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Plaques mémorielles de la boulangerie de La Galine, Saint-Rémy-de-Provence

Légende :

Plaques apposées sur la façade de l'ancienne boulangerie coopérative de La Galine où furent rassemblés, dans la nuit du 9 au 10 juin 1944, des résistants fusillés ensuite entre Sénas et Lamanon (Bouches-du-Rhône)

Genre : Image

Type : Plaques

Source : © Clichés R. Mencherini Droits réservés

Détails techniques :

Photographies numériques en couleur (voir recto-verso).

Date document : Mai 2017

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Saint-Rémy-de-Provence

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Analyse média

Deux plaques commémoratives sont apposées sur la façade d’un bâtiment qui longe la route départementale 99, en direction d’Orgon, au cœur du quartier agricole de La Galine, sur la commune de Saint-Rémy-de-Provence, à l’est du bourg. Toutes deux, « In memoriam » (« En mémoire ») rappellent brièvement les événements qui se sont déroulés dans cette maison lors de la nuit du 9 au 10 juin 1944 : l’arrestation de résistants, torturés et conduits ensuite sur le lieu de leur exécution, le long du canal des Alpines.

La plaque la plus grande, en marbre blanc, apposée en juin 1946, est la plus ancienne. Elle précise que ce bâtiment était le siège de la coopérative l’Amicale (de fait une boulangerie), donne la liste des victimes originaires de Saint-Rémy, et souligne les liens qu’elles  entretenaient avec la coopérative : Eugène Thiot* en était le gérant, Pierre Barriol*, le secrétaire, Charles Gras*, un coopérateur. Un autre résistant, Marcel Bonein, qui n’a été arrêté ni en ce lieu, ni à cette date, figure pourtant sur la plaque comme « membre coopérateur ». Les trois autres noms, ceux de Marcel et Louis Roudier* et de Delfo Novi*, sont gravés sans autre précision que leur âge. Le plus jeune des résistants avait 19 ans, le plus âgé 42 ans. La plaque grise, de dimensions plus réduites, scellée en 1994, avec mentions FTPF (Francs-tireurs et partisans français) et FFI (Forces françaises de l’Intérieur), ne porte qu’un seul nom, celui d’Eugène Thiot, avec ses titres, lieutenant et chevalier de la légion d’honneur.

Les deux plaques rappellent que les résistants assassinés ont obtenu le titre de « Morts pour la France ». Elles désignent comme auteurs du « lâche assassinat », la Gestapo (allemande) et la Milice (française), les précisions sur la nationalité des meurtriers étant apportées par la deuxième plaque. On sait aujourd’hui que la Milice (responsable de bien d’autres exactions) n’intervient pas à la Galine. Les Français qui jouent un rôle essentiel dans l’arrestation et le massacre des résistants sont ceux engagés dans la 8e Compagnie Brandebourg, pour beaucoup membres du PPF, ainsi que le démontrent, à la Libération, les dossiers des cours de justice qui les concernent.

La plaque grise qui honore le chef du groupe résistant, utilise des catégories plus générales que la précédente pour désigner les victimes. Celle-ci apposée peu de temps après les événements, détaille les prénoms, noms, âges et qualité de coopérateur des exécutés, désignés comme « nos camarades », qui deviennent dans la seconde plaque des « héros de la Résistance », « atrocement torturés » par leurs « bourreaux », mais plus anonymes. En cinquante ans, le temps a fait son œuvre et érodé le sentiment de proximité avec les victimes.

Le septième résistant fusillé le 9 juin entre Sénas et Lamanon, René Neyrand*, ne figure pas sur ces plaques : il n’a pas été arrêté à Saint-Rémy et ne fait pas partie du groupe résistant de La Galine dont il a pourtant partagé le dramatique destin. Son nom, en revanche, est bien gravé sur la stèle commémorative érigée le long du canal des Alpines au côté des Saint-Rémois (voir les médias liés).


Robert Mencherini

Contexte historique

En 1944, un groupe de résistants particulièrement actif était basé dans le quartier agricole de La Galine à Saint-Rémy-de-Provence. Celui-ci était, selon l’historien Marcel Bonnet et le résistant Casimir-Pierre Mathieu, constitué sous l’égide des MUR, par fusion avec un noyau FTPF déjà existant. Il était dirigé par Eugène Thiot, gérant de « L’Amicale », coopérative de boulangerie de La Galine. Eugène Thiot, sous la houlette de Casimir-Pierre Mathieu, Saint-Clair, étaitchargé plus spécialement de l’action. Il gérait les dépôts d’armes et menait des actions  de sabotage de voies ferrées ou de pylônes de lignes électriques à haute tension.

En juin 1944, à l’annonce du débarquement de Normandie et en application de l’ordre de mobilisation générale de la Résistance, Eugène Thiot organisa, dans le secteur, dès le 7 juin,  la distribution des armes. Les Allemands, informés au niveau de la région par l’agent Noël, parachuté par Alger mais passé à leur service, étaient également sur le pied de guerre et se préparaient à intervenir contre les maquis ou tentatives de départ pour les maquis. Ce qu’ils firent effectivement à Martigues, le 8 juin, ou à Lambesc et dans la chaîne des Côtes, à partir du 11 juin. On ne connaît pas exactement la source des informations dont ils disposaient sur Saint-Rémy (on a évoqué des dénonciations). Mais celles-ci étaient assez précises pour qu’ils puissent frapper de manière efficace.

Une opération d’envergure combina deux mouvements. Le 9 juin 1944, vers midi, les principaux points d’accès à La Galine furent bouclés et étroitement contrôlés par des barrages militaires allemands. En même temps, le quartier fut investi, du côté d’Eygalières, par plusieurs dizaines d’individus déguisés en résistants, réfractaires ou agents parachutés. De fait, il s’agissait d’éléments de la 8e compagnie Brandebourg, spécialisée dans les infiltrations de maquis, dont les tortionnaires français Honoré Paolino, dit Piccolo, et Léon Battifredo (condamnés à mort à la Libération). Ils jouèrent la comédie dans plusieurs mas, de manière à identifier les (vrais) résistants et à localiser les dépôts d’armes, sans négliger de voler, au passage, biens et nourriture.

Ils intervinrent ainsi au mas de Pilons, où se dissimulait le jeune Delfo Novi*, réfractaire  au Service du travail obligatoire (STO). Il était venu s’y cacher, depuis Arles, chez sa sœur et son beau-frère, gérant du mas. Delfo Novi fut emmené, en début d’après-midi, sous bonne escorte, jusqu’à la coopérative de La Galine. Les faux maquisards y rencontrèrent Eugène Thiot, mais ne parvinrent pas à le berner. Il s’esquiva et les légionnaires Brandebourg partirent continuer leur chasse aux résistants dans le quartier. De retour à la coopérative vers 17 heures, ils arrêtèrent Pierre Barriol*, venu en voisin, et exigèrent de Mme Thiot, présente avec ses cinq enfants et enceinte d’un sixième, qu’elle cuise l’agneau volé dans la journée à un berger. À la nuit tombée, Eugène Thiot fut interpellé lorsqu’il rejoignit son domicile, ainsi que le jeune Charles Gras* et les frères Lucien et Marcel Roudier*. Les résistants, contraints de s’agenouiller devant le four, subirent des interrogatoires particulièrement brutaux. Des armes furent découvertes, et l’un des frères Roudier fut traîné jusqu’à son mas où l’on en saisit d’autres. Tandis que les Brandebougeois faisaient main basse sur les objets, précieux ou non, de la maison Thiot, y compris la bicyclette, les détenus, en piètre état, furent poussés dans un camion où, probablement, était déjà attaché un jeune homme d’origine lyonnaise, René Neyrand* [voir cette notice]. On hissa dans le véhicule Eugène Thiot, mort ou à peine vivant. Le convoi prit la direction de Plan-d’Orgon (Bouches-du-Rhône). Le corps d’Eugène Thiot fut jeté dans un fossé deux kilomètres plus loin : les services allemands évoquèrent une tentative de fuite très peu plausible, information reprise par la gendarmerie. Les six autres détenus furent massacrés le long de la route de Sénas à Lamanon (Bouches-du-Rhône), entre la voie de chemin de fer et le canal des Alpines. Leurs corps furent retrouvés quelques jours plus tard et inhumés dans l’une ou l’autre commune.

La nouvelle du massacre provoqua une émotion considérable à Saint-Rémy. En juillet 1944, une messe de sortie de deuil fut célébrée à Saint-Rémy pour les fils des familles Roudier, Barriol, Gras et Brogi (beau-frère de Delfo Novi).

Après la Libération, le 5 décembre 1944, eurent lieu les obsèques solennelles « des 7 enfants de Saint-Remy, héros et martyrs de la Résistance » : Lucien Georges (tué au maquis de Sigonce, Basses-Alpes, le 8 juillet 1944), Lucien Vivaldi et cinq fusillés de La Galine (Pierre Barriol*, Charles Gras*, Delfo Novi*, Louis et Marcel Roudier*), dont les cercueils furent alignés devant la mairie.

Le 24 février 1946, le football club de Saint-Rémy organisa une coupe Eugène-Thiot. En juin 1946, une plaque de marbre, portant le nom des victimes de la Galine et celui de Marcel Bonein*, fut scellée sur la façade de la boulangerie coopérative, lors d’une cérémonie qui regroupa les familles et les autorités. Un monument aux morts de la Résistance de Saint-Rémy, financé par souscription et subvention de la municipalité, fut édifié dans l’un des cimetières de la ville et inauguré le 15 septembre 1948. Une stèle fut érigée à Lamanon, au bord du canal des Alpines, sur les lieux où avaient été retrouvés les six corps des fusillés. Sept noms de fusillés de La Galine figurent sur une plaque « Guerre de 1939-1945 » du monument aux morts de la place de la République. Ils sont gravés également sur une plaque disposée au début de l’avenue de la Résistance, face à la collégiale Saint-Martin, tous indiqués (de manière erronée) comme FTPF. La mémoire des événements, entretenue par des commémorations annuelles, a été ravivée, en juin 1961, par la remise posthume de la Croix de chevalier de la Légion d’honneur à Eugène Thiot. Une nouvelle plaque In memoriam a été scellée sur le mur de l’ancienne coopérative en juin 1994.


Auteur : Robert Mencherini

Sources :

Archives départementales des Bouches-du-Rhône, 76 W 129, rapports de gendarmerie, 11, 12 et 16 juin 1944 ;

Archives départementales du Gard, 3 U 7, article 252, dossier Paolino Honoré ;

Dossiers DAVCC Caen ;

Casimir-Pierre Mathieu, La résistance à l’oppression, la première et deuxième guerre mondiale, La Résistance, Saint-Rémy, chez l’auteur, Cavaillon, Imprimerie Mistral, 1978 ;

Marcel Bonnet, « Le massacre de “La Galine”, 9-10 juin 1944 », Revue de l’Amicale laïque de Saint-Rémy-de-Provence, 1984, reproduit (avec des documents) in Marcel Bonnet, Le massacre de “La Galine”, 9-10 juin 1944, présenté par André Bonafos et par Rémy Bonein (chef de groupe du quartier de la Galine 1940-1943), Eyrargues, Édition espace culturel Eyrarguais, 1991 ;

Véronique Sassetti, « Saint-Rémy-de-Provence pendant la Seconde Guerre mondiale », mémoire de maîtrise, Université d’Avignon et des pays de Vaucluse, dir. R. Mencherini, 1996, dactylographié ;

Robert Mencherini, Résistance et Occupation (1940-1944), Midi rouge, Ombres et lumières. Histoire politique et sociale de Marseille et des Bouches-du-Rhône, 1930 - 1950, tome 3, Paris, Syllepse, 2011 ;

Robert Mencherini, notices de La Galine, lieu d’exécution, et biographies des victimes, Dictionnaire Maitron des Fusillés (et sur le site Internet Maitron en ligne).