Condamnation d'une milicienne aux travaux forcés à perpétuité, mars 1946

Légende :

Article en première page de La Marseillaise, journal du Front national de Libération, intitulé « À la cour de justice de Marseille, la femme de Durupt est condamnée aux travaux forcés à perpétuité », 14 mars 1946

Genre : Image

Type : Article de journal

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Détails techniques :

Document imprimé sur papier journal (voir aussi l'album photo lié).

Date document : 14 mars 1946

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille

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Analyse média

Le quotidien du Front national consacre en première page un article court mais mis en valeur par les titres en gras du procès de Lucie Durupt. Lucie Schoos (et non Schood comme l'indique l'article) est désignée dans le sous-titre comme « la femme de Durupt » afin que le lecteur fasse tout de suite le lien avec le chef du deuxième service de la Milice chargé de traquer les résistants.

Dans un premier paragraphe, l'article rappelle que dans un premier jugement en date du 29 janvier, la cour de justice de Marseille avait condamné à mort Lucie Schoos. Après que la cour de cassation d'Aix eut cassé ce jugement pour vice de procédure, un nouveau procès se tient devant la section A de la cour de justice.

Le deuxième paragraphe n'émet aucun doute sur la culpabilité de l'accusée : « milicienne cent pour cent convaincue d'avoir aidé en toutes circonstances son mari ». L'article relève une action qui pèse lourd dans l'acte d'accusation : Lucie Schoos est accusée d'avoir participé à l'expédition que la Milice avait menée le 26 juillet 1944 en pays d'Aigues, au cours de laquelle des résistants furent arrêtés et torturés. En jouant un rôle actif dans une expédition clairement répressive, Lucie Schoos sort du rôle traditionnel de la femme soumise à son mari et devient une collaboratrice à part entière.

Le troisième paragraphe donne en cinq lignes le verdict : Lucie Schoos est condamnée aux travaux forcés à perpétuité, ce qui entraîne automatiquement la dégradation nationale (article 79 de l'ordonnance du 28 novembre 1944).


Sylvie Orsoni

Contexte historique

Henri Durupt, chef de centaine à la Milice, dirige les unités miliciennes chargées des opérations extérieures. La Milice participe seule ou en coordination avec des unités allemandes à la traque des résistants dans toute la région. Lucie Durupt, d'après plusieurs témoignages (voir l’album témoignage de A. L., M.R. et de A. S.), se montre en uniforme de milicienne et armée, ce qui n'était pas automatique et participe aux expéditions de la Milice dans la région. Elle est formellement identifiée comme la milicienne qui était présente à la Tour-d'Aigues (Vaucluse) le 26 juillet 1944 surveillant les personnes arrêtées et servant d'interprète avec des soldats allemands  lors du transfert de certains d'entre eux au siège de la Milice d'Avignon (voir l’album - témoignage du docteur R. et du secrétaire de mairie de la Tour-d'Aigues).

Les époux Durupt s'enfuient en Allemagne le 16 août 1944 ; puis ils reviennent en France dans un convoi rapatriant des travailleurs du STO. Ils sont arrêtés à Sarthenay (Ain). Le procès de Lucie Schoos, épouse Durupt, se tient  avant celui de son mari car son rôle est plus rapidement cernable par le juge d'instruction. Le dossier 55 W 166 conservé aux archives départementales des Bouches-du-Rhône contient les nombreuses pièces de l'instruction, dépositions de témoins, interrogatoire de Lucie Durupt, confrontation entre témoins et le couple Durupt, réquisitoire du commissaire du gouvernement déférant Lucie Durupt devant la cour de justice spéciale de Marseille (voir l’album).

Lucie Durupt est condamnée à mort à l'issue d'un premier procès le 29 janvier 1946. Elle connaît le sort d'autres miliciens, comme René Dallemer ou Raphaël Serato, condamnés le 28 octobre 1944. L'opinion publique a retenu l'image de la femme tondue pour avoir pratiqué « la collaboration horizontale ». Les travaux de Françoise Leclerc, Michèle Weindling, Anne Simonin et de Fabrice Virgili ont montré combien cette approche était réductrice. Les trois-quarts des femmes condamnées par les cours de justice jugeant les faits de collaboration l'ont été pour dénonciation, mais les motivations n'étaient pas forcément de nature privée, elles pouvaient refléter un engagement politique. Sur les 502 femmes traduites devant la Cour de justice de la Seine, Françoise Leclerc et Michèle Weindling ont comptabilisé 94 femmes qui ont travaillé pour les services allemands (Gestapo ou Abwehr, service militaire d'espionnage et de contre-espionnage). L'engagement actif dans la collaboration pour des raisons idéologiques n'a pas été l'apanage des hommes. Lucie Durupt correspond à ce profil de miliciennes qui n'ont pas rejoint la Milice pour jouer les dames d'œuvre. Comment l'engagement politique des collaboratrices a-t-il été sanctionné ? Anne Simonin montre que les miliciennes sont davantage condamnées que les autres femmes collaboratrices : elles bénéficient d'un taux d'acquittement inférieur  (32,3 %  contre  47,6 %). Pour infraction aux articles 75 à 86 du Code pénal, elles sont condamnées au même titre que les hommes à la peine de mort, aux travaux forcés, à des peines de réclusion. Les condamnations à mort sont-elles pour autant effectives ? Françoise Leclerc et Michèle Weindling relèvent des cas de femmes exécutées sommairement à la Libération et dans les mois qui suivent, même après jugement si celui-ci est considéré comme outrageusement indulgent. Contrairement à ce qu'a pu affirmer Marcel Baudot, secrétaire du Comité d'Histoire de la Deuxième Guerre mondiale et chef des FFI de l'Eure, les femmes condamnées à mort n'étaient pas systématiquement graciées. Une collaboratrice est exécutée au Fort de Montrouge le 8 juin 1948. Le tribunal militaire de la Marne fait fusiller une femme qui, avec sa famille, a dénoncé des dizaines de personnes. Lucie Durupt échappe à la peine capitale car le premier jugement est cassé pour vice de procédure. Elle est condamnée lors du procès du 13 mars 1946 aux travaux forcés à perpétuité et à la dégradation nationale à vie. A-t-elle purgé sa peine ? La dernière femme condamnée aux travaux forcés a été libérée en 1958.

Son mari, Henri Durupt, est, en revanche, fusillé le 14 mai 1946 (Voir la notice et l'album photo lié).


Auteur : Sylvie Orsoni

Sources :

Archives départementales des Bouches-du-Rhône, 55 W 168.

Françoise Leclerc et Michèle Weindling, « La répression des femmes coupables d'avoir collaboré pendant l'Occupation », sur le site Internet Clio.

Robert Mencherini, La Libération et les années Tricolores (1944-1947). Midi rouge, ombres et lumières, tome 4. Paris, Syllepse, 2014.

Anne Simonin, Le déshonneur dans la République. Une histoire de l'indignité. 1791-1958, Paris, Grasset, 2008.

Anne Simonin, article « La femme invisible : la collaboratrice politique », sur la revue électronique du Centre d'histoire de Sciences Po Histoire@Politiquen° 9,  septembre-décembre 2009.