Après le bombardement américain de Valence le 15 août 1944

Légende :

Faubourg Saint-Jacques, les rescapés et les sauveteurs récupèrent ce qui peut l’être dans les ruines des maisons, sur une charrette tirée par un cheval, un charreton à bras, une remorque…

Genre : Image

Type : Bombardement

Producteur : Cliché Henri Jullien

Source : © Collection Pierre Vincent-Beaume Droits réservés

Détails techniques :

Photographie argentique en noir et blanc.

Date document : août 1944

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Valence-sur-Rhône

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Analyse média

Pendant sept minutes, vingt bombardiers américains volant à 4 000 m d'altitude dans la direction est-ouest, et non sur l’axe nord-sud du fleuve, lâchent une centaine de bombes de 250 kg, en principe sur le pont routier traversant le Rhône entre Valence et Granges-lès-Valence, pont inauguré le 13 août 1905 par le président de la République drômois Émile Loubet.

Deux arches du pont enjambant le Rhône avaient été détruites par un dynamitage du Génie à l’approche de l’ennemi en juin 1940, mais elles avaient été réparées depuis. L'objectif des Américains, c'était de détruire ce pont pour retarder la retraite allemande vers le nord. 

Les avions sont pris sous le feu de la Flak (DCA allemande) installée au Polygone à Valence et en protection de l'aérodrome de Valence-Chabeuil-la Trésorerie, notamment celle du plateau de Billard. La Flak du quartier du Polygone en abat plusieurs, l'un tombe à Alixan, un autre à Upie, un dans l'Ardèche. Pour les deux premiers, les équipages, sauf un blessé fait prisonnier à Alixan, sont récupérés par la compagnie "Pierre" avec l'aide de personnes de la localité. Un détachement du maquis Wap part sans ordre pour récupérer les aviateurs alliés descendus : l'un de ses éléments, Raymond Thivet, est fait prisonnier et sera fusillé le lendemain.
Le début du bombardement a été si rapide que les chefs d'îlots n'ont pas tous eu le temps d'ouvrir les abris : on retrouvera les cadavres du concierge de la préfecture et d'autres personnes du quartier devant la porte de l'abri ouvrant sur la côte Sylvante.
Quand les habitants peuvent enfin sortir, c'est pour voir, au travers d'une poussière suffocante, un spectacle infernal : la préfecture, frappée par trois bombes, brûle, des papiers volent partout, des tonnes de dossiers, de documents, d'archives disparaissent. De l'hôtel de la préfecture, à l'emplacement actuel du parc Saint-Ruff, seul sera sauvé le portail d'entrée. La mère du préfet a été tuée, le préfet Leclercq et sa sœur sont blessés.
Les quais du Rhône sont dévastés. L'hôpital, pourtant marqué de deux gigantesques croix rouges sur la toiture, est partiellement détruit, les quatre étages de la partie sud se sont effondrés en bloc, ils contenaient le service de chirurgie des femmes et la maternité. Complètement ravagée, cette aile n'est plus qu'un trou béant d'où on retirera difficilement les corps de 130 personnes, des femmes en traitement, des bébés, des infirmières.
Le quartier Bouffier-Bel Image et le faubourg Saint-Jacques, à 800 m de l'objectif, ont reçu eux aussi un lot de bombes. On en était aussi à la fin du repas quand l'alerte a sonné. Dans leur cave, les habitants qui ont eu le temps de descendre entendent les sifflements aigus et les explosions terribles au-dessus d'eux. Le sol tremble, la voûte se fend, mais résiste, des gravats et de la poussière obscurcissent l'atmosphère. Quand enfin ils peuvent sortir, c'est pour découvrir les maisons effondrées sous lesquelles ont été écrasés de nombreux habitants. La boutique du tailleur, les ateliers du forgeron, du maréchal-ferrant et du sellier, les écuries, la corderie, la droguerie, le marchand de pains de glace, tout a disparu ! Boulevard Vauban, un immeuble s'est écroulé et a écrasé trente-quatre des occupants de l'abri souterrain situé au-dessous.
La panique règne sur la ville. L'électricité est coupée. En beaucoup d'endroits, l'eau n'arrive plus, ce qui complique le travail des pompiers qui auront beaucoup de difficultés à éteindre les nombreux foyers d’incendie. Les pompiers de Valence sont retardés car ils sont obligés de découper au chalumeau les rideaux de fer du dépôt des pompes voilés par le souffle des bombes. Ils sont heureusement aidés par leurs collègues de Bourg-lès-Valence, Montmeyran, Tain, Romans, Lyon et Givors. De plus, l’accès est difficile dans les rues étroites de la vieille ville, souvent obstruées par les gravats des constructions anciennes. Malgré les quatorze pompes mises en action, les feux ne seront vaincus qu’à la fin de la nuit.
Pendant plusieurs jours, les Valentinois tentent d'apporter aide et secours aux victimes et aux sinistrés. Une équipe américaine présente dans la ville se montre fort efficace dans cette tâche. Le bilan est lourd. Le nombre de morts est estimé, selon les sources, à 280 ou 324 morts (189 civils, 69 résistants, 66 militaires). On remarque parmi eux 80 Arméniens nombreux dans les quartiers touchés. On compte aussi 120 blessés graves et 80 blessés légers. 19 morts et 32 blessés sont dénombrés à Bourg-lès-Valence. Soixante immeubles ont été détruits, 120 autres sont inhabitables, 300 sont endommagés. Environ 2 000 personnes sont sinistrées. Sur l'autre rive, on compte vingt morts à Granges-lès-Valence. À Alixan, le bombardement détruit l’école libre de garçons, la salle des fêtes et trois habitations, à Portes-lès-Valence, le triage et le dépôt sont fortement touchés. Jules Courbis, 46 ans, était de garde dans le mirador surplombant le pont, au moment du bombardement allié : le mirador, frappé par une bombe, est entraîné dans le fleuve, ainsi que Courbis, dont le corps n’a jamais été retrouvé.
Plusieurs personnes sont tuées après le bombardement : des secouristes ou des brancardiers des équipes d'urgence de la Croix-Rouge lors du dégagement et des secours aux victimes, des membres du service de la Défense Passive, des démineurs, des artificiers de l'armée ou des sapeurs-pompiers dans l’accomplissement de leur mission de détection et d’enlèvement de bombes non éclatées : André Ganon, 18 ans, Jean Colombet, 17 ans, Marius Marin, 49 ans, Léon Reboulet, Koren Sahajian, 50 ans, Henri Reviron, de Grenoble, Jean-Marie Rouzet, Agop Tourayan, 39 ans.


Auteurs : Robert Serre 

Contexte historique

Il faisait très beau ce jour-là. Peu après 13 heures, les gens étaient à table quand la sirène sonne. Les habitants de la ville abandonnent leur repas et se précipitent vers leur abri souterrain. Ils vont y rester deux heures, la fin de l'alerte n'étant sonnée qu'à 14 h 25.

Pourquoi ce bombardement américain a-t-il été un tel échec quant à son objectif et une si tragique erreur dans ses effets ? La cible est manquée, le pont est presque intact, mais le résultat est catastrophique. Les Américains s'en sont expliqués : le bombardement a été effectué par de jeunes pilotes inexpérimentés, qui ont été affolés par les ripostes de la Flak, le vent violent aurait dévié la chute des bombes. En réalité, on le sait, les Américains, toujours soucieux de protéger leurs combattants, ne voulaient jamais prendre le risque de voler trop bas et de se placer à portée des tirs du sol, ce qui explique leur altitude trop importante pour espérer atteindre exactement un objectif. Mais une autre erreur apparaît : les avions volaient dans le sens est-ouest alors qu'un survol suivant le cours du fleuve aurait certainement évité beaucoup de pertes. 

De Lassus ("Legrand") envoie un message à « Saint-Sauveur » le 18 août à 18 h : « Depuis 15 août, 400 civils tués à Valence et nombreux blessés par aviation. Ne pouvons plus nous montrer à Valence car population à bout. Avions toute possibilité faire sauter pont de Valence comme avons fait pour pont Livron. Désormais, demandez des instructions, ferons mieux et sans pertes ». Puis il proteste par radio auprès d'Alger.
La Royal Air Force (RAF) britannique, trois jours plus tard, procède selon son habitude avec un premier passage en plongée pour repérer la cible : dix avions en piqué larguent une cinquantaine de bombes explosives de 500 kg dont près de la moitié n'éclatent pas : elles tombent dans un rayon de 100 m, le pont est atteint. Une arche s'écroule, l'autre 2 jours plus tard. Cependant, même si la dispersion est bien moindre, le parc Jouvet, les quais en amont et en aval et les Grands Moulins sont frappés, ajoutant vingt morts et six blessés au bilan.
La libération de Valence, deux semaines après le tragique bombardement, verra des cortèges de liesse, mais la tristesse et le deuil marquent encore les esprits. La ville a reçu la croix de guerre avec étoile de vermeil par le président de la République Vincent Auriol en 1949.


Auteurs : Robert Serre
Sources : ADR 31J/D11. ADD, 500 W 29, 11 J 40. Patrick Martin, Thèse. Rapport de R.Thibaud, directeur départemental de la Défense Passive. Plaque Poste Valence. Plaque com. Bourg-lès-Valence. Archives Vincent-Beaume. Archives de Saint-Prix. Pour l\'Amour de la France. L.F Ducros, Montagnes ardéchoises (Tome 3). Combats pour le Vercors et pour la liberté. Le Dauphiné Libéré du 23 août 1984, du 16 août 2003. La Picirella. Témoignages sur le Vercors.