Impuissance et craintes des responsables du ravitaillement, 8 janvier 1945

Légende :

Conversation téléphonique entre deux responsables du ravitaillement interceptée par les renseignements généraux de Marseille, 8 janvier 1945

Genre : Image

Type : conversation téléphonique retranscrite

Source : © Archives départementales des Bouches-du-Rhône Droits réservés

Détails techniques :

Document dactylographié

Date document : 8 janvier 1945

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille

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Analyse média

Les renseignements généraux rendent compte régulièrement des échanges téléphoniques ou écrits au sujet du ravitaillement qu'ils émanent de particuliers ou de l'administration. Dans cet extrait d'écoutes entre un fonctionnaire toulonnais et son homologue marseillais, on peut mesurer combien l'administration en charge du ravitaillement est impuissante. Chacun essaie de ne pas se trouver en dernier ressort responsable des pénuries. Pour l'interlocuteur toulonnais, la météo à laquelle personne ne peut rien et les trafiquants marseillais que son collègue pourrait poursuivre sont à incriminer au premier chef. Le fonctionnaire marseillais ne nie pas que le marché noir alimente sans doute nombre de commerce de la rue Longue des Capucins, artère commerçante du centre ville mais il en minimise l'impact. Pour lui, les pénuries vont bien au delà de ce que le marché noir détourne. Les deux fonctionnaires se retrouvent sur un point : leur impopularité est à son maximum et ils craignent des réactions violentes de la part de la population.


Sylvie Orsoni

Contexte historique

Cinq mois après la libération des villes méridionales, la situation alimentaire est toujours catastrophique. La population persuadée, y compris par la propagande de la résistance, que les pénuries cesseraient avec le départ du dernier soldats allemand manifeste de plus en plus nettement son exaspération. Le 31 décembre 1944, le CDL (comité départemental de la Libération) tient un meeting au cours duquel la question du ravitaillement est abordée. Une motion finale réclame l'augmentation des rations de vivres de première nécessité et une épuration des services du ravitaillement. Dans son rapport de la mi-janvier 1945, Raymond Aubrac, commissaire de la République dresse pour le ministre du Ravitaillement un bilan très alarmant : « Il faut en finir avec les affirmations gratuites que l'on lance sur Marseille où on a la réputation de tout exagérer... On meurt beaucoup à Marseille et on meurt de faim tout court. ».

Le CDL et le commissaire de la République essaient de réorganiser les services du ravitaillement mis en place par le gouvernement de Vichy mais les fonctionnaires constatent leur impuissance à surmonter le chaos (voire documents en album). Les injonctions des organisations de Résistance, les critiques de la presse ne constituent pas des solutions. Les circuits de distribution restent désorganisés, les ouvriers sous-alimentés ne peuvent fournir les efforts exigés, la tentation est grande de privilégier sa ville ou les siens lorsque des produits alimentaires passent à portée. La répression du marché noir si elle est œuvre de justice ne suffit pas à retrouver des quantités suffisantes de vivres. Le premier hiver de la Libération est particulièrement difficile, il est suivi d'autres puisque les tickets de rationnement ne sont supprimés qu'en 1950.


Sylvie Orsoni 

Sources

Mencherini Robert, "Conséquences sanitaires des pénuries alimentaires dans les Bouches -du-Rhône", inDominique Veillon, Jean-Marie Flonneau (dir.), « Le temps des restrictions en France (1939-1949) », Les Cahiers de l'IHTP, n° 32-33, mai 1996, pp. 419-432.

Mencherini Robert, La Libération et les années tricolores (1944-1947). Midi Rouge, ombres et lumières, tome 4. Paris, Syllepse, 2014.