Lycée polonais de Villard-de-Lans

Légende :

Plaque de la septième station du chemin de croix de Valchevrière consacrée à la mémoire des Polonais morts dans les combats du Vercors.

Genre : Image

Producteur : Alain Coustaury

Source :

Détails techniques :

Photo argentique couleur

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Isère - Villard-de-Lans

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Analyse média

C’est sur une route forestière, entre Villard et la petite chapelle de l’ancien hameau de Valchevrière, qu’a été érigé un Chemin de Croix, en souvenir des événements qui ont bouleversé la région en 1944. Valchevrièe est un hameau du Villard-de-Lans, séparé du bourg par huit kilomètres de route forestière.

Le 16 juin 1944, les Allemands, après avoir incendié Saint-Nizier, investissaient Villard-de-Lans. La paroisse fit alors le vœu de célébrer solennellement un pèlerinage à Valchevrière, le 8 septembre, par un Chemin de Croix.

Le 23 juillet, malgré l’héroïsme des défenseurs, les Allemands réussirent à s’emparer du hameau de Valchevrière et l’incendièrent. Il a été décidé de construire treize petits oratoires (un tous les 500 mètres environ). Ce sont les stations traditionnelles du Chemin de la Croix, la quatorzième étant la vieille chapelle, restée intacte au milieu du hameau incendié.

L’œuvre a été placée sous la direction artistique de M. Pouradier-Duteil, architecte à Grenoble. L’ensemble était terminé en automne 1947. Le Chemin de Croix fut inauguré le 12 septembre 1948.

La septième station est dédiée aux victimes polonaises du lycée Cyprian Norwid replié à Villard-de-Lans. Elle est construite dans le style des chapelles de Zakophane, ville polonaise. Les noms des Polonais disparus y sont gravés avec cette inscription : « Pour le liberté, la justice, la dignité de l’Homme, pour la France et la Pologne, sont morts aux champs d’honneur, ont souffert dans les prisons et camps de concentration les professeurs, les élèves, les employés du lycée polonais Cyprian Norwid ».


Auteurs : Jean Sauvageon

Sources : Introduction de l’opuscule "Valchevrière, le chemin de croix du Vercors, Grenoble 1950

Contexte historique

Depuis des décennies, les Polonais ont émigré vers la France pour des raisons économiques mais aussi politiques. L’invasion de la Pologne par les Allemands et par les Soviétiques, en 1939, a chassé de nouvelles couches de la population vers la France alliée de la Pologne.

Pour accueillir les élèves et étudiants, les exilés polonais ouvrent, à Paris, en 1939, le lycée Cyprian Norwid, chassé par l’invasion allemande en 1940, les recherches d’un lieu d’implantation sont difficiles. De nombreux étudiants polonais sont déjà accueillis à Grenoble, et « une partie de l’intelligentsia d’avant-guerre, l’élite varsovienne s’y est aussi regroupée ». Grenoble est aussi proche de la frontière suisse. Les responsables trouvent, à Villard-de-Lans, l’Hôtel du Parc et du Château où ils installent le lycée, le 18 octobre 1940, en plein centre du bourg. L’établissement conserve son nom, c’est le lycée Cyprian Norwid. « Sur le plan administratif, la Croix-Rouge polonaise agit au nom du gouvernement polonais en exil. Elle prend en charge la location des bâtiments et les met à disposition du Service de contrôle social des étrangers (SCSE). Elle embauche du personnel.[…] Le gouvernement polonais en exil finance le lycée avec des fonds acheminés via la Suisse […] Quand, en juin 1941, la Croix-Rouge polonaise tombe sous la coupe des Allemands, un Groupement d’Assistance aux Polonais en France (GAPF) est formé de toutes pièces pour la remplacer ». « L’établissement dépend de l’académie de Grenoble qui valide une première session du baccalauréat polonais en juin 1941, la seule organisée dans toute l’Europe ! », indique Gilles Vergnon. En effet, les études continuent à être organisées comme en Pologne. « Les élèves sont répartis dans les quatre classes de l’enseignement secondaire (le gymnase) et les deux classes de terminale (le lycée). À la fin du premier cycle, ils passent la "Mala Matura" ou "petit baccalauréat", notre BEPC, et à la fin du second la "Matura", reconnue comme équivalent du baccalauréat ».

Le recrutement des élèves arrivant d’horizons divers est très varié. Ce sont de jeunes soldats démobilisés arrivés clandestinement en France, ce sont des évadés de camps de prisonniers mettant à profit leur inaction pour terminer leurs études. Ce sont les enfants des réfugiés de guerre qui ont rejoint la France en 1939 et 1940. Les effectifs sont complétés par les enfants des émigrants d’avant-guerre habitant dans la région ou venant des bassins miniers de Lorraine, Pas-de-Calais, Gard, Corrèze. Un nombre restreint d’élèves, de familles aisées en vacances sur la Riviera italienne ou la Côte d’Azur à la déclaration de guerre, se retrouve à Villard. Les filles minoritaires au début sont majoritaires dans les dernières années. Le 6 décembre 1940, on recense 125 élèves. En 1941-42, le lycée accueille 192 élèves et 230 en 1943-44. Les locaux s’avèrent insuffisants. De nouveaux hôtels sont loués à Villard-de-Lans ou à Lans pour les filles.

Le recrutement des professeurs est hétéroclite mais d’une excellente qualité : universitaires, ingénieurs, jeunes diplômés… Une soixantaine se succèdent au fil des ans. Ils sont tous jeunes, seuls trois professeurs ont plus de 50 ans. Certains même enseignent à des élèves plus âgés qu’eux !

Le lycée s’insère dans la vie locale, les jeunes participent aux activités sportives. La chorale donne des concerts, notamment le dimanche à l’église, et la messe devient une véritable attraction pour les Villardiens. Certains élèves sont relativement âgés et ne souhaitent pas rester passifs. Aussi, ils souhaitent quitter la France et regagner la Grande-Bretagne pour poursuivre la guerre contre les nazis. Il faut trouver des filières permettant de traverser les Pyrénées, gagner l’Espagne, le Portugal, Gibraltar, l’Algérie. Plus de 90 élèves et 3 professeurs tentent l’aventure. Certains mettent près d’un an pour parvenir à Londres où ils s’engagent dans l’armée polonaise. D’autres, « jeunes comme adultes, garçons comme filles, participent aux activités résistantes : des journaux polonais clandestins circulent, des tracts sont ronéotypés et diffusés, un émetteur-récepteur de radio est activé, des armes de poing sont dissimulés dans les chambres, des exercices d’entraînement par groupes de sept ou neuf élèves sont organisés ». « Dès novembre 1940, le régime de Vichy soumet le lycée à une étroite surveillance policière. Il s’agit d’empêcher les élèves de fuir en Angleterre. […] L’entrée de l’armée allemande en zone libre, fin 1942, marque un tournant. Le lycée est plus que suspect aux yeux de l’occupant : il impose qu’aucun élève de plus de 17 ans ne soit admis. Le lycée ne peut plus désormais accueillir ces anciens militaires susceptibles de rejoindre la Résistance en France ou à l’étranger. »

Plusieurs responsables de l’établissement sont arrêtés, le directeur Lubicz-Zaleski en mars 1943 à Grenoble, déporté à Buchenwald ; un an après, c’est son remplaçant, Godlewski qui est arrêté à La Tronche, alors qu’il organise le départ vers l’Espagne des derniers étudiants polonais de Grenoble, il est déporté à Mauthausen.

En 1944, la situation s’aggrave sur le massif, les occupants allemands aidés par la Milice lancent des actions de répression, attaques contre Les Baraques-en-Vercors en janvier, contre Malleval en janvier et mars, contre La Chapelle-en-Vercors, Rousset, Saint-Julien-en-Vercors et Vassieux-en-Vercors en mars et avril. Les autorités allemandes visitent régulièrement le secrétariat du lycée. En accord avec le rectorat, il est décidé d’avancer la date du baccalauréat à fin mars pour pouvoir renvoyer les élèves chez eux. Restent alors les plus jeunes élèves. Après le débarquement, le 8 juin 1944, c’est l’ordre de mobilisation du Vercors. C’est aussi la montée des jeunes de la vallée, de Romans, de Grenoble. Les Allemands réagissent : le 13 juin, ils donnent l’assaut à Saint-Nizier, le 16 juin, ils entrent dans Lans puis dans Villard-de-Lans. Le lycée est encerclé, perquisitionné, les responsables interrogés. S’il n’y a pas eu de répression plus sévère, « on dit que leur commandant était Autrichien et qu’il fut plus tard fusillé pour ne pas avoir "pacifié" avec suffisamment de poigne ce territoire un moment contrôlé par les FFI ». En effet, le 3 juillet, la République française est restaurée dans le Vercors. Le 14 juillet, en fin de matinée, c’est le parachutage spectaculaire près de Vassieux. Les responsables du lycée pensent que la mobilisation ne doit pas concerner les élèves, les professeurs sont réticents ; ce n’est pas l’avis des Résistants ni des élèves qui l’accueillent avec joie. Tous les garçons de plus de 16 ans se déclarent volontaires. 27 Polonais quittent Villard-de-Lans dont 12 élèves, 5 professeurs, le médecin et 9 employés. Il ne reste qu’une trentaine de personnes au lycée. Les 12 élèves et 7 employés sont envoyés à Vassieux rejoindre le capitaine Tournissa pour participer à l’aménagement du terrain d’aviation. Les Polonais sont installés avec une vingtaine de travailleurs français dans la paille d’une grange, en plein village.

Le 21 juillet, c’est l’attaque allemande avec les planeurs. Les élèves n’ont pas d’armes. Dans le bruit et l’affolement, ils se dispersent et plusieurs sont abattus, quelques-uns parviennent à se cacher dans des grottes sous le village. Les survivants réussissent à regagner Villard. Au total, ce sont 11 élèves et 4 professeurs ou employés qui ont laissé leur vie dans les combats du Vercors. 14 autres trouvent la mort sur d’autres champs de bataille ou en déportation.

De septembre 1944 à juillet 1946, le lycée fonctionne. En 1945, il passe sous le contrôle des nouvelles autorités polonaises ce qui n’est pas sans poser problème à une direction du lycée en opposition avec les orientations politiques d’après-guerre. Le 26 juin 1946, le lycée de Villard-de-Lans ferme définitivement ses portes et, à la rentrée de 1946, il est installé à nouveau à Paris.

Plusieurs lieux de mémoire rappellent ces épisodes à Villard-de-Lans. La septième station du chemin de croix de Valchevrière leur est consacrée. Un transept de l’église a accueilli le tableau du père d’un élève. Une plaque commémorative a été apposée au cimetière de Vassieux. Une plaque est dédiée à la mémoire des victimes dans la cour de l’école parisienne. Deux plaques se trouvent dans deux églises de Varsovie qui compte aussi une « rue des Villardiens ». Une association des anciens élèves s’est constituée en Pologne, une autre en France qui, chaque année, début septembre, tient son assemblée générale à Villard-de-Lans.

Il est possible de se reporter au site www.lycée polonais.com qui présente de très nombreuses illustrations.


Auteurs : Jean Sauvageon

Sources : Association Mémoire du lycée polonais Cyprian-Norwid, Des résistants polonais en Vercors, PUG, novembre 2011.

Gilles Vergnon, Résistance dans le Vercors. Histoire et lieux de mémoire, Glénat et Parc Naturel Régional du Vercors, mai 2012.