Liste du rassemblement démocratique pour les élections municipales de Marseille du 29 avril 1945
Légende :
Liste présentée par le Rassemblement démocratique aux élections municipales du 29 avril 1945 à Marseille, en première page du quotidien régional communiste Rouge-Midi, paru le samedi 21 avril 1945
Au recto : la quasi-intégralité de la une
Genre : Image
Type : Publication de liste éléctorale
Source : © AD des Bouches-du-Rhône - PHI 414-1 Droits réservés
Détails techniques :
Document imprimé sur papier journal.
Date document : 21 avril 1945
Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille
Analyse média
Le samedi 21 avril, une semaine avant le premier tour des élections municipales, le quotidien régional du Parti communiste, Rouge-Midi, présente en première page la liste intitulée « rassemblement démocratique ». Les candidats et candidates sont issus du Front national (3 candidats), du MLN (3 candidats), du PS (16), du PC (8 candidats), de la CGT (5 candidats) et de l'Union des femmes de France (1 candidate). La liste est conduite par Gaston Defferre, socialiste, membre de l'Assemblée consultative, président de la délégation municipale, suivi de François Billoux, communiste, député, ministre de la Santé et membre du bureau politique du PCF.
Les candidates sont au nombre de six, soit 16,6 %. Ce taux, modeste, est cependant supérieur à la moyenne nationale, qui se limite à 13%. Alix André est en troisième position, derrière François Billoux, au titre de la CGT et Suzanne Baudoingt la suit en quatrième position pour le MLN. On retrouve donc dans les quatre premières places une certaine parité entre candidats et candidates et entre les sensibilités socialiste et communiste. Les autres candidates arrivent au-delà de la dixième place : Mireille Dumont, communiste, au nom de l'Union des Femmes de France, suivie de Benjamine Esdra, socialiste. Les deux dernières candidates sont deux communistes : Andrée Guizard, élue municipale et membre du bureau régional du PC à la dix-neuvième place, et Lucia Tichadou, avant-dernière. Le Parti communiste, directement ou à travers des organisations proches, a présenté quatre femmes sur dix-sept candidatures.
Le Parti socialiste a présenté une seule candidate, Benjamine Esdra, à laquelle on peut adjoindre Suzanne Baudoingt, au titre du MLN.
Le Parti communiste s'est montré le plus féministe/paritaire. Toutes les candidates sont des militantes confirmées et engagées dans la Résistance. Toutes sont des femmes actives, avec une forte représentation au sein du secteur public : trois enseignantes, Suzanne Baudoingt, Mireille Dumont, et Lucia Tichadou, et une employée des postes, Andrée Guizard. Une seule ouvrière, Alix André, a été retenue. Benjamine Esdra exerce une profession commerciale en qualité d'agent immobilier.
Sylvie Orsoni
Contexte historique
L'ordonnance du 21 avril 1944 permettait aux Françaises de devenir électrices et éligibles. Les partis politiques se sont adaptés à ce contexte sans précédent. La répression des faits de collaboration éliminait à titre provisoire ou définitif de nombreux candidats potentiels. Les femmes s'étaient massivement inscrites sur les listes électorales entre décembre 1944 et janvier 1945. Les partis politiques devaient capter les nouvelles électrices. Quelle proportion de candidates pouvait attirer les votes féminins ? Les femmes avaient participé activement à la Résistance, mais demeuraient peu représentées dans les états-majors des partis, dont la presque totalité des personnels étaient masculins. D'autres données devaient être prises en compte dans la composition des listes. Liste homogène ou de rassemblement ? - ce qui introduisait des équilibres entre les différentes composantes. Là encore, les décisions étaient prises au niveau des états-majors. Le Parti communiste, dans une circulaire envoyée aux directions régionales demande de réserver sur ses listes une place importante aux femmes communistes, indépendamment des propositions des autres partis, et de trouver si possible des candidats ou candidates chefs de famille nombreuse. Par ailleurs, les militantes communistes sont priées de se mobiliser très fortement, de ne pas se cantonner à des actions sous l'égide de l'Union des Femmes de France, mais d'aller voir les femmes chez elles et d'y faire éventuellement un travail d'assistante sociale. Les militantes doivent apparaître comme représentatives de toutes les femmes, soucieuses des problèmes concrets de la vie quotidienne.
À Marseille, le Parti communiste souhaite des listes « d'unité républicaine et antifasciste ». Autour du noyau PC-PS s'agrégeraient les deux grands mouvements de résistance, MLN et Front national, mais aussi le MRP et les radicaux socialistes.
Le Parti socialiste défend des listes limitées aux PS, PCF, FN, MLN et à la CGT. C'est la configuration de la liste définitive, appelée liste de « Rassemblement démocratique », à laquelle le PCF fait ajouter un siège pour l'Union des Femmes de France, attribué à la militante communiste Mireille Dumont.
Le MRP fait une liste autonome. Il place en second, derrière Alexandre Chazeaux, l'avocate Germaine Poinso-Chapuis (1901-1981), qui a milité activement avant-guerre pour le droit de vote des femmes, et soutenu les syndicats féminins chrétiens. La liste MRP comprend quatre autres candidates : Julienne Mengotti, femme de prisonnier, à la vingt-et-unième place ; Anne Ranque, mère de famille à la vingt-neuvième place ; Andrée Ribes, également mère de famille à la trente-et-unième place ; enfin, Suzanne Rolland, professeur à la trente-troisième place. Le taux de féminisation de la liste est de 13,8 %. Les radicaux-socialistes récusent le siège proposé par le PCF et le PS et optent pour une liste d'union avec l'Union républicaine démocratique et l'Alliance démocratique, ce qui les positionne plus à droite. Cependant, Eugène Lieutier, président de la fédération départementale du Parti radical, choisit de se présenter sur la liste de rassemblement démocratique, au nom du Front national dont il est le vice-président. Cette liste « d'union républicaine démocratique et radicale-socialiste » est dirigée par Charles Mourre, membre de l'URD, et présente un taux de féminisation inférieur à celui des deux listes précédentes, avec quatre femmes, soit 11,1 %. Les quatre candidates sont galamment groupées derrière Charles Mourre. Les deux femmes au foyer sont placées en deuxième et troisième place, devant les deux autres candidates qui sont des femmes actives : l'une est négociante, l'autre est l'avocate radicale Yvonne Pons de Poli. Tous les autres candidats de la liste sont des hommes.
Si l'on compare les listes présentées aux élections municipales à Marseille avec la composition du Comité départemental de libération et de la délégation municipale, installée le 30 août 1944 par Raymond Aubrac, commissaire régional de la République, on note un progrès de la féminisation. Le CDL ne comprenait qu'une femme sur quatorze membres, la délégation municipale trois sur vingt-cinq, soit 12 %, mais avec des fonctions qui leur assuraient une visibilité : Germaine Poinso-Chapuis étant vice-présidente et Andrée Guizard, secrétaire.
La liste du rassemblement démocratique est élue dès le premier tour, le 29 avril 1945. Gaston Defferre est élu à l'unanimité président de la Délégation municipale. Lucia Tichadou préside la séance inaugurale en tant que doyenne ; Alix André est secrétaire de séance en tant que benjamine. Aucune femme n'exerce les fonctions de vice-présidente. Mireille Dumont, qui revendiquait ce poste, est élue secrétaire du conseil. Les élues sont majoritaires dans des commissions qui apparaissent relever des compétences féminines : Mireille Dumont, entourée de quatre autres élues, préside la commission « Hygiène et Enfance » ; Benjamine Esdra préside la commission « Assistance publique ». Les élues sont également présentes - bien que minoritaires - dans la commission « Ravitaillement » dont la présidence échoit à un homme. Suzanne Baudoingt et Lucia Tichadou siègent à la commission des Beaux-Arts. Enfin, Lucia Tichadou est l'unique femme de la commission « Finances ».
Le décompte des voix par candidat montre que le sexe compte moins que l'étiquette politique. Suzanne Baudoingt, avec 146 900 voix, arrive en 2e place, derrière Gaston Defferre (147 383 voix). Benjamine Esdra arrive en 16e place, avec 145 613 voix. Le premier élu communiste, Jean Cristofol, en 20e place, recueille 145 067 voix. Toutes les candidates communistes ou apparentées font mieux que François Billoux, qui n'obtient que 141 783 voix. Elles se classent entre la 24e (Mireille Dumont, 144 565 voix) et la 29e place (Andrée Guizard, 142 000 voix).
Dans un scrutin de liste, les femmes ne constituaient pas un handicap.
Les partis politiques ont donc ouvert leurs listes aux femmes dans des proportions très mesurées, et ne leur ont pas accordé de postes conférant pouvoir ou prestige politique.
Auteur : Sylvie Orsoni
Sources :
Archives Départementales des Bouches-du-Rhône - 9 W 35 : circulaire du Parti communiste aux régions pour les élections municipales et cantonales de 1945.
Archives Départementales des Bouches-du-Rhône - 107 W 2 : résultats des élections municipales d'avril 1945 (comprenant la ventilation des voix par candidat).
Maurice Agulhon, André Nouschi, Ralph Schor, La France de 1940 à nos jours, Paris, Nathan Université, 1995.
Maïté Albistur, Daniel Armogathe, Histoire du féminisme français, Tome 2, Paris, Des Femmes, 1977.
Christine Bard, Les femmes dans la société française au 20e siècle, Paris, Armand Colin, 2001.
Isabelle Debillly, Claude Martinaud, Madeleine Roux, Aux urnes citoyennes, Marseille CRDP, 1995.
Renée Dray-Bensousan, Hélène Echinard, Catherine Marand-Fouquet, Eliane Richard, Dictionnaire des Marseillaises, Marseille, Gaussen/Association les Femmes et la Ville, 2012.
Hélène Echinard, Marseillaises, le vote libérateur, plaquette PAE, Lycée Saint-Charles, 1995.
Jean-Marie Guillon, Philippe Buton, Les pouvoirs en France à la Libération, Paris, Belin, 1994.
Yvonne Knibiehler, Catherine Marand-Fouquet, Régine Goutalier, Eliane Richard Eliane (sous la direction de), Marseillaises - Les femmes et la ville, Paris, Côté Femmes, 1993.
Robert Mencherini, La Libération, et les années tricolores (1944-1947), Midi rouge, ombres et lumières, tome 4, Paris, Syllepse, 2014.
Sylvie Orsoni, La Libération du côté des femmes, Dossier pédagogique n° 8, Archives départementales des Bouches-du-Rhône.
Claude Pennetier (sous la direction de), Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier, mouvement social, période 1940 - 1968. De la Seconde Guerre mondiale à mai 1968, Paris, les éditions de l'Atelier, 2006-2016 ; et le site Internet Maitron en ligne.