Article de Julia Pirotte intitulé "Ils étaient là", journal Dimanche, 13 mai 1945

Légende :

Article de Julia Pirotte intitulé « Ils étaient là », publié dans le journal hebdomadaire régional du Parti communiste français La Voix de la Renaissance française, Dimanche, n° 9, édition du 13 mai 1945

Genre : Image

Type : Article de presse

Source : © Fédération des Bouches-du-Rhône du Parti communiste français Droits réservés

Détails techniques :

Document imprimé sur papier journal.

Date document : 13 mai 1945

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille

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Analyse média

Il s’agit ici d’un article intitulé « Ils étaient là », rédigé par Julia Pirotte, et publié dans l’hebdomadaire Dimanche (La Voix de la Renaissance française, Dimanche, n° 9, hebdomadaire régional du Parti communiste français), du 13 mai 1945. Dans cet article, Julia Pirotte, journaliste et photographe d’origine polonaise, engagée dans la Résistance et membre des FTP-MOI, rend compte des manifestations qui ont eu lieu à Marseille pour célébrer la victoire (ou le « jour V »), le 8 mai 1945, et auxquelles elle a assisté.
Faisant état de la liesse populaire, de la foule et de sa joie, la résistante traduit également, dans ce très beau texte, le sentiment de tristesse éprouvé à cette occasion, et causé par le souvenir de celles et ceux qui ont disparu. Ainsi, l’article de Julia Pirotte commence par témoigner de l’ambiance festive et de l’euphorie observées : « La foule, le foule, plus rien pour les yeux que la foule, et cette joie si immense, si grandiose, et des drapeaux, des drapeaux ; drapeaux tricolores et drapeaux rouges flottent joyeusement dans un ciel bleu de mai, flottent au-dessus de la masse enthousiaste en fête. Entends-tu cette symphonie merveilleuse des cloches ? Elles sonnent la mort de la barbarie, elles sonnent la vie du progrès. Hip-hip, hip-hip, hourra ! (…) ».

Puis, Julia Pirotte imagine qu’elle aperçoit, s’invitant au milieu de cette foule, un groupe, formé de ses camarades qui ont perdu la vie dans la lutte contre l’occupant : « Hé, Paul, Michel, venez que je vous embrasse, un jour comme ça… pour un moment mon cœur cesse de battre. Paul, Michel… mais Paul, chef de mon groupe F.T.P. a été fusillé et Michel, âgé de 17 ans, mort dans les tortures ».
Ce cortège est suivi par un autre groupe, composé des femmes juives « Dans leurs maigres bras, elles tiennent des petits enfants, des petits enfants qui sont depuis longtemps des cadavres et elles les pressent, pressent contre leur cœur ». Puis, un autre groupe encore, formé cette fois de jeunes femmes aux « têtes rasées et aux robes de bagnards », parmi lesquelles Julia Pirotte reconnaît sa sœur, Marie (Mindla Diament, sa jeune sœur, fut arrêtée pour son action résistante, et transférée à la prison de Breslau, où elle fut guillotinée en août 1944). À la fin de son texte, Julia Pirotte promet à sa sœur, ainsi qu’à tous les membres de ce cortège funèbre, « de tout faire pour que ça ne recommence plus jamais, jamais. »

En effet, si la victoire sur le Reich allemand est célébrée, la fin de la guerre en Europe rappelle également l’horreur des crimes nazis, découverts notamment avec le retour des déportés, leurs victimes, ainsi que le souvenir des amis qui ont péri en combattant, ou des proches dont on attend encore, de plus en plus désespérément, le retour.
Ainsi, ce très beau texte de Julia Pirotte retranscrit parfaitement l’ambivalence des émotions que peut ressentir à cette occasion une résistante.


Auteur : Laetitia Vion

Contexte historique

Née en Pologne en 1907, Julia Pirotte (de son vrai nom, Gina Diament) s’engage très jeune en politique et milite activement au sein du Parti communiste. Membre des jeunesses progressistes, elle est arrêtée à 18 ans pour son activisme et emprisonnée durant quatre années (1925-1929). En 1934, de nouveau menacée d’arrestation, elle fuit son pays et se réfugie à Bruxelles, où elle épouse Jean Pirotte, un militant ouvrier, en 1936. Toujours très engagée, elle organise alors des manifestations et des meetings aux côtés des mineurs polonais dans la région de Charleroi, et participe notamment aux mouvements de 1936. Julia Pirotte écrit aussi régulièrement des articles sur la condition ouvrière pour diverses revues.

Suzanne Spaak, résistante belge liée à l’Orchestre rouge, lui offre son premier appareil Leica et l’encourage à apprendre le métier de photographe et celui de journaliste. Tandis qu’elle réalise une première mission dans les Pays baltes, en septembre 1939, Julia Pirotte apprend l’invasion de la Pologne, son pays natal, par les troupes allemandes. Parvenant difficilement à rejoindre la Belgique, elle doit à nouveau fuir, le pays étant à son tour envahi par les armées allemandes, le 10 mai 1940. Elle emporte sur les routes de l’exode son Leica et son agrandisseur. Julia Pirotte trouve refuge dans le Sud de la France et, s’étant portée volontaire, travaille durant quelques mois pour des usines d’armement à Marseille avant de trouver, en 1942, un poste de photo-reporter pour la revue Dimanche illustré.

Julia Pirotte s’engage très tôt dans la Résistance, rejoignant les FTP-MOI (Francs-Tireurs et Partisans - Main d’œuvre immigrée). Agent de liaison, elle transporte du matériel, des armes, diffuse la presse clandestine et fabrique des faux papiers pour ses camarades. Par ses photographies, Julia Pirotte témoigne également de la vie quotidienne, à Marseille et dans sa région, sous le régime de Vichy, puis sous l’Occupation. Elle réalise ainsi des séries de clichés sur les habitants des quartiers populaires du Vieux-Port, sur les femmes et enfants juifs étrangers hébergés dans le centre d’accueil Bompard, ou encore sur les mineurs de Gardanne et leurs familles.
En août 1944, elle participe à la Libération de Marseille, au sein de la compagnie Marat des FTP-MOI, et photographie ces événements, notamment les combats de rue et la prise de la Préfecture par les résistants.

Elle reste encore pendant quelques mois en France, photographie les « Fêtes de le Victoire » et continue à travailler pour plusieurs quotidiens comme Combattre, La Marseillaise, et Rouge Midi.

En mars 1946, Julia Pirotte retourne en Pologne. En tant que journaliste de presse, elle témoigne de la reconstruction de son pays natal et couvre plusieurs événements, comme le Pogrom de Kielce (1946) ou le Congrès mondial des intellectuels pour la Paix (1948). Elle fonde ensuite sa propre agence photographique, nommée Waf, et forme de jeunes photographes.

Longtemps oublié, le travail photographique de Julia Pirotte est redécouvert dans les années 1990. En 1994, une rétrospective, devenue par la suite une exposition itinérante, intitulée « Julia Pirotte, une photographe dans la Résistance », est réalisée par le Musée de la Photographie de Charleroi (Belgique).


Auteurs : Laetitia Vion et Robert Mencherini

Sources :

« Dossier thématique : Photographie et Résistance » in La lettre de la Fondation de la Résistance, n° 78, septembre 2014.

Catalogue de l’exposition : Julia Pirotte, une photographe dans la Résistance, Musée de la photographie, Charleroi (Belgique), 1994.

Marianne Amar, « Julia Pirotte, photographe de résistance » in Vingtième siècle, revue d’histoire, n° 48, octobre - décembre 1995, pp. 152-154.

Robert Mencherini, Résistance et Occupation (1940-1944). Midi Rouge, ombres et lumières, tome 3, Paris, Syllepse, 2011.

Robert Mencherini, La Libération et les années tricolores (1944-1947). Midi Rouge, ombres et lumières, tome 4, Paris, Syllepse, 2014.