La compagnie juive "Paul Frydman"

Légende :

Octobre 1944, quelques hommes de la compagnie juive "Paul Frydman" à Lavaur (canton de Villefranche-du-Périgord), la veille de leur départ pour le front de La Rochelle. Au centre, au fond, Léon Lichtenberg (dit Phil).

Genre : Image

Type : Photographie

Source : © Yad Vashem, fonds Zygmunt Rosenzveig Droits réservés

Détails techniques :

Photographie analogique en noir et blanc

Date document : Octobre 1944

Lieu : France - Nouvelle-Aquitaine (Aquitaine) - Dordogne

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Contexte historique

A l’approche de la Libération, soit à la mi-août 1944, la section juive de la main d'oeuvre immigrée (MOI) demande à tous les responsables militaires et politiques des FTPF de constituer des détachements juifs "afin de conserver le peuple martyr et pour démontrer au monde que les Juifs comme tous les autres peuples ont le droit à la vie et au bonheur" mais aussi afin de "briser une arme de l’ennemi : le racisme et l’antisémitisme".

En Dordogne, Yves Péron, membre de l’état-major départemental FTP et futur député communiste du département, demande à Léon Lichtenberg, dit Phil, et à Raphaël Finkler, dit Ralph, de créer un détachement juif. Il s’agit de deux jeunes lieutenants FFI, un temps militants du Mouvement national contre le racisme (MNCR) à Périgueux avant de rejoindre les maquisards de la MOI puis d’être intégrés durant l’été 1944 dans le 4e régiment FTP Soleil de René Coustellier. Bien que cette demande ne leur convienne pas car contraire à leur vision unificatrice de la Résistance, disciplinés, ils obéissent et recrutent facilement, en septembre-octobre 1944, "dans l’ivresse de la Libération et l’exaltation de la victoire qui s’annonçait", entre quarante et soixante jeunes (les chiffres varient). Le recrutement s’opère en direction des Juifs déjà incorporés dans des unités existantes de FFI, et des circulaires sont envoyées dans ce sens aux chefs de ces unités, mais également auprès des jeunes Juifs qui veulent participer à la Libération. Dans ce cas, c’est l’Union de la jeunesse juive (UJJ), qui intervient. A Périgueux, le siège est sous la responsabilité de Simon Mangel, dit Alain, frère de Marcel Mangel, autrement dit le mime Marceau, aidé par Thérèse Markusfeld.

La troupe ainsi constituée est rattachée au bataillon Olivier du 4e régiment du groupe Soleil cantonné à Lavaur et à Villefranche-du-Périgord (Dordogne) afin d’y recevoir un minimum de formation avant leur envoi sur le front de La Rochelle, l’une des poches de l’Atlantique. Ralph et Phil sont assistés par Henri Gelbwasser (dit Riri). L’instruction militaire du détachement est confiée à André Rottler (dit Dédé), né le 20 novembre 1920 à Budapest (Hongrie), ex sergent-chef d’infanterie, issu du groupe ORA-AS Joseph, compagnie Boby, de Villamblard. La formation prend alors le nom de compagnie juive "Paul Frydman", du nom de leur ami résistant présent avec eux au MNCR et à la MOI, massacré avec sa famille aux Piles (commune de Cornille – Dordogne), le 12 juin 1944, par des éléments de la division SS Das Reich.

Le détachement constitué part en octobre 1944 en Charente-Maritime, mais il ne semble plus alors avoir d’existence propre, d’autant que le processus d’intégration des FFI dans des unités régulières est en marche. Dès le 25 octobre, la brigade Demorny réunit tactiquement dans trois régiments quelques onze bataillons périgourdins et corréziens, dont le 4e régiment FTP Soleil, le 1er régiment Ricco, le 3e régiment Demorny. Le 1er décembre 1944, la brigade Demorny se réorganise en un 108e régiment d'infanterie.

Les traces du détachement juif sont inexistantes. Il n’a jamais fait l’objet d’une homologation et nous n'avons pas connaissance de l’existence de liste d’effectifs mais il est clair que l’on ne souhaitait pas, la légalité républicaine étant enfin revenue, maintenir, quelles qu’en soient les raisons, une distinction entre Juifs et non Juifs, option d’ailleurs soutenue, on l’a vu, par Ralph et Phil. Par ailleurs, il semble qu'André Rottler avait rejoint sur le front de Royan son bataillon AS d’origine et, enfin, on peut se demander comment a été contournée, dans ce détachement juif comme dans d’autres unités, la volonté des autorités militaires de former des unités constituées uniquement avec des étrangers.

L’exaltation des premiers moments transparaît toutefois dans quelques articles d’informations ou encarts parus dans la revue Droit et Liberté, créée durant l’été 1944 par l’Union de Résistance et d’Entraide des Juifs de France (UREJF). Le numéro 2 publie un portrait élogieux de "Ralph et Phil" et de leurs actions au sein de la MOI suivi d’un rapport enthousiaste du capitaine Carlos sur leur comportement. Le même numéro donne dans un petit encart un "Salut au détachement Paul Friedmann" suivi du texte suivant : "L’Union de la Jeunesse Juive salue la formation du premier détachement juif de la Dordogne : Paul Friedmann du nom d’un de nos héros de la résistance. Nous les jeunes, garçons et filles de l’UJJ nous ferons tout pour vous aider dans votre tâche. Déjà plusieurs de nos membres sont allés vous rejoindre. D’autres suivront. Votre lutte est la nôtre. A bas les nazis maudits. Vive la liberté !". Le numéro 3 (octobre 1944) publie un article intitulé "Notre détachement" rappelant ce qu’est le "détachement juif" "placé sous le commandement de nos jeunes lieutenants Phil et Ralph" et deux encarts, l’un transcrivant les félicitations adressées au détachement Paul Friedmann de la part de son chef de bataillon Olivier et un autre appelant à le rejoindre ou, à défaut, à rejoindre les milices patriotiques.


Auteur : Bernard Reviriego

Sources et bibliographie :
Service historique de la Défense, Vincennes :
- GR 16 P 372195, dossier Léon Lichtenberg
- GR 16 P 224448, dossier Raphaël Finkler
- GR 16 P 521567, dossier André Rottler
- 13 P 76, Brigade Demorny
- 12 P 20, 108e RI.

Archives privées Bernard Reviriego: dossier André Rottler, don de Esther Unger-Rottler, sa fille (photos, attestations, journaux)
"De la Pologne au FTP-MOI du Sarladais - Léon Lichtenberg" - Entretiens réalisés le 16 octobre et le 1er décembre 2009 à Périgueux. Durée : 2 h 27 min 58 s

Stéphane Weiss, "La régularisation des formations combattantes FFI engagés lors des sièges de la Pointe de Grave, de Royan et de La Rochelle en 1944-1945", La Rochelle, Ecrits d’Ouest, 2012, n° 20 : p. 175-192.
Bernard Reviriego, Les Juifs en Dordogne. 1939-1944, Archives départementales de la Dordogne – Editions Fanlac, 2003, p. 78.