Michel Lémonon, le rebelle

Genre : Image

Type : Portrait

Producteur : Inconnu

Source : © Collection Jean Sauvageon Droits réservés

Détails techniques :

Photographie argentique en noir et blanc.

Date document : juillet 1939 - juillet 1941

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Saint-Donat-sur-l’Herbasse

Ajouter au bloc-notes

Analyse média

Photographie d’identité. Michel Lémonon porte ses vêtements noirs de jeune vicaire.


Auteurs : Jean Sauvageon
Sources : Collection Jean Sauvageon

Contexte historique

Michel Lémonon, fils du docteur Lémonon de Saint-Donat-sur-l’Herbasse, est né en 1912. Après des études au séminaire, il est ordonné prêtre, nommé vicaire à Saint-Donat, en juillet 1939, puis, en juillet 1941, à Notre-Dame-de-Lourdes à Romans-sur-Isère où il restera jusqu’en octobre 1947. Il a lutté, avec ses armes de prêtre, contre le nazisme. Puis il a été prêtre-ouvrier. Après la décision du Vatican de 1954 concernant les prêtres-ouvriers, il a abandonné son sacerdoce. Tout en travaillant, il a repris ses études et a enseigné dans plusieurs universités allemandes.

Michel Lémonon comprend rapidement que le curé de Romans ne partage pas les mêmes opinions politiques que lui, dans la cuisine figure un grand portrait du maréchal Pétain (qui sera remplacé par un portrait du général de Gaulle après la Libération !). « Le curé ne faisait qu’illustrer avec un zèle assez voyant la doctrine constante de l’Église : reconnaître le pouvoir légitime de l’État, n’eût-on pour lui aucune sympathie… ». À peine arrivé, il entend chanter, dans l’église, Maréchal nous voilà par les « Cœurs vaillants ». C’est un de ses premiers accrochages avec le curé. Résultat : on ne chantera plus ce chant à la gloire du chef de l’État français. Un autre incident avec son curé s’est produit lorsque monsieur Claudet, un ancien du Sillon, est venu lui demander d’intervenir auprès du commissaire de police pour faire relâcher son fils qui vient d’être arrêté et accusé d’être communiste. Devant le refus du curé, Michel rédige une lettre à son évêque où il exprime son indignation face à cette injustice ; mais, avant de l’expédier, il la montre à son curé qui lui accorde satisfaction. Son intervention permet la libération du jeune homme.

On a vite compris, à Romans, que Michel est un homme de confiance, on lui confie des personnes à cacher, des Juifs notamment. C’est le cas de cette petite fille qu’on amène chez lui. Il la conduit chez ce fils Claudet qui, d’accord avec son épouse, adopte l’enfant. Monsieur et madame Claudet ont participé activement à la Résistance dans la région de Romans et dans le Vercors. Après la guerre, ils ont effectivement adopté légalement cette fillette, devenue orpheline.

Ces actions, pour importantes qu’elles soient, ne suffisent pas à Michel pour exprimer son opposition au régime du gouvernement de Vichy. Il estime urgent d’éclairer les chrétiens sur les impératifs de la justice et de la charité, et plus généralement aussi d’éclairer tous les Français sur ce qu’est le national-socialisme. Il donne une conférence publique à Saint-Donat. Il conclut ainsi sa conférence : « Il nous faut détruire le national-socialisme si nous voulons réaliser la communauté humaine ». Dans ses sermons, il fustige l’antisémitisme et n’hésite pas, dans cette période, à rappeler que Jésus était Juif.

Michel Lémonon n’a pas dû apprécier les vœux de nouvel an 1943 de l’évêque de Valence : « Je mettrais quelque temps à pardonner aux Français égarés qui, en appelant les Américains et les Anglais dans notre empire, nous ont rejetés dans la guerre, alors que l’effort du grand sage [Pétain] que le monde entier admirait était de nous en tenir éloignés jusqu’à la fin ».

Le 16 février 1943, est instauré le STO (Service du Travail Obligatoire) pour suppléer, dans les entreprises allemandes, les hommes occupant les pays européens et se battant en particulier sur le front russe.

À Romans, le 9 mars 1943, le chef de gare, Jean Chapus, informe la Résistance qu’un train spécial venant de Grenoble convoyant 300 requis passera à Romans le lendemain. Dans la journée, six jeunes chrétiens de la Jeunesse ouvrière catholique (JOC) dont Michel Lémonon et six jeunes de la Jeunesse communiste (JC) dont Auguste Blanchard se réunissent pour préparer une manifestation lors du passage du train.

Le 10 mars, ce sont des centaines de Romanais et Péageois qui se retrouvent au passage à niveau, à l’ouest de la gare de Romans, en fin de matinée. La manifestation dure une grande partie de l’après-midi. Le train de requis rejoint Valence dans la soirée. On ne sait exactement combien de jeunes ne sont pas remontés dans le train. Mais le principal mérite de cette action est d’avoir montré qu’il était possible de résister.

La Résistance armée est la plus connue, mais cette lutte contre l’État français et contre l’occupant a pris des formes diverses dont cette Résistance spirituelle de la part de certains prêtres, en opposition avec leur hiérarchie, comme c’est le cas de Michel Lémonon. L’abbé Magnet, curé de La Bâtie-Rolland, inquiété pour ses activités clandestines, est obligé de quitter sa paroisse et s’engage dans les forces armées dans le Vercors, il est tué en combattant à Bourg-de-Péage le 27 août 1944. Le révérend père Charpentier affecté semi clandestinement à la paroisse de Saint-Andéol de Claveyson aide la Résistance et notamment le commandant Azur pour l’envoi des messages-radio. On peut citer, dans le Vercors encore le père Chambre, l’abbé Vincent, Dom Guetet, le RP Yves de Montcheuil qui était présent à la grotte de la Luire et qui sera fusillé quelques jours après à Grenoble, le curé Gagnol de Vassieux-en-Vercors ou Henri Grouès, dit l’abbé Pierre ; ce sont encore les religieux de l’abbaye d’Aiguebelle à Montjoyer qui ont contribué à la Résistance.

L’abbé Charles Chalamet, tout comme le pasteur Gédéon Sablier, ont représenté les chrétiens au Comité départemental de Libération.

Les protestants dont la Fédération est présidée par Marc Boegner, ancien pasteur d’Aouste-sur-Sye, se sont rangés peut-être plus majoritairement du côté de la Résistance ; ils étaient plutôt orientés à gauche alors que le monde catholique plus traditionaliste a été attiré, un temps, par la doctrine maréchaliste, tiré en cela par sa hiérarchie. Mais les exemples ci-dessus montrent qu’il serait simpliste de classer les catholiques du côté de la collaboration et les protestants du côté de la Résistance.

Après la guerre, Michel Lémonon a exercé son sacerdoce comme prêtre ouvrier sur de nombreux chantiers, notamment sur celui de Donzère-Mondragon où il travaillait dans les caissons des piles de ponts, et dans des entreprises de maçonnerie de la région de Romans et de Tain-l’Hermitage. Il a été délégué syndical CGT. Les conflits avec sa hiérarchie ont été nombreux. Lorsque le Vatican a annulé la mission des prêtres ouvriers, il n’a pu supporter cet oukase et a abandonné son sacerdoce. Sa situation est alors difficile. Il reprend ses études qui le mèneront à un doctorat. Il exercera différents métiers en Allemagne. Il se marie avec Stania, une polonaise. À leur retraite, ils viennent habiter Saint-Donat dans une aile de la maison familiale. À la mort de Stania, Michel retourne en Allemagne où Il décède le 29 décembre 2007, à plus de 95 ans.


Auteurs : Jean Sauvageon
Sources : Divers articles et interventions de Jean Sauvageon.