Répression du maquis de Sainte-Anne, 12 juin 1944

Légende :

Rapport du sous-préfet d'Aix-en-Provence au préfet des Bouches-du-Rhône, 14 juin 1944 - bilan de la répression allemande contre le maquis de la Chaîne des Côtes (maquis de Sainte-Anne)

Genre : Image

Type : Rapport administratif

Source : © AD Bouches-du-Rhône 99 W 120 Droits réservés

Détails techniques :

Document dactylographié de 4 pages (voir album).

Date document : 14 juin 1944

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Aix-en-Provence

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Analyse média

Le 14 juin 1944, le sous-préfet d’Aix-en-Provence adresse au préfet des Bouches-du-Rhône, un rapport de 4 pages sur les événements dramatiques qui se sont déroulés, depuis 3 jours, au nord-ouest de son arrondissement. Ce texte a une double fonction. D’une part, il dresse une chronologie détaillée de l’intervention des troupes allemandes contre le maquis de la Chaîne des Côtes, dans les communes de Lambesc, La Roque-d’Anthéron et Charleval. D’autre part, il essaie d’établir un bilan des victimes. Le sous-préfet a déjà eu l’occasion, à partir du 12 juin, d’attirer l’attention du préfet sur les opérations allemandes en cours, en particulier par des messages téléphonés que les services préfectoraux ont pris en note. Ces messages sont relativement brefs, à la différence du courrier du 14 juin. Celui-ci permet de faire le point sur les informations qu’avaient pu recueillir, à ce moment-là, les autorités françaises.

Le sous-préfet souligne, dès le départ, l’extrême gravité de ces événements et l’importance de l’intervention allemande. Il en attribue la cause à l’accrochage du 11 juin à Lambesc, avec des maquisards, qui se conclut par la mort d’un soldat allemand. Nous savons, aujourd’hui, que l’opération contre le maquis de la Chaîne des Côtes n’est pas liée à celle-ci, mais aux renseignements fournis aux occupants par trahison (fait dont le sous-préfet n’avait pas alors connaissance). À la différence d’autres messages, le rapport omet de mentionner l’occupation du village de Lambesc dans la soirée du 11 juin (à la suite de la mort de la sentinelle allemande). Le sous-préfet estime même que « la situation resta calme toute la soirée ». Mais il décrit ensuite, de manière assez précise, les diverses étapes des opérations allemandes : attaque du maquis le 12 juin au matin, arrestations et premières exécutions en soirée près de l’aqueduc de Valbonnet, nouvelles interventions à Lambesc, nouvelles exécutions au Fenouillet le 13 juin. Le bilan des victimes dans la chaîne des Côtes s’élève selon le sous-préfet à 85, dont 28 fusillées au Fenouillet. Mais il signale que le dénombrement est incomplet. Il tente également une répartition des morts par commune, mais celle-ci est loin d’être exhaustive, compte tenu du grand nombre de victimes non identifiées. Enfin, le rapport estime, en ajoutant les tués du maquis de Jouques, que le nombre total de victimes atteint la centaine pour l’arrondissement d’Aix.

D’autres rapports ultérieurs du sous-préfet ou de la gendarmerie permettent d’affiner cette première analyse.


Robert Mencherini

Contexte historique

Le dimanche 11 juin, à l’entrée ouest de Lambesc, les Allemands tentent d’intercepter une voiture et une camionnette qui transportent des armes pour le maquis. Les maquisards répliquent et une sentinelle allemande est tuée. Dans l’après-midi, à la suite de cet accrochage, un détachement allemand arrive dans le village et arrête vingt-cinq hommes dans les rues, les bars et à domicile. Il les rassemble sur la place du village, avec l’adjoint au maire. L’officier annonce qu’aucune représaille ne serait être exercée si les hommes partis dans la montagne étaient rentrés avant le lendemain. Les vingt-cinq hommes sont relâchés dans la soirée.

Mais, dans la nuit du 11 au 12 juin, des centaines de soldats allemands investissent les villages de Lambesc, La Roque-d’Anthéron, Rognes, Charleval et bloquent les routes et chemins d’accès pour la chaîne des Côtes. Dès les petites heures, camionnettes et chenillettes armées de mortiers montent à l’assaut du plateau, appuyées par trois avions de reconnaissance.

Dans la matinée du 12 juin, plusieurs personnalités du village de Lambesc (contrôleur des contributions indirectes, receveur des PTT… ) sont arrêtées et emprisonnées à Cavaillon. Leurs domiciles sont fouillés et pillés. Celui de l’ancien maire, Amédée Remondin, qu’ils n’ont pas réussi à arrêter, est incendié. L’après-midi, certaines parties du massif sont également en feu et l’incendie gagne le plateau. La plupart des résistants de Sainte-Anne se replient vers le bassin de Saint-Christophe à l’est, au « Castellas ». Le groupe du plateau de Sèze, qui, semble-t-il, n’a pas été repéré par les Allemands, descend par le flanc sud, fait mouvement vers l’est, affronte les Allemands à La Bastide-Blanche, avant de se cacher au-dessus du château de Caire-Val. Quelques-uns de ses hommes rejoignent le maquis de Saint-Antonin.

Tout au long de la journée, les hommes « qui redescend[ent] des collines et [viennent] prendre, dans leurs villages respectifs, leurs occupations » sont arrêtés. Selon le sous-préfet qui fait lui-même référence aux rapports de gendarmerie, tous « ne semblent pas avoir participé activement aux formations de la Résistance qui d’ailleurs, occupaient, elles, des camps bien déterminés situés à l’intérieur du massif (Plateau de Sèze, Plateau de Manivert, Sainte-Anne) ». C’est ce constat qui est fait également après la Libération : à la suite des bruits de rafles qui couraient depuis le 8 juin, « presque tous les hommes, de 16 à 60 ans, quittaient le soir leur village et allaient dormir dans la colline et dans les cabanons. Le matin, ils redescendaient prendre leur travail. Cela a duré quelques jours, puis le 12, les Allemands ont attaqué le maquis. Beaucoup d’hommes, pris de peur, ont essayé comme tous les matins, de regagner leur village et c’est à ce moment-là qu’ils ont été arrêtés. Certains mêmes qui étaient restés chez eux et qui se rendaient dans leurs champs ont également été arrêtés ». Tous les témoignages vont dans le même sens. Beaucoup de victimes n’étaient pas des maquisards.

Les exécutions commencent dans l’après-midi du 12 juin. Les hommes arrêtés à Charleval et à La Roque-d’Anthéron sont fusillés aux lieux-dits « Valbonnette » et « Pont d’Auvergne », à genoux, les mains liées derrière le dos. D’autres, d’abord conduits à Salon, sont ramenés le lendemain, et exécutés le soir, après 20 heures, au lieu dit « Le Fenouillet ». Mais, parmi les vingt-huit fusillés du "Fenouillet", certains n’habitent pas les villages du pourtour de Sainte-Anne. Ainsi que le reconnaît lors de ses interrogatoires Dunker-Delage, les Allemands se sont saisis de l’occasion pour se débarrasser d’autres prisonniers et « vider entièrement la prison du 7e étage du bâtiment 403 de la rue Paradis […] les prisonniers furent mis dans un car et conduits avec d’autres prisonniers se trouvant dans la prison des Baumettes  au champ de bataille de la veille dans la forêt « Chaîne des Côtes » entre Charleval et Lambesc. Ils ont été exécutés sur les ordres de Pfanner [responsable de la Gestapo».

C’est le cas des résistants arrêtés à Martigues et Port-de-Bouc, évoqués plus haut, et d’André Gérard, Gervais, Gerbaud. On trouve aussi, parmi les victimes, le pasteur Georges Flandre, Montcalm. Tous ont été dépouillés de leurs papiers d’identité et les corps, mutilés, sont méconnaissables. Le rapport Catilina fait état de 96 ennemis tués et 43 prisonniers pour la journée du 12 juin.  Selon la même source, le butin, « abandonné aux troupes » se compose d’une mitrailleuse anglaise, de 3 lance-grenades, 1 700 balles et 58 grenades à main de fabrication anglaise, 46 grenades de 8,14, 20 chargements de 50 gr., 5 kilos d’explosifs, 5 masques à gaz, 12 couvertures, 8 vestes de cuir et un dépôt de livres.


Auteur : Robert Mencherini

Sources : 

Archives nationales 72 AJ 104, AIII 7 bis, le Kommandeur de la SIPO et du SD de Marseille, « Rapport final (…) Affaire Catilina », Marseille, 6 juillet 1944, signé Dunker, SS Scharführer ;

Archives départementales des Bouches-du-Rhône, 76 W 129, rapport  de la brigade de gendarmerie de Lambesc, 12 juin 1944, et divers témoignages ;
58 W 20, Interrogatoire de Dunker par le principal chef de la BST, 8 juillet 1945 ;
99 W 120, rapport du sous-préfet d’Aix-en-Provence au préfet des Bouches-du-Rhône, 14 juin 1944 et autres documents ;

entretiens de Robert Mencherini avec Pierre Gazanhes, conservateur du Musée de Lambesc, fils du résistant Marcel Gazanhes et Henri Blanc, ancien maquisard ;

documents fournis par Suzanne Gérard-Vaisse, sœur d’Henri Vaisse, tué au maquis ;

Éric Roche, site « Le maquis de Sainte-Anne », 2012 ;

Jean-Claude Pouzet, La résistance mosaïque. Histoire de la Résistance et des Résistants du pays d’Aix (1939-1945), Marseille, Jeanne Laffitte, 1990 ;

Jacky Rabatel, Une ville du Midi sous l’occupation. Martigues, 1939-1945, Martigues, Centre de développement artistique et culturel, 1986,p. 269-274 ;

Témoignage de Gay Daniel, « Récupération de camarades du maquis de Sainte-Anne », in Jean-Maurice Claverie, La Résistance, notre combat, Histoire des FTPF du pays d’Aix, Au Seuil de la vie, Beaurecueil, 1991, p. 226-227 ;

Sapin (Jacques Lécuyer) et quelques autres, Méfiez-vous du toréador, Toulon, AGPM, 1987;

Robert Mencherini, Résistance et Occupation, 1940-1944, Midi rouge, Ombres et lumières. Histoire politique et sociale de Marseille et des Bouches-du-Rhône, 1930 - 1950, tome 3, Paris, Syllepse, 2011, p. 541-543.