Voix et visages, n°1, 1946
Légende :
Dans ce premier numéro de Voix et Visages, bulletin mensuel de l'ADIR, de juin 1946, Geneviève de Gaulle rédige un éditorial intitulé "le retour".
Genre : Image
Type : Bulletin associatif
Source : © Département AERI de la Fondation de la Résistance Droits réservés
Détails techniques :
Première page du bulletin
Date document : Juin 1946
Lieu : France - Ile-de-France - Paris - Paris
Analyse média
Retranscription :
"Il y a un an : la Suisses et ses arbres fruitiers en fleurs, les villes claires et riches avec les vitrines succulentes des pâtissiers et les foules bien vêtues. Marcher librement, ne plus avoir peur, ni faim. Le premier bain, la première salade et ce doux soleil d'avril. Nous allions cependant comme en rêve. Où était cette joie inimaginable du retour ? Nous n'étions plus à la taille de cette joie, usées, limées comme des étoffes trop minces.
Mais quoi ? Il a fallut vivre depuis. Ce n'était pas pour rire qu'on revenait de la souffrance et de la mort. Les salades, les bains, le soleil sont des rêves de captives. Il faut reprendre, à peine libre, les combats à bras le corps.
Tant de dtresse après ce premier choc du retour : les morts d'êtres chers, les foyers détruits, les maisons pillées, les santés atteintes. Et l'attente anxieuse de ceux et celles qui ne reviendront jamais.
Le bonheur même reste grave. Il y demeure présente toute la souffrance humaine. On n'oublie pas facilement la misère et la mort, ni la solidarité d'une épreuve commune.
Mais nous n'avons pas été seules pour reprendre pied dans ce monde étonnant de la liberté. Un regard rencontré, une main serrée, quelques souvenirs retrouvés ensemble ; et voici que se tisse dans le présent comme dans le passé notre camaraderie. C;'est notre force, comme en prison ou au camp, que cette amitié virile, efficace, totale. Nous avons besoin de la donner et de la recevoir pour être dignes de notre nouvelle tâche humaine.
Nous avons maintenant la joie profonde et le réconfort de pouvoir dire en pesant notre solidarité d'autrefois et celle d'aujourd'hui : "Mes camarades".
Contexte historique
Rôle de Geneviève de Gaulle Anthonioz à l'Association des anciennes déportées et internées de la Résistance (ADIR)
Dès son retour Geneviève participe à la constitution de l'Association des anciennes déportées et internées de la Résistance qui fait suite à l'Association des prisonnières de la Résistance qui avait été créée par Mme Delmas au moment de la Libération. Entrée au Conseil, elle y est très active comme membre avant d'être élue Présidente de l'Association en 1958. Avant même de prendre cette fonction, elle va assister début 1947, en tant qu'observatrice et non comme témoin, au Procès de Hambourg où, sous juridiction britannique, comparaissent des criminels responsables de l'assassinat collectif de plus de 90 000 femmes et enfants au camp de Ravensbrück. Avec amertume elle note l'indifférence dans laquelle se déroule ce procès. A peine revenue de Hambourg, dans une conférence qu'elle intitule « L'Allemagne jugée par Ravensbrück », elle « refait » le procès avec justesse, en témoin lucide du système concentrationnaire, démontrant les responsabilités de tout un peuple dans une organisation qui s'était étendue à tout le territoire de l'Allemagne. Naturellement elle assure un rôle important dans le travail de recherche sur les expériences pseudo-médicales et l'indemnisation des victimes. A l'ADIR même, elle présidera bien des Conseils avec objectivité et sagesse, très attentive aux avis des autres membres. Les discussions étaient bienvenues sur tous les sujets abordés. Chaque année nous aimions nous retrouver auprès d'elle lors de l'Assemblée générale qui se déroulait à Paris. Cette Assemblée étant toujours précédée d'une réunion des déléguées venues de toute la France, apportant les nouvelles de nos compagnes éloignées et de la vie de l'ADIR de nombreux départements. Toutes trouvaient dans l'affectueuse présence de Geneviève les encouragements réconfortants pour poursuivre leur tâche. Autre moment privilégié, attendu par toutes : nos rencontres interrégionales qui, tous les deux ans, nous permettaient d'aller découvrir les hauts lieux de la Résistance et ceux qui en avaient été les acteurs. Geneviève y était notre porte-parole. Écoutée et applaudie, elle avait le don des mots justes, imprégnés de cette fraternité que nous nous lui connaissions si bien et qu'elle communiquait à tous nos camarades de combat. Très fatiguée, mais rayonnante, elle fut des nôtres dans les côtes d'Armor en septembre 2000, alors que nous suivions les pas des Évadés de France. Nous garderons à jamais au fond de nos cœurs ce dernier souvenir de son merveilleux regard plein de la tendresse particulière qu'elle nous réservait.
Jacqueline Fleury, vice-présidente de l'Association des Anciennes Déportées et Internées de la Résistance (ADIR)