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Article de presse sur l’inscription aux listes électorales à Marseille, décembre 1944

Légende :

Article paru dans le quotidien régional La France de Marseille et du Sud-Est, sous le titre « Des A se sont inscrits hier sur les listes électorales, mais il y avait beaucoup plus de femmes que d'hommes », édition du 7 décembre 1944

Au verso figure la quasi-intégralité de la page 3.

Genre : Image

Type : Article de presse

Source : © AD des Bouches-du-Rhône - PHI 417-1 Droits réservés

Détails techniques :

Reproduction de document imprimé sur papier journal.

Date document : 7 décembre 1944

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille

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Analyse média

Le quotidien La France de Marseille et du Sud-Est paraît à partir d’octobre 1944. Il défend l’ordre et se réclame du général de Gaulle. L'article reprend un thème fréquemment traité par la presse à partir de l'automne 1944 : l'inscription des femmes sur les listes électorales. En effet, les mouvements de population liés à la guerre, la radiation des listes des personnes susceptibles d'être condamnées ultérieurement à la dégradation nationale, et surtout l'octroi du droit de vote aux Françaises imposaient une refonte complète des listes électorales. Si la première phrase du titre de l'article « Des A se sont inscrits hier sur les listes électorales » renvoie à la nomenclature des cartes d'alimentation instaurées par le décret du 20 octobre 1940, sans distinction de sexe (adultes entre 21 et 70 ans), la suite annonce le thème principal : les femmes s'inscrivent massivement sur les listes électorales, et en plus grand nombre que les hommes. La formulation suggère que cette surreprésentation féminine n'est pas totalement neutre : « (...) mais il y avait plus de femmes que d'hommes. »

Le premier paragraphe évalue cette surreprésentation féminine à quatre femmes pour un homme.

Le deuxième paragraphe n'hésite pas à expliquer ce phénomène avec une candeur désarmante : « Ces messieurs, mesdames, ne sont pas libres ; ils travaillent ». Pour l'auteur de l'article, ce sont des cohortes de femmes au foyer - pour ne pas dire oisives - qui se sont rendues dans les centres d'inscription. Cependant, une deuxième explication est proposée : les hommes ont l'habitude de déléguer à leurs compagnes les formalités administratives astreignantes.

Si les hommes négligent de s'inscrire, les femmes - d'après l'auteur de l'article - se montrent particulièrement inaptes à remplir les démarches demandées : 50 % seulement peuvent s'inscrire du premier coup. L'article propose un florilège de conduites qui témoignent d'une ignorance profonde des formalités à remplir et d'une légèreté qui renvoie aux stéréotypes de la « femme-tête de linotte ». L'auteur use d'autres stéréotypes pour décrire les employées des centres d'inscription, dont la compétence est soulignée : « les employées des centres cantonaux sont diligentes, gracieuses, obligeantes... Alors elles donnent gentiment toutes les explications utiles et invitent non moins gentiment les négligents à revenir. » Elles incarnent un idéal de féminité que n'aurait pas désavoué la propagande de Vichy : efficaces sans ostentation ni agressivité, redressant les erreurs en douceur et avec le sourire, tout en présentant un physique avenant.

L'article se termine par un appel aux hommes qui ne peuvent se dérober à leur devoir, faute de quoi les femmes risquent de peser d'un poids indu dans les futures consultations électorales.


Sylvie Orsoni

Contexte historique

Dans ses Mémoires de guerre, le général de Gaulle consacre deux phrases à ce qui a constitué l'élément le plus novateur de l'ordonnance du 21 avril 1944 : « En outre, les droits de vote et d'éligibilité étaient attribués aux femmes. L'ordonnance du 21 avril 1944 réalisait cette vaste réforme, mettant un terme à des controverses qui duraient depuis cinquante ans. » En 1901 puis en 1911, René Viviani et Ferdinand Buisson déposaient à la Chambre des députés des propositions de loi accordant partiellement ou totalement le droit de vote aux femmes.

Le 8 mai 1919, un débat a lieu à la Chambre des députés sur l'octroi du droit de vote aux femmes, soutenu avec enthousiasme par Aristide Briand. Une très large majorité, 344 voix contre 97, accorde aux femmes l'intégralité des droits politiques. Le Sénat, après trois ans d'atermoiements qui lui ont permis de produire un florilège d'arguments misogynes, repousse le texte par 156 voix contre 134. La Chambre, en 1925, 1932 et 1935, renouvelle son vote. Le Sénat réussit à enterrer le projet jusqu'à la guerre. Le débat rebondit à Alger au sein de l'Assemblée consultative provisoire. Dix débats sur les 27 qui eurent lieu entre le 23 décembre 1943 et le 24 mars 1944 sont consacrés partiellement ou entièrement au vote des femmes. Les radicaux, en la personne de Paul Giacobbi, président de la commission de Réforme de l'Etat, essaient d'enterrer à nouveau la réforme, mais paraissent incarner des combats d'arrière-garde et sont mis en échec par la force de conviction de Louis Vallon et de Ferdinand Grenier. L'amendement proposé par ce dernier est adopté par 51 voix contre 16, et devient l'article 17 de l'ordonnance du 21 avril 1944 : « Les femmes sont électrices et éligibles au même titre que les hommes ».

Le Gouvernement Provisoire de la République Française faisait de la tenue d'élections au suffrage universel la manifestation de la démocratie retrouvée. Il fallait pour cela établir de nouvelles listes électorales qui tenaient compte des mouvements de population, du retrait des droits civiques aux personnes susceptibles d'être frappées de dégradation nationale et de l'inscription des nouvelles électrices. La révision des listes électorales commence à partir du 6 décembre 1944. Elle devait se clore le 31 décembre, mais devant les difficultés matérielles, elle est prolongée jusqu'au 20 janvier 1945. Les formalités sont réduites au minimum : production d'une pièce d'identité (livret de famille ou carte d'identité) et d'une attestation de domicile. Les femmes furent invitées par voie de presse et d'affiche à s'inscrire.

La presse, comme les partis politiques et les Renseignements Généraux, s'interrogent sur la motivation des nouvelles électrices. Cependant, les femmes se pressent dans les centres d'inscription, ce que les journaux relèvent avec des appréciations diverses. Le fait que les prisonniers, les déportés, les combattants - donc une majorité d'hommes - ne seront pas en mesure de voter aux premières consultations électorales est fréquemment évoqué en parallèle, pour suggérer une injustice, voire une anomalie profonde. Ce déséquilibre démographique avait été opposé à l'octroi du droit de vote aux femmes avec effet immédiat lors des débats de l'Assemblée consultative d'Alger. Les articles adoptent très souvent un ton paternaliste lorsqu'ils se penchent sur la participation des femmes aux futures élections. L'idée de l'éternelle mineure, incapable d'accéder à des idées générales, semble bien ancrée dans les rédactions de nombreux journaux.


Auteur : Sylvie Orsoni

Sources :

Maurice Agulhon, André Nouschi, Ralph Schor, La France de 1940 à nos jours, Paris, Nathan Université, 1995.

Maïté Albistur, Daniel Armogathe, Histoire du féminisme français, Tome 2, Paris, Des Femmes, 1977.

Christine Bard, Les femmes dans la société française au 20e siècle, Paris, Armand Colin, 2001.

Isabelle Debillly, Claude Martinaud, Madeleine Roux, Aux urnes citoyennes, Marseille CRDP, 1995.

Hélène Echinard, Marseillaises, le vote libérateur, plaquette PAE, Lycée Saint-Charles, 1995.

Jean-Marie Guillon, Philippe Buton, Les pouvoirs en France à la Libération, Paris, Belin, 1994.

Yvonne Knibiehler, Catherine Marand-Fouquet, Régine Goutalier, Eliane Richard Eliane (sous la direction de), Marseillaises - Les femmes et la ville, Paris, Côté Femmes, 1993.

Robert Mencherini, La Libération, et les années tricolores (1944-1947), Midi rouge, ombres et lumières, tome 4, Paris, Syllepse, 2014.

Sylvie Orsoni, La Libération du côté des femmes, Dossier pédagogique n° 8, Archives départementales des Bouches-du-Rhône.