le camp de gitans de Saliers (Bouches-du-Rhône), outil de propagande pour le gouvernement de Vichy, 8 octobre 1942, 142 W 76

Légende :

Pages1 et 2 du rapport de l'architecte des Monuments historiques sur le camp de Saliers, 8 octobre 1942

Type : rapport administratif

Producteur : MUREL PACA

Source : © archives départementales des Bouches-du-Rhône, 142 W 76 Droits réservés

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille

Ajouter au bloc-notes

Analyse média

Le 8 novembre 1942, l'architecte des Monuments historiques de la sous-préfecture d'Arles présente le camp de Saliers destiné à l'internement des nomades.

Le rapport oscille entre autosatisfaction et paternalisme à l'égard des internés qui deviennent au fil des lignes les acteurs involontaires d'un film de propagande, les résidents d'un zoo pour touristes éventuels attirés par « la vie pittoresque de ses habitants », ou pourquoi pas des figurants tout trouvés pour l'industrie cinématographique.

En introduction, l'architecte officiel de la sous-préfecture d'Arles rappelle la situation géographique du camp et se substitue aux internés pour justifier le choix du lieu : « ce terrain situé en Camargue, lieu de prédilection des nomades ». La double fonction du camp apparaît dans le premier point abordé. Il s'agit de sédentariser des nomades : « S'il ne faut pas se dissimuler que pour certains la renonciation à la vie nomade sera pénible au début, on peut néanmoins espérer que le choix de la région où ils sont appelés à mener une existence sédentaire, cette Camargue dont ils se prétendent originaires, leur facilitera cette période d'acclimatation. » Il faut également une réalisation qui permette « par le film de réfuter les allégations qui sont formulées actuellement à l'étranger contre les camps français. » Le terme de décor vient tout naturellement sous la plume de l'architecte des Monuments historiques.

Le reste du rapport présente comme des réalisations effectives ce qui n'est qu'ébauche (les 30 cabanes camarguaises) ou qui ne sera jamais réalisé (voire notices inspection sanitaire du camp de Saliers et une école pour le camp de nomades de Saliers).

La conclusion du rapport abandonne tout faux-fuyant et montre la vocation de Saliers : « Avant tout, le Camp de Saliers doit être un argument de propagande gouvernementale. Cet argument a consisté à donner à un camp de concentration l'aspect d'un village et d'y permettre la vie familiale et le respect des coutumes et croyances des internés. 


Sylvie Orsoni

 

Contexte historique

Le camp de Saliers est le seul camp d'internement pour nomades de la zone sud. Sa création est décidée lors de la conférence interministérielle du 25 mars 1942. L'emplacement est choisi pour sa proximité avec les Saintes Maries de la mer, lieu de pèlerinage des gitans et pour son isolement. Situé à 14 kilomètres d'Arles, sur le domaine de Saint Césaire, le terrain est loué puis réquisitionné par le ministère de l'Intérieur. C'est le Service social des étrangers(SSE) dépendant du ministère du Travail qui prend en charge la construction du camp. Situé dans un site classé, la conception du camp revient à l'architecte des monuments historiques de la sous-préfecture d'Arles. Celui-ci conçoit un projet pimpant apte à dissimuler tout caractère contraignant du camp. Il espère que le camp deviendra une attraction touristique, ce qui montre la considération qu'il a pour les internés.

 Les   Gitans ou Tsiganes sont astreints par la loi du 16 juillet 1912 à porter un document d'identité qui leur est propre, le carnet anthropométrique. La loi vise l'ensemble des populations ambulantes. Mais l'article 3 distingue les « nomades » des autres personnes exerçant une profession ou un commerce ambulant : « Sont réputés nomades pour l'application de la présente loi, quelle que soit leur nationalité, tous individus circulant en France sans domicile ni résidence fixe et ne rentrant dans aucune des catégories ci-dessus spécifiées, même s'ils ont des ressources ou prétendent exercer une profession. » Les personnes domiciliées en France et souhaitant exercer une profession ambulante doivent simplement se déclarer, les Français voulant exercer un commerce ou une industrie foraine doivent disposer d'un carnet d'identité. Les « nomades » sont définis de manière raciale sans que cela soit dit puisque la nationalité française ne les exonère pas du carnet anthropométrique. Ce carnet est un carnet collectif qui comprend photos et empreintes digitales mais du côté de l'administration comme des familles nomades, l'approximation règne dans la tenue des carnets. Le 6 avril 1940, un décret interdit la circulation des nomades sur tout le territoire et pour la durée de la guerre. Ils sont astreints à résidence dans la commune choisie par le préfet, loin d'agglomérations importantes. Les nomades sont considérés comme des espions potentiels. Mais l'internement n'est pas envisagé pour des raisons budgétaires et sécuritaires (le ministre de l'Intérieur craint que cela ne produise le regroupement de dangereuses bandes derrière les barbelés). Le décret d'avril 1940 permet également un autre objectif : obliger les nomades à abandonner leur mode de vie et se sédentariser. Dans les Bouches-du-Rhône, le préfet choisit Arles par sa proximité avec la Camargue et les Saintes Maries de la mer, lieu de pèlerinage traditionnel des gitans.

En zone occupée, les autorités allemandes expulsent les nomades des régions situées en bord de l'Atlantique et demandent que les autorités françaises organisent et surveillent des camps destinés aux nomades. Dans la zone sud, le décret d'avril 1940 l'emporte jusqu'à la conférence interministérielle du 25 mars 1942 qui décide de la création du camp de Saliers. Les nomades ou Tsiganes ne font pas partie des obsessions de la propagande vichyste comme les Juifs, les Francs-maçons ou les communistes destinés à être exclus de la nation. Le changement de politique à l'égard des nomades s'explique par d'autres raisons. Des centaines de nomades expulsés d'Alsace par les Allemands à l'été et à l'automne 1940 ont été internés dans les camps de Rivesaltes et du Barcarès (Pyrénées-Orientales). Leur transfert dans un camp spécifique soulagerait ces camps surpeuplés. De plus, l'internement permettrait d'imposer une sédentarisation aux nomades. L'objectif dépasse donc le temps de guerre. Enfin, un camp-vitrine permettrait de répondre aux critiques venant de Suisse et des Etats-Unis qui stigmatisent les camps d'internement français.

Le camp de Saliers est confié dans un premier temps au Service social des étrangers (SSE) qui dépend du ministère du Travail. Le SSE est dirigé par Gilbert Lesage, un quaker expulsé d'Allemagne en 1933. Gilbert Lesage, très engagé dans l'aide aux réfugiés, permit le sauvetage de nombreux Juifs et fut reconnu en 1986 comme Juste parmi les nations par l'état d'Israël. Le premier commandant du camp, Albert de Pelet comme son successeur Albert Robini appartenait à la Résistance.  Malgré ce contexte plutôt favorable, le camp de Saliers fut un échec et ne constitua pas la vitrine souhaitée par les autorités de Vichy.


            Sylvie Orsoni

Sources

Bertrand Francis, Jacques Grandjonc, « Un ancien camp de bohémiens » : Saliers, in Les camps en Provence. Exil, internement, déportation. 1933-1942, (dir. Grandjonc Jacques, GrundtnerTheresia, Aix-en-Provence, Alinea, 1984.

Debilly isabelle, Un camp pour les Tsiganes, Saliers, Bouches-du-Rhône, 1942-1944, dossier pédagogique n°6, Archives départementales, Conseil général des Bouches-du-Rhône, 2001.

Grynberg Anne, Les camps de la honte. Les internés juifs des camps français, 1939-1944, La Découverte/Poche,Pari, 1999.

Mencherini Robert, Vichy en Provence, Midi Rouge, ombres et lumières, tome 2. Paris, Syllepse, 2009.

Peschanski Denis, La France des camps. L'internement 1938-1946. Editions Gallimard, Paris, 2002. 

PeschanskiDenis,  Les Tsiganes en France. 1939-1946. Paris, CNRS Editions, 1994.