Journal Défense de la France, n°1, 15 août 1941

Légende :

Newspaper "Défense de la France", n°1, August 15, 1941

Genre : Image

Type : Presse clandestine/Clandestine Press

Source : © Archives nationales, fonds Défense de la France (don association Défense de la France) Droits réservés

Détails techniques :

Format 21 x 27 cm. 5 pages. 2 feuillets recto-verso, un 3e imprimé au recto seulement. Papier jaunâtre de médiocre qualité, acheté au marché noir.

Lieu : France - Ile-de-France

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Analyse média

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« Ce premier numéro officiel de Défense de la France (DF) est édité deux fois. La première fois en juillet, la seconde, présentée ici, le 15 août. Il est imprimé à 3000 exemplaires (5000 selon les sources) chez Madame Pascano – mère d’un de leurs camarades – Villa Saint-Jacques dans le 5ème arrondissement. Le papier utilisé, acheté au marché noir, est jaunâtre et de mauvaise qualité. « Les 12 premiers numéros, dont la matrice est réalisée à partir d’une machine à écrire offset acquise chez Rotaprint, sont difficiles à lire ».
Olivier Wieviorka « Une certaine idée de la Résistance, Défense de la France 1940-1949, Seuil, 1995.

Avant ces deux premières publications officielles, le jeune mouvement édite, aux alentours du mois de mai 1941, un tout premier journal qu’ils baptisent " Nouvelles de France : l’Alsace ". A cette époque, DF ne dispose pas encore de machine à imprimer et le tirage s’effectue sur la Ronéo d’Alponse Bottin, père d’une amie d’Hélène qu participe aux premiers pas du mouvement. Défense de la France dispose dès le printemps 1941 d’une infrastructure relativement solide qui tranche avec les moyens dérisoires dont pâtit une première résistance » (1). 

Cette situation privilégiée est due au soutien logistique et financier assuré par l’ami de Philippe Viannay, l’industriel Marcel Lebon et son assistant Paul Ranchon : ils versent 100 000 francs à Philippe et Hélène Mordkovitch (qui deviendra en 1942, Hélène Viannay, en épousant Philippe Viannay) leur permettant ainsi de se procurer, sur les conseils techniques de Paul Ranchon, une imprimante Rotaprint auprès d’une maison de machines allemandes. De son côté, la société Lebon acquiert, elle aussi, une machine identique, ce qui permet d’approvisionner facilement Défense de la France en fournitures de matériels d’imprimerie à une époque où l’approvisionnement est difficile. En outre, à l’aide de madame Pascano, il s’équipe d’une machine Underwood à grand chariot, nécésssaire pour l’établissement de clichés. 
Ces conditions privilégiées permettent au fondateur du mouvement d’installer une première imprimerie, certes artisanale mais qui lui confère une réelle autonomie à laquelle son chef tient tout particulièrement.  « Ce souci d’indépendance le distingue des autres organisations clandestines qui, en règle générale, sous-traitent l’impression des journaux auprès d’imprimeurs patriotes » (2).

L’imprimante est initialement livrée dans un local de la rue Lhomond (Vème, Paris). Après cette installation provisoire, la Rotaprint, baptisée « Simone », est transporté à l’aide d’un tandem muni d’une remorque à la Villa Saint-Jacques à Paris dans le Vème arrondissement. Pendant plus d’un mois, elle héberge la petite équipe de Défense de la France qui prépare et réalise le premier numéro de son journal. Les allées et venues des uns et des autres attirent très tôt l’attention et madame Pascano, leur suggère de quitter les lieux dès le mois d’août. Après avoir transité, pour une courte période, chez le père de Philippe Viannay à Neuilly, « Simone » est placée dans les caves de la Sorbonne dont Hélène dispose des clés. 

A l’exception d’un bref séjour, aux mois d’avril-mai 1942, chez le professeur Alphonse Dain, rue de Dantzig dans le 15ème (Paris), elle y demeure jusqu’en septembre 1942.

Très vite ce repaire s’avère idéal : « A partir de l’entrée on accède à un tableau où il y avait les clés de la cave. Elle était à deux niveaux plus bas, profonde avec de la terre battue. Constituée d’une première pièce et d’une deuxième contre les réserves de la bibliothèque. De là partaient d’immenses souterrains. [...] Ils décident d’installer la machine à imprimer dans la deuxième pièce de la cave. Il y avait une petite ampoule qui pendait au plafond, une porte qui permettait d’accéder aux couloirs souterrains en sautant en contrebas à un mètre, et un recoin pour cacher des armes. Philippe avait apporté son fusil de soldat et un révolver.[...] La cave n’avait pas d’issue de secours. S’ils étaient pris, le piège se refermait sur eux. Ils faisaient donc extrêmement attention de ne pas être suivis ». (3)

« Les 21 premiers numéros sont écrits par 9 rédacteurs seulement. […] Les dirigeants s’attribuent leurs articles au gré de leurs affinités et les auteurs, une fois les textes acceptés, signent leur copie d’un pseudonyme : « Indomitus » pour Viannay, « Robert Tenaille » pour Salmon. Les deux hommes rédigent à eux seuls la majorité des contributions, même si quelques personnalités extérieures, René Tézenas-du-Montcel, « Maître Jacques », ou Alphonse Dain « Francin, Klein, Pelletier », apportent parfois leurs concours. 
En somme, une poignée d’hommes assume à elle seule la rédaction du journal ». (4)

Dans les 22 premiers numéros, publiés entre le mois d’août 1941 et novembre 1942, Défense de la France engage un combat fondé sur une protestation morale. Son discours, centré sur l’information et la contre-propagande traite, de manière inégale, les sujets suivants : la collaboration, le défaitisme, les provinces perdues et la germanisation des populations locales, l’anglophobie, le pillage économique allemand, les rigueurs de l’occupation, l’hitlérisme et le barbarisme nazi, les camps de concentration, les revers de la Wehrmacht et les difficultés économiques du Reich.


Ce premier numéro de DF comporte quatre articles :

- Dans son premier article, Philippe Viannay, «Indomitus » l’insoumis en latin « oppose la force d’un témoignage à l’apathie d’une société qui se délite ». Il expose ses vues sur la conduite à tenir dans cette guerre qui « n’est pas finie ». Cet article a pour but de faire réagir une population française traumatisée et déboussolée en les persuadant de ne pas renoncer à la liberté de son pays et de conserver à l’esprit une volonté de « lutte pour l’UNITE, pour la VERITE, pour l’HONNEUR ».

 

- Le deuxième article s’intitule « Ni Allemands, ni Russes, ni Anglais ». Cette formule de Robert Salmon, « Robert Tenaille » fait l’unanimité au sein de l’équipe rédactionnelle qui décide de l’adopter comme slogan du journal jusqu’au numéro 25. Elle résume à elle seule le parti pris de DF pour une lutte franco-française en incitant la société à se méfier des Britanniques et des Russes dont le risque serait de devenir un « dominion » du premier et une République de la deuxième. Convaincu que « ce n’est pas de l’étranger qu’ils doivent attendre le salut » mais d’eux-mêmes, l’auteur invite les lecteurs français à se mettre au service de leur Patrie. Force est de constater l’absence totale de considération manifestée par DF à l’égard du général de Gaulle.

- « Nouvelles de France : l’Alsace ». Très préoccupé par le sort de l’Alsace que le Reich vient d’annexer, il est significatif pour les deux co-auteurs que cette première publication officielle soit en partie consacrée à la situation de l’Alsace-Lorraine et au sort de ses habitants. Dans ce troisième article, qui reprend le titre de leur tout premier tract édité au mois de mai 1941, le journal rappelle le sort « de nos frères d’Alsace-Lorraine […] qui souffrent et soupirent après la France, leur Patrie ».

DF présente les « Buts allemands en Alsace » que s’est fixés Adolf Hitler. D’août 1940 à octobre 1942, DF informe et sensibilise régulièrement la population sur les « malheurs éprouvés par l’Alsace-Lorraine et dénonce « la germanisation forcée de ses provinces perdues ».

 

- Dans son quatrième article intitulé « de source certaine » l’auteur, anonyme, alarme les lecteurs sur les conséquences dramatiques qu’imposeraient « les conditions de paix d’une Allemagne victorieuse ». DF conclut ce premier numéro sur une note optimiste visant à pointer du doigt « l’enlisement de l’assaillant sur le front Russe ».




Sources : (1) Olivier Wieviorka, Une certaine idée de la Résistance, Défense de la France 1940-1949, Seuil, 1995. (2) Ibid. (3) Clarisse Feletin, Hélène Viannay, l’instinct de résistance de l’Occupation à l’école des Glénans, édition Pascal, 2004. (4) Olivier Wieviorka, Op.cit.



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This first official issue of Défense de la France was published twice. The first, in July 1941, and the second, seen here, on August 15. 3000 copies (5000 according to some sources) were printed on the movement's Rotaprint at the home of Madame Pascano – the mother of one of their friends – at Villa Saint-Jacques in the Fifth Arrondissement in Paris.

Before these two first official publications, in around the month of May 1941, the young movement edited a very first paper which they baptised "Nouvelles de France : l'Alsace". At the time, Défense de la France did not yet have their own printer and thus used the Ronéo machine belonging to Alphonse Bottin, the father of one of Hélène Mordkovitch's friends who participated in the first stages of the movement.

« From the Spring of 1941, Défense de la France has had at its disposal a relatively solid infrastructure which stands in sharp contrast to the pathetic means from which the first resistance suffered » (1). This privileged situation was due to the logistical support and finances assured by a friend of Philippe Viannay, the industrialist Marcel Lebon and his assistant Paul Ranchon : they gave 100,000 francs to Philippe Viannay and Hélène Mordkovitch (who, in 1942, became Hélène Viannay after marrying Philippe Viannay), giving them the means to procure, with the technical advice of Paul Ranchon, a Rotaprint printer from beside a house of German machines. For his part, Lebon's society acquired for itself, an identical machine, which permitted Défense de la France to easily obtain supplies of printing materials at a time when the supply was difficult. What's more, with the help of Madame Pascano, they obtained an Underwood typewriter, helping them make even more copies. These privileged conditions permitted the founders of the movement to install their first printing press. It was certainly artisanal, but it still gave them a real autonomy, to which the leadership held strong. « This worry of independence distinguished them from other underground movements which, as a general rule, contracted out the printing of their papers to patriotic printers » (2).

The printer was initially delivered to a location on Rue Lhomond (5th Arrondissement, Paris). After this provisionary installation, the Rotaprint, baptised « Simone », was transported to the Villa Saint-Jacques in the 5th Arrondissement of Paris, with the help of a trailer. For more than a month, the small team of Défense de la France hid out in their new base, preparing the first issue of their newspaper. The comings and goings of the members caught the attention of Madame Pascano, who suggested that they move out by August. After spending a short time at the home of Philippe Viannay's father in Neuilly, « Simone » was placed in the cellars of the Sorbonne, to which Hélène had the keys. With the exception of a short stay (April-May 1942) at the home of Professor Alphonse Dain (Rue Danzig in the 15th of Paris), this would be « Simone »'s home until September 1942. This hideout quickly proved to be ideal: « From the entrance, we could access a board with keys to the basement, which was two levels underground – deep, with a clay floor. The basement consisted of two rooms, the second of which was next to the library reserves. From there opened an immense underground. [...] They decided to set up the printing machine in the second room of the basement, where there was a small light bulb hanging from the ceiling, a door to the underground hallways a meter below, and a recess to hide arms. Philippe brought his soldier's rifle and a revolver. [...] The basement did not have an emergency exit; if they were taken, they would be trapped. Therefore, they were very careful not be followed ».
(3)

« The first 21 issues were written by a team of only 9 authors. [...] The directors attributed their articles to their close friends, and once the texts were accepted, signed the copies under a pseudonym: « Indomitus » for Viannay, « Robert Tenaille » for Salmon. The two men wrote the majority of the contributions themselves, though occasionally contributions were sent in from other personalities, such as René Tézenas-du-Montcel, « Maître Jacques », or Alphonse Dain « Francin, Klein, Pelletier ». Overall, only a handful of people assumed all of the writing for the newspaper ».
(4)

In the first 22 issues, published between August 1941 and November 1942, Défense de la France engaged in combat on the basis of moral protest. Its message, centered on information and counter-propaganda, addressed, unequally, the following subjects: collaboration, defeatism, lost territories and the germanization of local populations, anglophobia, the economic exploitation by Germany, the difficulties of the occupation, Hitlerism and Nazi barbarism, concentration camps, the defeat of the Wehrmacht and the economic difficulties of the Reich.



This first issue of Défense de la France is composed of four articles:

- In the first article, Philippe Viannay, « Indomitus » the unsubdued in Latin, « opposes a forceful account of the apathy of a society that is crumbling ». He exposes his view that the leadership needs to take action in this war that « is not finished ». The goal of this article is to inspire action in a traumatised and disoriented French population, to persuade them not to renounce the liberty of their country, and to conserve in their hearts the will to « fight for UNITY, for TRUTH, for HONOR ».

- The second article is titled « Neither Germans, nor Russians, nor English ». This piece by Robert Salmon, « Robert Tenaille », was, as unanimously decided by the leadership team, adopted as the motto of the newspaper – in a fairly regular manner – until issue 25. The article outlines the stance of Défense de la France for a struggle entirely French, calling society to distrust the British and the Russians, with whom they risk to become a « dominion » of the former or a republic of the latter. Convinced that « it is not overseas that we must await salvation » but from themselves, the author invites French readers to put themselves to the service of their homeland. It is important to note that Défense de la France entirely fails to mention General de Gaulle in this consideration.

- « Nouvelles de France : l'Alsace ». Preoccupied by the fate of Alsace, recently annexed by the Reich, it is significant for the two co-authors that this first official publication would in part be consecrated to the situation in Alsace-Lorraine and the fate of its inhabitants. In this third article, which borrows its title from their first pamphlet published in May 1941, the newspaper recounts the fate « of our brothers in Alsace-Lorraine [...] who suffer and long for France, their homeland ». Défense de la France presents the « German objectives in Alsace » as decided by Adolf Hitler. From August 1940 to October 1942, Défense de la France informed the population of the «misfortunes felt by Alsace-Lorraine » and denounced « the forced Germanization of these lost provinces ».

- In the fourth article, titled, « From a Certain Source » the author, anonymous, alarmed readers with the dramatic consequences that would be imposed by « the conditions of peace by a victorious Germany ». Défense de la France concluded its first issue on an optimistic note, pointing to « the collapse of the assailant on the Russian Front ».




Traduction : Matthias R. Maier


Auteur : Emmanuelle Benassi

Author: Emmanuelle Benassi

Contexte historique

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En août 1940, résister ne va pas de soi. Encore sous le choc de la défaite, les Français sont soumis au bon vouloir de l’occupant, divisés par la ligne de démarcation, privés d’une partie de leur territoire, de nouveau annexé, séparés d’un million et demi de leurs jeunes compatriotes restés prisonniers en Allemagne, dépouillés de leurs biens, endeuillés mais aussi et surtout déboussolés par la collaboration que préconise « leur maréchal » au retour de Montoire.

Traumatisée par cette écrasante victoire nazie, la population française est en déroute et semble se résigner. Craignant qu’elle ne soit « contaminée par des valeurs inadmissibles », une poignée d’hommes et de femmes décident d’agir face à ce péril au moyen de journaux clandestins en apportant la force de son témoignage et en l’opposant à la propagande officielle allemande que véhicule le régime de Vichy. 

Afin d’atteindre cet objectif, le jeune mouvement déploie, au prix de tant de dangers, une stratégie qui tente simultanément de contrer et dénoncer l’ennemi et la France qui le sert tout en sensibilisant l’opinion publique à certains thèmes. « En refusant le défaitisme, Défense de la France souhaite déculpabiliser les Français. En décrivant les revers allemands, il tente de leur remonter le moral. Surtout, il espère susciter l’exaspération de l’opinion publique et, ainsi faire rentrer moralement, les Français dans la guerre ».


Sources : Serge Ravanel, L’esprit de Résistance, éditions du Seuil, 1995.

 

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In August 1940, resisting was no small matter. Still shocked by their defeat, the French were submitted to the will of their occupants, divided by the line of demarcation, a part of their territory seized, annexed, separated from a million and a half young compatriots imprisoned in Germany, stripped of their assets, grief-stricken and above all confused by the collaboration advocated by « their Marshall » upon returning from Montoire.

Traumatized by the resounding Nazi victory, the French people were in disarray and seemed to resign themselves to defeat. Fearing that France would be « contaminated by inadmissible values »; a handful of men and women decided to act out against this peril, by means of an underground newspaper, bringing the strength of conviction and opposing the official German propaganda that supported the Vichy regime.

To reach their objective, the young movement used, in spite of all the dangers, a strategy to simultaneously denounce the enemy of France and to communicate to its readers certain themes. « In refusing defeatism, Défense de la France hopes to rid France of its guilt. In describing the German failures, it hopes to boost morale. Above all, it hopes to kindle the indignation of the public, thereby getting the French to morally rejoin the war ».

Source: Serge Ravanel, L'esprit de Résistance, Seuil publications, 1995



Traduction : Matthias R. Meier


Auteur : Emmanuelle Benassi


Author: Emmanuelle Benassi