Réfugiés, étrangers et indésirables

En 1940, au moment de l’offensive allemande, des milliers de Français et d’étrangers, en fuite devant les troupes ennemies, affluent en Provence. Ceux qui le peuvent et sont autorisés à le faire, retournent, à partir de l’été 1940, dans leur région d’origine. Mais un grand nombre demeurent en Provence. Ils sont rapidement rejoints par d’autres réfugiés qui souhaitent quitter la France. Il leur est possible, à Marseille où se sont repliés la plupart des consulats, d’obtenir les papiers indispensables au départ. Le camp des Milles, pour les hommes, et les hôtels de Marseille réquisitionnés pour les femmes et les enfants deviennent à ce moment-là des lieux de transit.

Beaucoup d’étrangers réfugiés sont considérés « indésirables » par le gouvernement de Vichy et internés dans des camps ou des groupes de travailleurs étrangers (GTE). Parmi eux, beaucoup de Juifs.

Auteur(s): Robert Mencherini

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Actualités

À propos des étrangers, indésirables et individus dangereux haut ▲

La France après la Première Guerre mondiale est une terre d'accueil. La loi du 27 juillet 1927 permet d'acquérir assez facilement la nationalité française. Mais les difficultés économiques remettent en cause cette politique d'intégration et suscitent une montée de la xénophobie. Dés 1932, une loi limite le recrutement et l'emploi de la main d'œuvre étrangère dans le secteur privé. A partir de 1934, une série de lois renforce le contrôle des étrangers. L'arrivée au pouvoir d'Hitler, l'emprise grandissante du nazisme sur l'Autriche et la Tchécoslovaquie entraînent des vagues de réfugiés, en particulier juifs, perçus négativement par une partie de la population et de la presse. Le nombre de réfugiés autrichiens et allemands est évalué par Rita Thalmann et Barbara Vormeier à 40 000 personnes. Sur les 360 000 Juifs de métropole, 160 000 sont étrangers. Le chiffre est modeste rapporté aux quarante millions de Français mais alimente des campagnes de presse hostiles. Le 14 avril 1938, le ministre de l'Intérieur, Albert Sarraut, invite dans une circulaire les préfets à « mener une action méthodique, énergique et prompte en vue de débarrasser le pays des éléments indésirables. »  Le décret-loi du 12 novembre 1938 permet l'internement des indésirables dans des « centres spécialisés ». Pour l'historien Pierre Laborie, à partir de 1938, une crise d'identité nationale devient   évidente et assimile l'étranger à l'indésirable.En janvier 1939, après la chute de Barcelone, 465 000 Espagnols traversent la frontière. Cinq camps d'internement sont improvisés dans les Pyrénées orientales et un camp dans les Pyrénées atlantiques. Le camp de Rieucros, près de Mende en Lozère, est ouvert le 21 janvier 1939 enapplication du décret du 12 novembre 1938. De nombreux réfugiés antinazis y sont envoyés. Dès avril 1939, des instructions secrètes de l'État-major prévoit l'internement des étrangers de sexe masculin âgés de 17 à 50 ans. Le décret-loi du 18 novembre 1939 aggrave les dispositions du décret de 1938 et permet l'internement à titre préventif de tout élément « suspect au point de vue national et politique ». C'est une loi des suspects. Les communistes français rejoignent les indésirables étrangers dans les camps. Après l'entrée des troupes allemandes en Belgique, le 15 mai 1940, il est décidé l'internement des ressortissants du Reich âgés de 17 à 56 ans et le 17 mai des femmes âgées de 17 à 65 ans. La IIIe République lègue au gouvernement de Vichy un arsenal répressif ouvrant la porte à l'arbitraire, une constellation de camps et une population stigmatisée, affaiblie moralement et physiquement par les conditions déplorables d'internement. Le gouvernement de Vichy supprime dès juillet 1940 les quelques voies de recours offertes aux internés. Au critère de nationalité, il ajoute le critère racial. Les lois des 3 et 4 octobre 1940 puis le deuxième statut des Juifs permettent l'internement des juifs étrangers puis français qui peuvent être internés en tant que tels. Tous les échelons de l'administration sont sommés de participer à la traque et l'internement des indésirables.

Marseille et sa région qui étaient apparues à de nombreux persécutés comme un refuge et une porte vers l'émigration deviennent un piège.

 

Auteur(s) : Sylvie Orsoni
Source(s) :

Les camps en Provence ; exil, internement, déportation, 1933-1944, Aix-en-Provence, Alinéa, 1984.

Grynberg Anne, Les camps de la honte. Les internés juifs des camps français, 1939-1944, La Découverte/Poche, Paris, 1999.

Laborie Pierre, « Les Espagnols et les Italiens dans l'imaginaire social », in P. Milza et D. Peschanski (sous la dir. De ), Exils et migrations .Espagnols et Italiens en France 1938-1946, Paris, L'Harmattan, 1994, p .275 .

 

Mencherini Robert, Vichy en Provence, Midi Rouge, ombres et lumières, tome 2.,Paris, Syllepse, 2009.

 

Mencherini Robert, De la galaxie des Milles aux rafles de juifs en Provence, in Provence-Auschwitz. De l'internement des étrangers à la déportation des Juifs, 1939-1944 (dir. Robert Mencherini),collection Le temps de l'Histoire, P.U.P., Aix-en Provence, 2007.

 

Peschanski Denis, La France des camps. L'internement 1938-1946, Editions Gallimard, Paris, 2002.

 

Seghers Anna, Transit, Paris, la Bibliothèque française, rééd. Aix-en-Provence, Alinéa 1986. 

 

Thalmann Rita, « L'accueil des émigrés allemands en France de 1933 à la déclaration de guerre, in Jacques Grandjonc (sous la dir. de), Emigrés français en Allemagne, émigrés allemands en France, 1685-1945, Paris, 1983.

 

 

 

 

 

Camps pour les "indésirables" haut ▲

A partir des années Trente, les principes républicains vacillent, l'opinion publique, inquiète de la montée des tensions en Europe et des difficultés économiques, est sensible aux discours xénophobes et antisémites. Le ministre de l'Intérieur, Albert Sarraut, dans une circulaire d'avril 1938 appelle les préfets « à une action méthodique, énergique et prompte en vue de débarrasser le pays des éléments indésirables qui y circulent ». Le 12 novembre 1938, il fait voter un décret-loi qui permet, à titre préventif, l'internement administratif dans des « centres spécialisés » des étrangers suspectés de porter atteinte à l'ordre public et à la sécurité nationale. Les républicains espagnols, puis à l'entrée en guerre de la France, les ressortissants du Reich sans considération de leur statut de réfugié politique et les communistes français peuplent les camps qui se multiplient sur le sol français et dans la région. Anne Grynberg, dans son ouvrage « Les camps de la honte »,résume ce que furent ces camps à travers le témoignage du docteur Sender, ancien interné de Gurs : « Ce n'étaient certes pas des camps d'extermination ; mais, quels que soient les différents qualificatifs officiels, ce furent des camps de concentration « à la française », des camps de profonde misère où des milliers d'êtres humains, surtout des vieillards et des enfants allaient succomber, victimes de la faim, du manque d'hygiène et de l'abandon affectif. »

 

Auteur(s) : Sylvie Orsoni
Source(s) :

Les camps en Provence ; exil, internement, déportation, 1933-1944, Aix-en-Provence, Alinéa, 1984.

Grynberg Anne, Les camps de la honte. Les internés juifs des camps français, 1939-1944, La Découverte/Poche, Paris, 1999.

Mencherini Robert, Vichy en Provence, Midi Rouge, ombres et lumières, tome 2.,Paris, Syllepse, 2009.

 

Mencherini Robert, De la galaxie des Milles aux rafles de juifs en Provence, in Provence-Auschwitz. De l'internement des étrangers à la déportation des Juifs, 1939-1944 (dir. Robert Mencherini),collection Le temps de l'Histoire, P.U.P., Aix-en Provence, 2007.

 

Peschanski Denis, La France des camps. L'internement 1938-1946, Editions Gallimard, Paris, 200

 

 

Étude de cas : le camp de Saliers haut ▲

Le camp pour nomades de Saliers est le seul camp de ce type en zone sud. Officiellement ouvert le 15 juin 1942, il est fermé le 15 octobre 1944 par arrêté préfectoral. De ce camp situé sur la commune d'Arles mais à 14 kms de la ville, il ne reste rien sinon un mémorial érigé en 2006 à l’initiative du Musée de la Résistance et de la Déportation d’Arles et de la Mairie.  La France de la IIIe République et plus encore celle de Vichy se couvrent de camps d'internement. Saliers est-il un exemple de plus de l'exclusion qui frappe des catégories entières de population dès les dernières années de la IIIe République ou témoigne-t-il de la spécificité des politiques à l'égard des populations nomades ou réputées telles ?

            Le camp de Saliers ne fut pas un enjeu majeur dans la lutte contre l'anti-France. En revanche, il montre qu'une population stigmatisée de longue date et sans relais dans la société environnante peut être abandonnée à son sort quand les circonstances deviennent troubles.

Auteur(s) : Sylvie Orsoni
Source(s) :

Bertrand Francis, Jacques Grandjonc, « Un ancien camp de bohémiens » : Saliers, in Les camps en Provence. Exil, internement, déportation. 1933-1942, (dir. Grandjonc Jacques, GrundtnerTheresia, Aix-en-Provence, Alinea, 1984.

Debilly isabelle, Un camp pour les Tsiganes, Saliers, Bouches-du-Rhône, 1942-1944, dossier pédagogique n°6, Archives départementales, Conseil général des Bouches-du-Rhône, 2001.

Grynberg Anne, Les camps de la honte. Les internés juifs des camps français, 1939-1944, La Découverte/Poche,Pari, 1999.

Mencherini Robert, Vichy en Provence, Midi Rouge, ombres et lumières, tome 2. Paris, Syllepse, 2009.

 Peschanski Denis, La France des camps. L'internement 1938-1946. Editions Gallimard, Paris, 2002.

PeschanskiDenis,  Les Tsiganes en France. 1939-1946. Paris, CNRS Editions, 1994.