Les employés de l'armateur Jean Fraissinet défendent leur patron à la Libération

Légende :

Note des Renseignements Généraux faisant état du soutien de certains employés de Jean Fraissinet assigné à résidence par Raymond Aubrac, 12 septembre 1944

Genre : Image

Type : Note des RG

Source : © AD des B-d-R 149 W 128 Droits réservés

Détails techniques :

Document dactylographié. Voir aussi l'album photo lié.

Date document : 12 septembre 1944

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille

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Analyse média

Une source considérée comme fiable par le service des Renseignements Généraux rapporte la démarche d'employés de Jean Fraissinet, qui entendent intervenir en faveur de leur patron assigné à résidence dans son château du Var par Raymond Aubrac, commissaire régional de la République (CRR).

Le premier paragraphe présente la mesure administrative qui frappe Jean Fraissinet comme une surprise totale pour ses employés, qui ne semblent pas avoir un instant imaginé que leur patron puisse avoir à rendre des comptes à la Libération.

Les deuxième et troisième paragraphes résument l'argumentation des employés en faveur de Jean Fraissinet. Jean Fraissinet est un ancien combattant valeureux de la Première Guerre mondiale et il a soutenu son fils qui combat dans les rangs de la France Libre que les Renseignements Généraux continuent de qualifier de « dissidence ». En revanche, l'attitude de Jean Fraissinet dans la période séparant l'entre-deux-guerres de la Libération est totalement passée sous silence. Le dernier paragraphe annonce une pétition des employés en faveur de Jean Fraissinet.

Une note des Renseignements Généraux en date du 9 septembre (voir l'album photo lié) rapporte une toute autre réaction des employés. Jean Fraissinet, arrêté par le CDL de Marseille, aurait demandé à son personnel de faire une pétition en sa faveur. Nombre d’employés tiennent à faire savoir au CDL que lorsqu'ils avaient demandé, pendant l'Occupation, une augmentation de salaire de 20 %, Jean Fraissinet leur avait rétorqué que dans ce cas il mettrait à la disposition du STO 20 % des effectifs.


Sylvie Orsoni

Contexte historique

Marseille est libérée depuis un peu plus de quinze jours quand intervient la note des Renseignements Généraux. L'épuration commence avant même la fin des combats. Elle se traduit par des arrestations, des incarcérations dans des prisons improvisées par les différents groupes de résistants mais aussi par des exécutions et des violences en dehors des procédures envisagées par le Gouvernement provisoire de la République française. La presse publie régulièrement des listes des personnalités arrêtées ou internées.

La carrière de Jean Fraissinet le prédestine à rendre des comptes à la Libération. Jean Fraissinet est l'un des principaux armateurs français, patron de trois armements marseillais, la compagnie Fraissinet, la compagnie Paquet et la compagnie Fabre, ce qui le porte au cinquième rang national. Il possède par ailleurs les Chantiers et Ateliers de Provence. Jean Fraissinet est un patron de combat qui exècre les syndicats, les communistes et le Front populaire, responsables selon lui de tous les maux du pays. Il n'a jamais caché ses sympathies pour la droite nationaliste. Il participe le 26 juin 1936 à la grande réunion présidée par Jacques Doriot, qui lance le PPF à Marseille. La Révolution nationale satisfait ses aspirations conservatrices. Jean Fraissinet se targue de nombreuses rencontres avec le maréchal Pétain. Il est nommé en janvier 1941 au Conseil national, organisme consultatif chargé de préparer la nouvelle constitution. Jean Fraissinet siège à côté d'autres patrons, dirigeants de chambres de commerce et pères de famille représentant la société civile telle que l'envisage le gouvernement de Vichy.

Cependant, Jean Fraissinet est aussi profondément patriote. Le retour de Pierre Laval au gouvernement et l'accentuation de la politique de collaboration avec l'Allemagne  l'amènent à prendre ses distances. Il démissionne du Conseil national le 22 avril 1942. Il condamne en juin 1942 la radicalisation de la Légion française des combattants à laquelle il avait adhéré. Son château de Saint-Giniez est réquisitionné par les Allemands. C'est d'un appartement du Vieux-Port qu'il assiste aux rafles et à la destruction du vieux quartier de Marseille en janvier 1943. Jean Fraissinet n'a pas à rendre compte de ses activités d'armateur car l'État avait réquisitionné les navires de commerce dès le début de la guerre. Ce sont ses engagements politiques et l'orientation de son journal qui peuvent lui être reprochés. L'assignation à résidence dans son château de la localité varoise de Cogolin peut être interprétée comme une mesure de protection. Raymond Aubrac éloigne de la métropole marseillaise l'un des représentants les plus connus de la droite et du patronat local, alors que l'ordre et la légalité républicaine ne sont pas encore totalement rétablis. Jean Fraissinet comparaît devant un jury d'honneur qui maintient son inéligibilité, faute de participation active à la lutte contre l'occupant, tout en lui reconnaissant des sentiments patriotiques.


AuteurSylvie Orsoni

Sources :

Robert Mencherini, Les années de crise, 1939-1940. Midi rouge, ombres et lumières, tome 1, Paris, Syllepse, 2004.

Robert Mencherini, Vichy en Provence. Midi rouge, ombres et lumières, tome 2, Paris, Syllepse, 2009.

Robert Mencherini, Résistance et Occupation (1940-1944). Midi rouge, ombres et lumières, tome 3, Paris, Syllepse, 2011.

Robert Mencherini, La Libération et les années tricolores (1944-1947). Midi rouge, ombres et lumières, tome 4, Paris, Syllepse, 2014

Renaud de Rochebrune, Jean-Claude Hazera, Patrons sous l'Occupation, Paris, éd. Odile Jacob, 1995.

Transports dans la France en guerre, 1939-1945, textes réunis par Marie-Noëlle Polino, Publications des Universités de Rouen et du Havre, 2008.