Interdiction de l’écoute des radios britanniques
Légende :
Arrêté préfectoral interdisant l’écoute publique des radios britanniques du 29 novembre 1940.
Genre : Image
Type : Document officiel
Source : © AERD Droits réservés
Détails techniques :
Polycopie sur feuille 21 x 27 cm.
Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme
Analyse média
Se référant aux textes antérieurs et aux instructions du 19 novembre 1940, l’arrêté préfectoral interdit toute audition publique des radios britanniques ou « se livrant à une politique anti-nationale ». La mesure s’étendra bientôt à l’écoute privée. Cela n’empêchera pas les Français, après avoir bien fermé les ouvertures de la maison et en tendant l’oreille dans un silence absolu pour surmonter les crachotements du brouillage, d’écouter la BBC.
Transcription partielle :
PREFECTURE DE LA DROME
ARRETE LE PREFET de la DROME, …
Vu ….
ARRETONS
ARTICLE 1er : Il est interdit à tout possesseur de poste récepteur de T.S.F. utilisé dans un lieu public (café, restaurant, cinéma, théâtre, voie publique, etc.) de capter des émissions de postes britanniques et, en général, de tous les postes se livrant à une politique anti-nationale. Les auteurs d’infractions aux dispositions ci-dessus seront immédiatement déférés au Parquet et les postes de réception saisis.
ARTICLE 2 : Les dispositions du présent arrêté seront exécutoires dès sa publication dans la presse locale et régionale
ARTICLE 3 : …
Fait à VALENCE
le 29 NOVEMBRE 1940
LE PREFET
J. RIVALLAND
Auteurs : Robert Serre
Contexte historique
L’écoute des radios alliées, la BBC anglaise surtout, ou neutre, comme Radio Sottens (Suisse), a été un moyen d’information et de mobilisation important face à la propagande de Vichy et des troupes d’occupation.
Dans la zone non-occupée, il importe de convaincre les Français de la bonne politique de Vichy et de ne pas perturber les bonnes relations entre le Reich hitlérien et l’État français. Outre la presse écrite, l’écoute des radios va donc très rapidement être réglementée et peu à peu n’être autorisée que pour la bonne parole de Radio-Paris, vecteur de la propagande collaborationniste. Mais, tout aussi vite, les Français, dans leur grande majorité, sentant le mensonge, l’hypocrisie, la censure, n’accorderont plus aucun crédit à cette voix.
La BBC est écoutée en famille, dans une véritable fièvre. C’est trop dangereux pour que l’opinion publique reste dans le « droit chemin ». Aussi le gouvernement de Vichy va-t-il très vite passer des mesures de censure et d’interdiction à une sévère répression des auditeurs de radio-Londres. Malgré les moyens mis en œuvre, il lui sera cependant bien difficile de surprendre les contrevenants.
À la mi-journée et le soir, les émissions de la BBC étaient annoncées par une musique lancinante, suivie de la voix du speaker : « Les Français parlent aux Français. Xème jour de la lutte du peuple français pour sa libération ». Elles étaient souvent brouillées par les services de propagande de Vichy et leur audition était parfois difficile. On plaquait l’oreille devant le haut-parleur pour essayer de discerner les paroles sans être entendu dans le voisinage.
Les personnes conscientes de la nouvelle situation, dès l’Armistice, recherchent les informations autres que celles de la propagande officielle et se tournent vers les radios étrangères. L’appel du 18 juin 1940 du général de Gaulle, diffusé par la BBC, n’a été entendu que par un petit nombre d’individus. Mais dès le deuxième semestre de 1940 jusqu’à la Libération, les rapports préfectoraux ou de gendarmerie signalent constamment l’écoute de la radio anglaise par la population.
Jean Veyer, inspecteur primaire, arrive en résidence forcée à Die le 1er novembre 1940. Il se lie rapidement avec deux familles « qui écoutent radio-Londres », écrit-il.
1942 est l’année au cours de laquelle Vichy perd sur le front de la propagande. Les radios alliées (ou neutres (la radio suisse est très écoutée) renforcent l’impact de la propagande écrite, et tout cela alimente la propagande parlée. Après avoir prétendu que les personnes qui l’écoutent se laissent manipuler, le préfet précise que : « L'action gaulliste est surtout basée sur la radio, [qu'on] ne surestimera jamais le mal fait par cette propagande jusqu'au fond des campagnes, [qu’en] avril a été arrêté un individu d'origine juive qui déposait dans les boîtes aux lettres des papillons indiquant les heures des émissions franco-anglaises et invitant à les écouter ».
La radio permet de diffuser des mots d’ordre de manifestation, comme pour le 14 juillet 1942. Ce jour-là, à Valence, à 18 h 40, quelques dizaines de personnes chantent La Marseillaise comme le prescrivait la radio anglaise. À Nyons, des « incidents » se déroulent, mobilisant une vingtaine de personnes, prouvant, selon les gendarmes, que la radio anglaise reste très écoutée, puisque ces manifestations ont été organisées sur mot d'ordre radiodiffusé. Un mois plus tard, les gendarmeries sont avisées que « des émissions de radios clandestines et étrangères invitent la population à manifester le 10 août 1942 » et doivent prendre toute une série de mesures pour les anticiper.
Le rapport de gendarmerie d’octobre indique : « … malgré les interdictions récemment rappelées par la voie de la presse, les émissions radiophoniques, anglaises et gaullistes, sont toujours très écoutées. Il est très difficile, sinon impossible, de prendre les délinquants en flagrant délit en raison des précautions dont ils s'entourent pour que les émissions ne soient pas entendues de la voie publique ». Ceux qui écoutent la BBC sont en effet assimilés à des délinquants, des « délinquants » de plus en plus nombreux puisque, le 1er novembre, le préfet signale que les radios étrangères ont toujours la faveur du public qui y recherche les communications officielles anglaises et russes.
Fin 1943, la majorité de la population drômoise a choisi le camp de la Résistance. Dans les rapports des autorités, on voit l’importance de la propagande par radio : « La population désorientée, aigrie, démoralisée, activement et habilement travaillée par la propagande radiophonique étrangère ou dissidente, rend le gouvernement responsable de ses souffrances. Elle lui reproche de se faire l'instrument servile des volontés de l'occupant et méconnaît de plus en plus son autorité ».
Si les radios alliées ou neutres deviennent rapidement un puissant moyen d’information de la population, Radio-Londres est aussi un des moyens de diffusion des messages à l’intention des Résistants pour la mise en œuvre d’opérations, pour annoncer, par des « messages personnels » sibyllins, les parachutages (La cuisinière tient sa cuisine propre. Les carottes sont cuites. L’oncle arrivera ce soir,…) ou informer du débarquement (Le premier accroc coûte deux cents francs).
Auteurs : Robert Serre et Jean Sauvageon
Sources : Rapports du préfet et de la gendarmerie (AN FI c III et SHGN). H. Amouroux, La vie des Français sous l’occupation, A. Fayard, 1961. Dvd-rom, La Résistance dans la Drôme et le Vercors, éditions AERI-AERD, 2007.