient auprès du service des étrangers pour que madame Wachenheim soit autorisée à résider dans un hôtel plus confortable car en janvier 1942, le CAR a du accepter le contrôle des autorités françaises et le Levant est en passe de devenir un centre d'internement fermé.

 L'administration française accrédite des médecins pour examiner les internées et évaluer le bien-fondé de leurs demandes de sorties des camps pour raison médicale. Le docteur Bajac certifie ainsi que l'état de santé de madame Wachenheim est incompatible avec son internement à Gurs. Le certificat du docteur Wertheimer n'a pas le même poids aux yeux des autorités françaises puisqu'il émane du CAR.  L’administration rejette la demande de l'AFSC.


Sylvie Orsoni

Contexte historique

Les quakers américains sont très actifs en France après la Première Guerre mondiale.  Ils sont reconnus par les autorités françaises qui ont apprécié leur action dans les départements du nord et de l'est de la France. A partir de janvier 1939, ils interviennent dans les camps d’internement auprès des réfugiés espagnols puis avec le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, de tous les réfugiés internés ou libres. L'American Friends Service Committee (AFSC) est une de leurs organisations caritatives. Le siège central de l'AFSC est situé dans le centre de Marseille, au 29 boulevard d'Athènes (voir fiche MUREL « L'aide quaker en France »). Leurs moyens financiers leur permettent de distribuer vivres et vêtements dans les camps, d'ouvrir des maisons de repos pour héberger femmes et enfants à la santé fragile. Dans les Bouches-du-Rhône, trois colonies de vacances permettent à des centaines d'enfants d'échapper aux camps d'internement. Les quakers mettent à profit leur bonnes relations avec les autorités françaises pour intervenir en faveur d'internés sans toujours obtenir satisfaction comme le montre le document.

Emily Wachenheim a été internée au camp de Gurs car à partir du 17 mai 1940, au moment de l'offensive allemande, les ressortissantes des pays ennemis sont internées sans que l'on prenne en compte le fait que nombre d'entre elles ont fui le régime nazi. Tous les témoignages décrivent des conditions de vie déplorables. La promiscuité, le manque d'hygiène, les rations de nourriture très insuffisantes et carencées provoquent de nombreuses maladies chez les internés. Dès les premiers mois de 1940, les premiers signes de la « maladie de la faim » apparaissent.  Les femmes internées qui veulent émigrer, peuvent être transférées à Marseille pour effectuer les démarches auprès des consulats et des compagnies de navigation. La décision dépend des autorités françaises qui jugent de leur capacité à obtenir les visas et payer leur voyage. Si les internées n'arrivent pas à émigrer dans le délai qui leur est imparti (ici du 28 octobre au 28 janvier), elles retournent dans le camp d'internement. Les femmes internées, candidates à l’émigration, séjournent soit dans les hôtels Bompard, Terminus des ports qui sont des centres fermés, soit à l'hôtel du Levant.  Cet hôtel est géré par le comité d'assistance aux réfugiés (CAR). Le CAR est fondé en juin 1936. Il succède au Comité national français de secours aux victimes de l'antisémitisme, fondé par des notables juifs français proches du consistoire, pour secourir les réfugiés juifs d'Allemagne et aider à leur émigration. Dès le début, comme le Comité national français de secours aux victimes de l'antisémitisme, le CAR fait le choix de coopérer avec les autorités françaises sans juger de leurs décisions à l'égard des réfugiés .et se proclame résolument apolitique. Il entend que les réfugiés fassent de même et se gardent de toute activité politique. Le CAR crée au début de l'année 1940 une commission des camps habilitée par les autorités françaises à se rendre dans les camps et centres de rassemblement.  Le CAR est présent à Marseille puisque la ville, dotée de nombreux consulats et grand port de la zone sud est devenue la plaque tournante des candidats à l'émigration.

Sous la cote 7 W 111, la fiche de madame Wachenheim contient plusieurs demandes de sorties de l'hôtel du Levant pour raisons médicales. Le 28 juin 1942, l'AFSC intervient à nouveau en faveur de madame Wachenheim qui obtient de séjourner un mois en convalescence à L'Isle sur Sorgue dans le Vaucluse. Elle a donc obtenu un sursis et n'est pas rentrée à Gurs. La fiche de madame Wachenheim ne permet pas de savoir ce qu'il advient d'elle au-delà du 28 juin 1942. Elle ne figure pas sur les listes établies par Serge Klarsfeld des juifs transférés à partir d’août 1942 vers Drancy à destination d'Auschwitz. A partir d’août 1942, tous les visas de sortie du territoire français sont annulés pour les Juifs étrangers et l'émigration devient extrêmement difficile.

 


Sylvie Orsoni

Sources

Grynberg Anne, Les camps de la honte. Les internés juifs des camps français, 1939-1944, La Découverte/Poche,Pari, 1999.

Klarsfeld Serge, Les transferts de Juifs de la région de Marseille vers les camps de Drancy ou de Compiègne en vue de leur déportation, 11 août 1942-24 juillet 1944, publié par l'association « Les Fils et Filles des Déportés Juifs de France », Paris, 1992.

Mencherini Robert, Vichy en Provence, Midi Rouge, ombres et lumières, tome 2. Paris, Syllepse, 2009.

Mencherini Robert, De la galaxie des Milles aux rafles de juifs en Provence, in Provence-Auschwitz. De l'internement des étrangers à la déportation des Juifs, 1939-1944 (dir. Robert Mencherini),collection Le temps de l'Histoire, P.U.P., Aix-en Provence, 2007.

Orsoni Sylvie, Etrangères indésirables : les centres d'internement féminin à Marseille (1940-1942), inProvence-Auschwitz. De l'internement des étrangers à la déportation des Juifs, 1939-1944 (dir. Robert Mencherini),collection Le temps de l'Histoire, P.U.P., Aix-en Provence, 2007.

Peschanski Denis, La France des camps. L'internement 1938-1946. Editions Gallimard, Paris, 2002.