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Le retour des prisonniers de guerre

Genre : Image

Type : Dessin et peinture

Source : © Musée de la résistance et de la Déportation en Ardèche Droits réservés

Détails techniques :

Réalisation sur feuille dessin en couleur

Date document : Vers mai 1945

Lieu : France

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Analyse média

Auteur : Robert Petit Lorraine, un artiste engagé

Robert Petit naît en novembre 1920 à Nancy. Son père, ferronnier d’art, l’initie très jeune à différents styles. A partir de 1935 il est apprenti chez un maître verrier. En juin 1940 toute la famille Petit fuit devant l’avancée allemande et se réfugie à Saint-Privat, près d’Aubenas en Ardèche. Entre juillet 1941 et février 1942, il doit faire son service dans les chantiers de jeunesse. Alors que ses parents et ses trois sœurs regagnent la Lorraine dans la deuxième moitié de 1942, il reste en Ardèche retenu notamment par la lumière et la beauté des paysages. Concerné par le Service du Travail Obligatoire (STO) instauré le 16 février 1943, et après avoir passé le 4 mars la visite médicale préalable à son départ en Allemagne, il entre en clandestinité. Il se cache sans doute à la Châtaigneraie, route de Vals-les-Bains à Aubenas (propriété appartenant à Louise, secrétaire locale de la Ligue des Droits de l’Homme, et Rose Chaussabel, institutrices de la Loire à la retraite) jusqu’à son départ le 9 avril pour un maquis refuge sur le plateau ardéchois.

En 1943, sa période maquisarde est entrecoupée de retours à la Châtaigneraie et d’un séjour chez les frères maristes d’Aubenas.

En 1944, il est très vraisemblablement resté caché à la Châtaigneraie avant d’apparaître plus au grand jour à Antraigues-sur-Volane en juillet-août sous le pseudonyme du FTP Lorraine, nom de sa région d’origine. Ses talents de dessinateur reconnus, il devient membre du service de presse et de propagande de l’état-major FTP (Franc-Tireur et Partisan). A partir du N° 6 du 21 août, il est l’illustrateur attitré de l’hebdomadaire FTP l’Assaut puis celui des trois premiers numéros de Valmy, journal des FFI, Forces Françaises de l’Intérieur, de veine plus caricaturale.

En 1945, il continue de créer certaines œuvres en relation avec la fin de la guerre dont le retour des prisonniers. Robert Petit est devenu Lorraine dans la clandestinité puis Robert Petit Lorraine le restant de sa vie d’artiste.

Analyse 

Selon les sources, le nombre de prisonniers de guerre ardéchois diffère.

Le 19 mai 1945, les Renseignements Généraux comptabilisent 4 050 prisonniers de guerre (AD07 72 W552). En date du 8 juin 1945 le CDL (Comité Départemental de Libération) dénombre 3 651 prisonniers de guerre rentrés et 2 200 en attente (AD07 70J16/9). Dans le tome I de Montagnes ardéchoises dans la guerre, Louis Frédéric Ducros donne les chiffres suivants : 5 800 ardéchois prisonniers de guerre parmi lesquels 280 meurent en captivité (maladies, bombardements, exécutions suite à des sabotages, des vols, des tentatives d’évasion), 600 se sont évadés (exemple Louis Lextrait ) et 850 ont été rapatriés pour raisons médicales ou familiales : décès, mariages ou parce qu’ils ont servi de monnaie d’échange, généralement les plus fragiles, avec des ouvriers dans le cadre de la Relève.

Ces différences numériques s’expliquent par:
- la difficulté d’avoir un chiffre précis à l’origine en mai-juin 1940 étant donné que certains soldats vont profiter de la situation de chaos pour s’éclipser alors que le reste de leur unité est fait prisonnier,
- les dates d’établissement de ces données,
- les permissions accordées les premiers temps de la captivité à des prisonniers de guerre dont le plus grand nombre ne retourne pas en Allemagne et vit désormais dans la clandestinité ou se fait employer par des entreprises prioritaires,
- l’ignorance de certains décès, rapatriements, voire de plusieurs évasions, ces ex-prisonniers vivent alors cachés.

Sur ce sujet du retour des prisonniers, Lorraine réalise en V (mai) 1945 deux œuvres différentes par leur format : paysage et portrait et par la façon de traiter ce thème mettant soit les prisonniers au premier plan soit mélangés à la population venue les accueillir. Sur deux feuilles de dessin en couleur, il représente en noir et blanc la réception faite à ces prisonniers et l’impression qu’ils donnent : joie d’avoir retrouvé la liberté tant rêvée, de revoir la famille, des amis, le « pays » et à l’inverse un visage marqué par l’histoire vécue, l’interrogation sur demain. La plupart des prisonniers ardéchois arrive en gare de Valence où un car les attend pour les transporter jusqu’à Privas où se trouve la maison du prisonnier, avenue du Petit Tournon, puis Vals- les- Bains, grand centre d’accueil où ils sont habillés, chaussés et reçoivent une somme d’argent. Ils sont accueillis dans une ambiance de fête. La maison du prisonnier est dirigée par M. Jost avec comme chefs de service pour les prisonniers et déportés M. Jean Fucili, ancien prisonnier stalag XIII C rapatrié en janvier 1942 pour raison médicale, assisté d’une quinzaine de femmes de prisonniers et M. Giroux pour les STO et les réfugiés. Cette maison du prisonnier créée sous Pétain a fonctionné jusqu’en 1946.


Contexte historique

Le retour des prisonniers de guerre s’est échelonné dans le temps selon que leur lieu de captivité est proche ou éloigné de la France, qu’ils sont hébergés dans des camps (oflags pour les officiers, stalags pour les hommes de troupe et les sous- officiers) ou chez des particuliers pour qui ils travaillent (agriculteurs, artisans…), deux situations bien différentes. Cela dépend si leur libération est due aux anglosaxons ou aux soviétiques, si leur santé est plus ou moins bonne (rapatriement à pied, en camion, en avion notamment sanitaire, en train dont certaines locomotives sont parfois réquisitionnées pour d’autres transports jugés plus urgents). Enfin il convient de ne pas oublier l’état des voies de communication et la poursuite de la guerre jusqu’au 8 mai. Pour beaucoup de prisonniers, huit mois se sont écoulés entre la libération de l’Ardèche début septembre 1944 et leur retour. Après 5 ans d’exil forcé, ils attendent cet instant qu’ils idéalisent, cette liberté retrouvée. Mais il y a le choc du retour non conforme à leurs espérances. Le CDL (Comité Départemental de Libération) élargi constate lors de la réunion du 8 juin 1945 « les prisonniers ne sont pas toujours contents. Ils sont partis alors que la France était riche et ils reviennent avec cette même idée. Aussi il est difficile de donner à tous, tout ce qui leur serait nécessaire».( AD07 70J16/9 ) En effet le pays est exsangue car il a été pillé, détruit notamment ses infrastructures et de plus il est divisé, déchiré. Les prisonniers rapatriés depuis le 1er mars 1945 reçoivent une prime d’accueil de 1 000 frs versée à la frontière et au centre d’accueil départemental un congé de libération égal à un mois de congé au tarif du salaire moyen départemental ainsi qu’une paire de chaussure, deux chemises auxquelles s’ajoutent un bon de ressemelage, un bon d’achat chaussure, une carte textile délivrée lors de la remise d’un costume (AD07 70J26/4). Des prisonniers mariés ou fiancés s’aperçoivent de leur infortune, des papas découvrent ou doivent refaire connaissance avec des enfants cinq ans plus âgés. Des prisonniers se réadaptent difficilement à cette nouvelle vie et ont de la difficulté à reprendre un travail. Certains déplorent le peu de cas fait à leur forme de résistance : diffusion de nouvelles démoralisantes auprès de la population allemande, réplique à la propagande pétainiste dans les journaux de camp, mauvaise volonté dans l’accomplissement des travaux imposés : lenteur, malfaçons, mise en panne des machines dans les usines, évasions. Cette déception est accrue par le peu d’intérêt porté à leur vie loin du pays. Des prisonniers se heurtent à l’indifférence de nombreux habitants préoccupés de leur survie dans un pays confronté au rationnement. Plus blessant encore est le mépris d’une partie de la population qui les considère comme l’incarnation de la défaite. Cela fait dire à Joseph Raoux dans « Pas si simple » édité par la FOL Ardèche en 1998 « Quoi qu’on dise, quoi qu’on fasse, nous sommes catalogués vaincus. Le titre d’anciens prisonniers de guerre…ce n’est pas un titre de gloire ». Toutefois Honneur est rendu aux anciens de Rawa- Ruska (camp disciplinaire ouvert en Galicie en avril 1942 pour mater les récidivistes des tentatives d’évasion) qui se sont vu reconnaître la qualité d’internés Résistants. Aussi face à ces difficultés d’insertion, des prisonniers de guerre se complaisent dans la participation à des associations qui les regroupent alors qu’à l’opposé d’autres vont à l’instar de Joseph Raoux «ne plus fréquenter les réunions d’Anciens Prisonniers de Guerre…rompre avec ce passé ». Pour certains prisonniers de guerre, cette mémoire oubliée, enfouie au plus profond d’eux-mêmes resurgira à l’automne de leur vie afin d’« enrichir la mémoire familiale » (Joseph Raoux)


Auteur : Alain Martinot

Sources :
Archives départementales de l'Ardèche 70J16/9 ; 70J26/4 ; 72W552.
Louis Frédéric Ducros, Montagnes ardéchoises dans la guerre, 1974.
Joseph Raoux, Pas si simple, 1998.
Rencontre avec M. Jean Fucili le 19 avril 2002