Parachutage d'armes sur le Vercors, juillet 1944 (ne pas publier)
Légende :
Photographie prise à la verticale du lieu-dit "Les Granges" au sud du terrain "taille-crayon" à Vassieux-en-Vercors
Genre : Image
Type : Photographie
Source : © Musée de la Résistance de Vassieux-en-Vercors Droits réservés
Détails techniques :
Photographie analogique en noir et blanc
Date document : 14 Juillet 1944
Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Vassieux-en-Vercors
Contexte historique
Le parachutage du 14 juillet à Vassieux-en-Vercors s'inscrit dans une vaste opération dont le nom de code est « Cadillac ».
Le premier parachutage sur le Vercors est réalisé le 13 novembre 1943 sur la clairière d'Arbounouse. D'autres parachutages nocturnes ont lieu le 10 mars 1944 sur le terrain « Gabin » de Vassieux-en-Vercors, le 16 mars sur « Coupe-papier » entre Saint-Martin et Saint Julien-en-Vercors, le 9 avril à Vassieux, le 26 mai à Combovin. Après le 6 juin, l'afflux de résistants dans le Vercors nécessite, pour les armer, des parachutages massifs. Le SAP (Service des atterrissages et des parachutages) est basé à La Britière, commune de Saint-Agnan-en-Vercors. Il est dirigé par Robert Bennes (« Bob »). Le SAP disposait de 7 terrains de parachutage, le plus important étant celui de Vassieux, « Taille-crayon ». Il était qualifié Arma-Homo, c'est-à-dire qu'il pouvait recevoir des armes et des personnes. Disposant d'équipes de réception permanentes, il pouvait réceptionner des parachutages sans avertissement préalable. Ce terrain était épaulé par celui de Rayon dans la clairière de la Maye, à l'Oscence, à l'ouest de La Chapelle-en-Vercors.
Les parachutages se multiplient : 13 juin sur Sous-main à Méaudre, 14 juin sur Rayon. Le 29 juin, 4 officiers de la mission Eucalyptus et un groupe opérationnel (OG) de 14 membres atterrissent à Vassieux. Le 7 juillet, Jean Tournissa (« Paquebot ») et son équipe sont parachutés pour préparer une piste d'atterrissage à Vassieux.
Tous ces parachutages, nocturnes ne mettent en action que quelques appareils et sont insuffisants pour armer un nombre sans cesse croissant de résistants. Les responsables militaires étaient conscients de ce problème, notamment Henri Ziegler, chef d'état-major des FFI. De plus, la Royal Air Force manquait d'avions et n'était pas favorable à des parachutages diurnes. Henri Ziegler se tourna vers l'USAAF. La 8ème Air Force, sous les ordres du général Kinner accepta de réaliser ces missions qui nécessitaient un vol diurne à basse altitude et une forte protection par les avions de chasse.
Le 25 juin, la première opération de ce type, codée « Zébra », mit en œuvre 180 B17 forteresses volantes qui ravitaillèrent les maquis de l'Ain, du Jura, de la Haute-Vienne et du Vercors. 432 containers furent récupérés sur le terrain de la Maye, clairière de l'Oscence à l'ouest de La Chapelle. Mais aucune arme lourde, notamment à tir courbe, ne fut parachutée malgré la demande de l'état-major du Vercors.
Le parachutage le plus important et le plus spectaculaire fut celui du 14 juillet 1944. Codé « Cadillac », il devait approvisionner en priorité le Vercors mais aussi les maquis de la Saône-et-Loire, du Cantal, du Lot, de la Corrèze et de la Haute-Vienne.
L'opération est confiée, comme précédemment, à la 3ème division de bombardement de la 8ème Air Force. 349 B17 étaient préparés, 320 l'effectuèrent. Ils étaient escortés par 550 avions de chasse, soit P51 Mustang, soit P47 Thunderbolt. Chaque B17 transporte 12 containers d'armes et de munitions et plusieurs paquets. On est loin des quelques Lancaster ou Halifax de la RAF qui, en pleine nuit, sans escorte, à base altitude, parachutaient une dizaine de containers.
L'armada décolla du sud de l'Angleterre à 5 heures (heure locale), c'est-à- dire à 7 heures, heure française. Après s'être regroupés, les avions se dirigèrent vers Blois où ils se séparèrent. Le retour à la base était prévu vers 14 heures 30.
Une opération d'une telle importance avait nécessité la coordination entre le quartier général, la délégation militaire FFI de Londres et les responsables du SAP en France. Paul Rivière (« Marquis »), chef des opérations en zone sud, avait été informé que l'opération devait se dérouler après le 12 juillet, si les conditions atmosphériques étaient favorables. L'ordre d'exécution a été donné le 10 juillet, le terrain « Taille-crayon » choisi car facile à dégager.
Robert Bennes (« Bob »), après avoir reçu des consignes précises, disposait d'une radio S-Phone pour guider les escadrilles. Le 13 juillet, à la Britière (Saint-Agnan-en-Vercors), Jean Cendral (« Lombard ») reçoit de Londres le nombre de containers qui doivent être parachutés. La liaison radio entre Londres et Vassieux nécessite l'installation d'une radio sur le terrain même. C'est Mario Montefusco (« Argentin ») qui l'installe tôt le matin. Le guidage par S Phone st assuré par Maurice Mercier, adjoint de Montefusco. À la Britière, Pierre Lassalle est également en liaison avec Londres. On peut constater l'importance du système de communications par radio.
Dans la nuit du 13 juillet, 10 Halifax de la RAF avaient largué des containers qui sont récupérés pendant que se réalise la mise en place de la réception des B17.
À l'aube le terrain est prêt, les feux de bois sont allumés. Ils dessinent un triangle de 200 mètres de côté et sont visibles à une dizaine de kilomètres. Les véhicules chargés de récupérer les containers sont garés dans le village de Vassieux, le terrain est protégé par une compagnie de chasseurs alpins.
Tous ces préparatifs n'étaient pas passés inaperçus des Résistants, de la population locale et … des Allemands. À cela, s'ajoutaient ceux de la fête nationale du 14 juillet. Des cérémonies, des défilés militaires, étaient prévus, notamment à Die. D'importantes personnalités de la Résistance y étaient attendues, en particulier Yves Farge, Commissaire de la République. La crainte d'une intervention de l'aviation allemande était d'autant plus forte que, dès le 13, Vassieux avait été bombardé et que la Lugftwaffe était basée à quelques kilomètres, sur l'aérodrome de Valence-Chabeuil-La Trésorerie. On peut donc imaginer l'ambiance qui régnait autour de « Taille-crayon ».
La vague de B17G, escortée de P51 Mustang, apparut vers 9 heures 45. La première unité de 36 appareils qui se présente est le 94e groupe de bombardement de la 3e division de bombardement. Le navigateur de cette formation est Henri Ziegler. Après avoir décrit un cercle en passant sur Valence (on peut imaginer la réaction des Allemands basés à Valence-Chabeuil-La Trésorerie !), les avions perdent de l'altitude et se présentent à 500 pieds (environ 150 mètres) de hauteur sur « Taille-crayon ». Chaque appareil largue une douzaine de containers. Le passage dure une demi-heure, les avions en formation en ligne de 6. Du fait de la faible hauteur de largage, les containers sont peu dispersés. Se présente ensuite le 100ème groupe de bombardement de la 3e division de bombardement. Le lieutenant Jean Vallière en est le navigateur, commandé par le colonel Benett. Ce groupe avait la particularité d'avoir été rallié par un B17 égaré, chargé de bombes qu'il ne largua pas, comprenant que l'opération était un parachutage !
Vers 10 heures 30, le parachutage est terminé, les véhicules s'avancent pour le ramassage des containers et des colis. Il semblerait que, parmi ces derniers, il y en ait eu un qui portait un ruban tricolore. Le largage avec des parachutes tricolores serait une légende.
Ayant décollé de l'aérodrome de Valence-Chabeuil-La Trésorerie, des Messerchmitt 109 essayèrent d'intercepter les bombardiers. Ils furent pris à partie par la chasse de protection et trois avions allemands furent abattus. La recherche des pilotes par leurs compatriotes, eut pour conséquence l'exécution de 5 civils à Châteauneuf-de-Galaure.
L'ensemble des B17 rentra sans encombre en Angleterre.
À peine les appareils de l'USAAF ont-ils disparu, que 2 chasseurs-bombardiers allemands Fw 190 plongent sur « Taille-crayon » et mitraillent les véhicules et les Résistants. Il y a des morts et des blessés. Un court répit permet leur évacuation vers l'hôpital de Saint-Martin-Vercors et l'organisation d'une résistance. Mais cette dernière est peu efficace par manque d'artillerie antiaérienne. Les avions allemands reviennent et bombardent le terrain et Vassieux ; ils larguent des cylindres d'où s'échappent de nombreuses grenades. Vassieux est isolé. Le bombardement dure jusqu'à 17 heures. Vassieux est en flammes. La village voisin de La Chapelle subit le même sort. Les avions allemands, basés à moins de 30 km, pouvaient faire de nombreuses rotations et intervenir quelques minutes seulement après leur décollage.
Le bilan de l'opération est contrasté. Les deux parachutages, celui du 25 juin et celui du 14 juillet pouvaient permettre l'équipement de 3 000 maquisards. Cela représente 5 fois celui qui a été parachuté de décembre 1943 à juillet 1944. Les parachutages de jour, très spectaculaires par le nombre d'avions engagés, relevaient le moral des Résistants. Pour beaucoup, ils annonçaient de nouveaux renforts en matériel et surtout en hommes. La Résistance se sentait reconnue et soutenue. Pour les équipages des avions, le survol à basse altitude du sol, permettait de voir réellement ceux qu'ils secouraient.
L'aspect négatif de ce type d'opération était la rapide réaction allemande. Bien visibles, les bombardiers pouvaient être une cible intéressante. Il est vrai que ce ne fut pas le cas à Vassieux où une forte escorte protégea les B17. Mais, une fois les avions de l'USAAFpartis, le Luftwaffe put sans aucune opposition mitrailler et bombarder Vassieux et « Taille-crayon ». Une bonne préparation de l'opération nécessitait le bombardement de l'aérodrome de Valence-Chabeuil-La Trésorerie, bombardement instamment réclamé par les chefs du Vercors. De grands espoirs sont nés le 14 juillet dans l'attente d'autres parachutages. Ils furent déçus et l'attaque générale du Vercors le 21 juillet ne fit qu'augmenter les regrets et une rancœur, aggravés par le bombardement tardif de l'aérodrome le 24 juillet, alors que la Résistance était écrasée dès le 23 et que l'ordre de dispersion avait été donné. Le 21 juillet vingt planeurs allemands déposèrent 200 soldats d'élite près de « Taille-crayon » et contribuèrent à écraser la Résistance.
« Cadillac » est le type même d'opération militaire de grande envergure, montée avec les moyens gigantesques de l'US Army et de l'USAAF. Tout était parfaitement programmé, minuté. Mais les particularités politico – militaires de la Résistance dans le Vercors ne semblent pas avoir été prises en compte dans toute leur complexité. Même si les B17 ne pouvaient larguer des pièces d'artillerie moyenne, la déception des Résistants est grande de ne pas recevoir des mortiers, à tir courbe, absolument nécessaires dans le combat de montagne, le Vercors n'étant pas un plateau. Pour toutes ces raisons, le spectaculaire et puissant parachutage du 14 juillet, apogée de l'aide à la Résistance du Vercors, a laissé un souvenir empreint d'amertume pour de nombreux Résistants. Sa mémoire n'est pas particulièrement commémorée, même si des aviateurs de l'USAAF qui y ont participé sont revenus sur les lieux de « Taille-crayon ». Ce dernier n'est pas mentionné comme lieu de mémoire. Aucun panneau n'indique sa position et sa fonction.
Auteurs : Alain Coustaury
Sources : Dvd-rom La Résistance dans la Drôme-Vercors, éditions AERI-AERD, février 2007