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Demande de restitution d'un avion-école

Légende :

Demande de récupération d'un avion par le président de l'aéro-club de Romans-sur-Isère auprès du colonel commandant l'Aviation des Alpes.

Genre : Image

Type : Lettre

Source : © Archives communales de Romans-sur-Isère Droits réservés

Détails techniques :

Le document est dactylographié sur une feuille de papier de 13,5 x 21 cm. La présentation est soignée, sans faute, témoignant d'une organisation administrative bien &

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Romans-sur-Isère

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Analyse média

Le demandeur est Alexandre Blanchard, président du comité local (CL) des Pionniers du Vercors et également président de l'aéro-club de Romans. Le courrier est envoyé à la 3e adresse du quartier général de l'Aviation des Alpes le 24 juillet 1945.

Depuis le 11 octobre 1944, comme premier adjoint au maire de Romans, Alexandre Blanchard est un notable romanais. En tant que président de l'aéro-club local qui comprend une section de préparation militaire-aviation, il s'adresse au colonel commandant l'Aviation des Alpes afin que soit restitué un avion réquisitionné 9 mois auparavant. Le propriétaire du Luciole est un des patrons de l'industrie romanaise de la chaussure. Au moment où est écrite cette lettre, il est interné, en tant que « membre notoire du PPF » (Parti populaire français).

Alexandre Blanchard réclame le retour du Luciole afin de développer l'instruction aéronautique au sein de l'aéro-club. Pour soutenir sa demande, il requiert l'aide du colonel Marcel Descour. Cet avion est nécessaire pour une association qui comprend plus de 300 membres.


Auteurs : Alain Coustaury
Sources : Archives communales de Romans-sur-Isère

Contexte historique

La guerre est terminée, en Europe, depuis deux mois, la Drôme a été libérée le 1er septembre 1944. Dans tous les domaines de la vie, la tâche de Reconstruction est engagée ainsi que la volonté de renaissance d'industries comme l'aéronautique. Dans le cadre de la formation aéronautique pour une Armée nouvelle, le président de l'aéro-club de Romans réclame la restitution d'un avion-école.

Au delà d'une demande de rétrocession d'un engin réquisitionné, le document permet d'aborder des sujets importants, l'épuration et surtout la reconstitution d'une Armée nouvelle.

Le demandeur est une personne importante de la vie romanaise. Il est premier adjoint d'une municipalité, issue de la Résistance en septembre 1944. Il cumule cette fonction avec celle de président de la section romanaise des Pionniers du Vercors, association née de l'histoire dramatique du massif. L'association pèse beaucoup dans la vie de la cité. Il en est de même de l'aéro-club, créé en 1933, et qui jouit du prestige, alors très fort, de tout ce qui touche à l'aviation. La requête s'adresse au commandant de l'Aviation des Alpes, le colonel Ruby.

L'histoire de cette unité est intéressante car elle est celle de pilotes issus de la Résistance L'un d'eux est un résistant drômois, Alexis Santini qui a été le chef du groupe de guet de Crupies. Le capitaine Viaux commandant un maquis de la région d'Albigny-sur-Saône rencontra le 1er octobre 1944 le colonel Ruby et lui proposa de constituer une unité avec des pilotes opérationnels. Le 2 octobre 1944 est créé le groupement des aviateurs. Le 8 octobre, Marcel Descour, ex-commandant du Vercors, commandant la 14e Région militaire, charge Ruby des questions aéronautiques de la 1e région FFI (Forces françaises de l'intérieur). Le 10 octobre, Ruby lance un programme de récupération d'avions de toutes origines et de types différents. On peut remarquer la rapidité de la constitution de cet embryon d'unité. Lyon n'est libérée que depuis le 3 septembre, la Drôme le 1er septembre. Le groupe est officiellement formé le 24 octobre. La première mission est effectuée le 17 novembre 1944 avec un Morane-Saulnier 500 « Criquet », version française du Fieseler Fi 156 « Storch/Cigogne », le redouté « mouchard » qui survolait le Vercors, entre autres, et renseignait la Wehrmacht. Le même jour, Ruby et son état-major déménagent et s'installent quelque temps place Bellecour, à Lyon, avant de s'établir, en février 1945, cours Albert Thomas. Ces déménagements successifs traduisent rapidité mais aussi improvisation, pour faire face à la pénurie de locaux et de matériels. Le 25 novembre, l'unité de l'Aviation des Alpes est dénommée Groupe I/35 Les avions furent basés sur l'aérodrome de Saint-Laurent-de-Mure, actuellement situé dans l'emprise de l'aéroport Saint-Exupéry, à Satolas. Le I/35 fut dissous à la fin de 1945, son matériel reversé à d'autres unités. Les avions réquisitionnés furent rendus à leurs propriétaires. Mais en ce qui concerne le Luciole F-ALMS, il était toujours recherché par la gendarmerie en…1949 ! On peut penser qu'il disparut, accidenté ou détruit. Un autre avion, un Potez 60, aux caractéristiques semblables à celles du Luciole fut utilisé par le groupe de reconnaissance de la 2e demi-brigade du maquis de la Drôme. L'utilisation d'un tel avion à des fins de reconnaissance militaire témoigne de la pénurie de matériel, de l'enthousiasme et d'un certain degré d'inconscience de la part des pilotes.

C'est dans le cadre de cette récupération de matériel qu'est réquisitionné l'avion Caudron Luciole.

Les termes du courrier pourraient faire croire qu'il l'a été parce que son propriétaire était, d'après Alexandre Blanchard, un « PPF notoire ». En réalité, la réquisition répond à la nécessité de fournir des appareils à l'Aviation des Alpes naissante.
Le Caudron C270 « Luciole » est un appareil de plaisance qui n'a aucun des critères d'un avion militaire. Volant au maximum à 160 km/h, doté d'un rayon d'action de 500 km, c'est un biplace de tourisme et d'école. Cette seconde fonction est l'argument employé par Alexandre Blanchard pour récupérer l'avion à des fins pédagogiques. Le Luciole doit permettre de préparer et de former les futurs pilotes de l'Armée nouvelle. Nous trouvons la définition de l'Armée que l'on veut développer après la Libération, armée qui doit profiter de l'expérience de la Résistance et qui doit faire oublier celle de 1940. Après le désastre militaire où la responsabilité de l'Armée de l'air a été fortement engagée, il faut reconstruire une armée avec des matériels, des méthodes nouvelles. C'est dans cet état d'esprit, bien caractéristique de la Libération, que les dirigeants d'aéroclubs veulent développer l'activité de leur association. Il ne s'agit pas seulement de voler mais de former des pilotes aptes à s'engager dans l'Armée de l'air. Les aéroclubs doivent être une pépinière de futurs pilotes militaires. Alexandre Blanchard joue également sur le nombre important de membres de son association. L'aviation, à cette époque, dans la foulée de l'Aviation populaire de 1936, attire beaucoup, notamment les jeunes. C'est aussi un argument en faveur de la restitution de l'avion. Nous sommes au moment où de grands espoirs de rénovation de la société française et de son armée sont formulés. Dans le domaine aéronautique, bien dans l'esprit du programme du CNR (Conseil national de la Résistance), de grands programmes sont lancés pour rattraper le retard accumulé pendant la guerre. Date symbolique, le 6 février 1945, décolle de l'aérodrome de Tarbes-Ossun, le Morane-Saulnier 470, premier prototype de conception et de fabrication françaises. En 1945, plus de 20 prototypes décollèrent. La renaissance est en marche. Mais, comme dans d'autres domaines, bien des espoirs nés à la Libération seront déçus. De nombreux prototypes furent des échecs. Il fallut attendre les années 1950 pour que l'industrie aéronautique française retrouve une place importante dans le concert mondial.

Le document est riche en informations sur la France de 1945. Il permet d'appréhender les difficultés de la reconstruction, de la rénovation. Improvisation, pénuries, ne découragent pas les immenses espoirs nés à la Libération. En juillet 1945, l'esprit du Conseil national de la Résistance dominait encore la vie politique française. Les déceptions viendront quelques mois plus tard.


Auteurs : Coustaury
Alain Sources : Le Fana de l'Aviation, Hiver 1944, la bataille des Alpes, N° 464, juillet 2008.