Carte du BCRA : « La Résistance dans son action militaire »

Légende :

Carte constituant l’annexe 1 de l’étude n°2 du Bureau Central de Renseignement et d’Action de Londres, rédigée en février 1944 et intitulée « La Résistance dans son action militaire »

Genre : Image

Type : Carte

Source : © Archives nationales, 3 AG 2 / liasse 441 Droits réservés

Date document : Février 1944

Lieu : France

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Analyse média

Carte constituant l’annexe 1 de l'étude n°2 du Bureau Central de Renseignement et d’Action de Londres, rédigée en février 1944 et intitulée « La Résistance dans son action militaire » (A.N. 3 AG 2 / liasse 441). La carte ci-contre montre qu’en février 1944, le BCRA, faisant l’hypothèse d’un débarquement dans la Manche, imagine l’action des maquisards suivant deux grandes zones, découpées d’après les limites des régions de commandement de la Résistance : • au nord, une zone jugée propre uniquement au sabotages, et donc impropre aux attaques directes contre les Allemands (la guérilla). Cette prudence du BCRA ne s’explique pas seulement par les handicaps de cette zone en terme géographique (absence de relief) et géostratégique (lieu de la future bataille et de la plus forte concentration de troupes allemandes à l’arrière du front). C’est aussi parce que la résistance militaire y est perçue comme inorganisée, en retard sur les régions du sud. • Au sud, la « zone d’influence des maquis », privilégiée parce que loin du front et dotée d’atouts géographiques : les cinq massifs montagneux. Ils peuvent devenir des « réduits », c’est-à-dire des zones de refuge et des bases de départ pour des raids de guérilla sur les arrières de l’ennemi. C’est donc là qu’on prévoit de créer des « maquis mobilisateurs », c’est-à-dire des centres susceptibles d’équiper et d’entraîner convenablement de grandes masses de volontaires non armés, dont on prévoit l’afflux. • Elément singulier dans ce dispositif : le « réduit » de Paris, zone de combattants urbains. On fait d’ores et déjà l’hypothèse que s’y produira une insurrection. Il montre bien que la carte vise avant tout à signaler les secteurs où les parachutages d’armes alliés devraient être massifs : les « réduits » avant tout. Les quelques « maquis » signalés au nord relèvent de la même logique : ils indiquent des lieux préférentiels de stockage d’armes.


Bruno Leroux

Contexte historique

Il n’existe pas de carte nationale des maquis satisfaisante, pour des raisons simples. Les maquis peuvent désigner des rassemblements allant de quelques hommes à (exceptionnellement) plusieurs milliers, ce qui pose un problème insoluble d’échelle . Par ailleurs, la plupart des maquis se sont déplacés pour survivre, ce qui complexifie toute cartographie globale. Livres et musées présentent cependant parfois une carte de France où ces problèmes de localisation sont traités par de larges taches définissant des « zones de maquis ». Elles suivent en gros les limites de grands massifs montagneux, et dans le reste de la France signalent par quelques ovales ou « haricots » quelques régions (Bretagne, Morvan, etc) sélectionnées au détriment d’autres suivant des critères jamais explicités. Cette carte n’est pas partout exactement la même, mais elle est toujours unique, confondant généralement les maquis des différentes périodes. Ces cartes approximatives ont pour sources celles concoctées par les services du général de Gaulle en 1944. Mais on s’est longtemps inspiré de celles-ci sans les analyser, comme si elles décrivaient la réalité alors qu’elles illustraient des études prospectives sur les possibilités d’action des maquis après le débarquement, pour convaincre les Alliés d’armer ceux-ci. Grâce à la thèse de Sébastien Albertelli , on peut maintenant interpréter ces cartes du BCRA . Les études du BCRA ont préparé les instructions du général de Gaulle prévoyant de façon tout aussi prudente une entrée en action échelonnée de la Résistance, régions par régions, suivant la progression des armées. Mais elles n’ont pas réussi à convaincre le commandement allié d’inclure l’action de la Résistance française dans ses plans stratégiques : les incertitudes sur le potentiel de ces « civils armés » lui paraissaient trop grandes pour distraire a priori des moyens importants dans l’opération en préparation, gigantesque et absolument pas gagnée d’avance. Les parachutages d’armes ont donc bien augmenté avant le débarquement, mais pas encore massivement (ce sera le cas durant l’été) et sans orientation d’ensemble. Et le 5 juin 1944, en donnant l’ordre de déclencher immédiatement sabotages et guérilla sur tout le territoire, les Alliés ont surtout pensé à utiliser la Résistance comme élément de leur plan de « déception » : il fallait maintenir l’incertitude sur l’importance réelle d’Overlord (débarquement principal ou leurre ?), et donc ne pas donner d’indice contraire en ciblant la seule Normandie. Ce décalage entre les décisions des Alliés et les projets français antérieurs amène à relativiser les échecs des grands « maquis mobilisateurs » (Mont-Mouchet, Vercors). A l’échelle de la levée en masse provoquée par les ordres alliés, ils ont représenté un phénomène ultra-minoritaire. En fin de compte, la guérilla mobile de la plupart des maquis combattants de l’été 1944 constitue une réalité peu cartographiable (et qui a débordé largement des « taches » de notre carte) car constamment mouvante, en fonction des parachutages, de la répression, des cibles de leur action – laquelle s’acheva souvent par l’investissement d’une ville.


Bruno Leroux