Massacre à Valréas (Vaucluse) le 12 juin 1944

Légende :

Moins connus que les exactions du Vercors, les massacres de Valréas (enclave du Vaucluse dans la Drôme) et d'Izon-la-Bruisse ont marqué le passage de la Wehrmacht dans cette région.

Genre : Image

Type : Monument

Producteur : Cliché Alain Coustaury

Source : © Collection Alain Coustaury Droits réservés

Détails techniques :

Photographie argentique couleur.

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Vaucluse - Valréas

Ajouter au bloc-notes

Analyse média

Bordant la route d’Orange, ce « mur des fusillés » porte deux plaques très explicatives : « Ils étaient là, face à ce mur, à attendre leur mort » « victimes de la barbarie nazie ».

 Malgré les transformations de la rue et l’édification d’un bâtiment, le « mur des fusillés » a été conservé dans son état originel.



Contexte historique

Il y a moins d’une semaine que les Alliés ont débarqué en Normandie. Le 8 juin au matin, les résistants de l’AS (Armée secrète) et des FTPF (Francs-Tireurs et partisans français) pénètrent dans la cité de Valréas et en occupent les lieux stratégiques. Les Allemands, bien renseignés par un traitre infiltré, ne peuvent tolérer cet « abcès de fixation ».

Le 10, deux de leurs avions mitraillent plusieurs positions. La menace d’un assaut allemand sur la ville conduit nombre de Résistants, conscient de leur faiblesse (ils ne disposent que de moins de 200 hommes, 6 fusils-mitrailleurs et des armes individuelles) envisagent un repli. Mais un responsable influent s’y oppose.
L'attaque allemande, avec 1 200 militaires motorisés, précédés de chars, a lieu le 12 juin sur plusieurs directions visant à isoler Valréas de la montagne de la Lance. Elle se traduira par plusieurs accrochages sanglants à Valréas et ses environs :
* Dans une voiture conduite par Auguste Lambert, résistant de Montélimar, le capitaine "Alain" roulait sur la route de Dieulefit à Valréas, accompagné de deux résistants et de Yvonne Rousset, née Demangel épicière de Dieulefit dont le mari est au maquis et qui allait au ravitaillement. Au Pont-au-Jas, sur la commune de La Roche-Saint-Secret, ils tombent dans une embuscade allemande : le chauffeur Lambert est tué, ainsi que madame Rousset, "Alain" et un de ses compagnons, blessés, sont hospitalisés à Die et opérés
* des groupes FTP sont en position autour de Taulignan. Le groupe Guion est posté au niveau de "la petite tranchée" sur la route de Salles-sous-Bois. Vers 8 h, un convoi allemand arrive et des tirs sont échangés. René Ribière est tué. Les maquisards se retirent.

À Taulignan, le maquis a occupé la commune. Une cinquantaine de soldats allemands cantonnés à Montélimar y arrivent par camion. L’assaut de Taulignan a tout de l’expédition punitive : sept personnes sont fusillées par les Allemands alors qu’elles ne participaient nullement à un combat : Kléber Boudin, gendarme de la brigade de Taulignan fusillé au quartier de la Gare, Jules Vache, 42 ans, cultivateur, résistant de Taulignan, tué alors qu’il essayait de récupérer son troupeau dispersé, madame Aglaé Chaix, 70 ans, cultivatrice, abattue près de sa maison. Jean (-Marie) Fritz, garçon de 14 ans, né à Madagascar, habitant à La Seyne (Var), réfugié à Taulignan, abattu dans un arbre alors que, selon des sources divergentes, « il ramassait des feuilles de mûrier pour nourrir les vers à soie de l'école » ou essayait de se dissimuler, Fernand Théolas, né à Saint-Paul-Trois-Châteaux, 46 ans, contremaître aux cartonnages, résistant de Taulignan, pris avec une arme sur lui et fusillé devant la bascule. À l'entrée de Taulignan, vers 11 h, Pierre Darlix, cafetier restaurateur à Taulignan, qui ramenait de Valréas cinq résistants en renfort dans une voiture se fait massacrer avec Martial Deyres, 20 ans, originaire du Teil (Ardèche), Aimé Jacquerod 20 ans, né à Nîmes, militant dans les mouvements de jeunes catholiques, Henri Paschke, 18 ans, originaire de Cannes (Alpes-Maritimes), François Albert Rein, 19 ans, né à Besançon (Doubs) où il résidait avant la guerre, étudiant juif réfugié à Valence, et René Soubeyrand, 20 ans, originaire du Vaucluse.
D’autres habitants de Taulignan sont faits prisonniers ; internés à la prison de Montluc à Lyon, ils seront fusillés la semaine suivante. Le 16, le cantonnier de Taulignan, Félix Veyrier, 44 ans, est fusillé à Saint-Didier-de-Formans (Ain), laissant deux enfants orphelins, leur mère étant décédée 5 ans auparavant. Le 17, cinq hommes capturés à la tranchée de Valréas à Taulignan, emmenés à la prison Montluc, sont fusillés à la Roche, commune de Saint-Laurent-de-Mure (Isère, maintenant Rhône) : Carmelo Garcia, réfugié espagnol de 41 ans, habitant Taulignan, engagé dans les FTPF ; les frères Gelly, raflés dans leur champ, Joseph, 16 ans, né à Saou, et Pierre, 18 ans, né à Cléon-d’Andran, (les Allemands auraient trouvé sur eux des horaires de tour de garde) ; Cléon-d’Andran, né à Taulignan, 45 ans, ouvrier agricole chez les Gras, avec qui il avait déjà été pris le 9 février, torturé et emprisonné deux mois, de nouveau capturé à Taulignan ; Célestin Reynier, 55 ans, distillateur à Grignan. Ces exécutions ont été retenues dans les chefs d'accusation du procès Barbie.

Les FTP de Suze-la-Rousse ayant appris que les Allemands se préparaient à attaquer Valréas avec leurs blindés envoient Arnaud Achiary prévenir les résistants de cette ville. Achiary part à moto de Suze-la-Rousse. Au passage, il prévient Bouchet qui tient un barrage sur la route de La Baume-de-Transit. Vers 10 h 30, Achiary parvient à joindre le lieutenant "Georges" Rigaud et son adjoint Oudot à Taulignan. Georges décide le repli, mais ses ordres ne parviendront pas aux trois groupes FTPF qui tenaient la route de Baume, d'Orange, de Grillon, et au groupe AS commandé par Allouard en position au quartier Montmartel. Un agent de la Gestapo infiltré dans les rangs de la Résistance valréassienne, Roger Ferrand, est-il pour quelque chose dans ce ratage ?

 À Valréas à midi, la sirène donne l'ordre de repli aux maquisards face à l'arrivée allemande. Les postes, connaissant la signification de l'appel, décrochent. Par contre, le barrage de la route de Baume ignore ce signal et continue sa faction. A 12 h 45, les Allemands attaquent ce barrage, Roger Carrière est touché à mort alors qu’il protégeait le flanc droit du groupe. Cinq maquisards, Émile Bouchet, Joseph Coutton, Auguste Mary, Gratien Soureillat, Alfred Buey, se repliant de la route de La Baume-de-Transit, sont pris et emmenés à Valréas. Dans les autres groupes, six hommes sont tués dans des circonstances analogues : René Discours-Bordet, Léopold Fabre, Gabriel Jardin, Ulysse Jardin, Cyrielle Laget et Julien Sallard.
L'unité de sécurité de la Luftwaffe de Valence, la 8e compagnie de la Division Brandenbourg de Pont-Saint-Esprit et le groupe de protection 210 avec le Groupe d'attaque Unger 126 de la 9e division blindée de la Wehrmacht investissent la ville. Les Allemands tirent de tous côtés dans les rues, sur les portes et les fenêtres. Ils pillent les maisons, volent bijoux, économies, vélos, provisions, mettent le feu en plusieurs endroits et, après une journée de carnage, réussissent à prendre la ville.
Un officier allemand ordonne au maire Jules Niel de faire rassembler les habitants sur la place de la Mairie.
Un officier sur le kiosque harangue la foule cernée par la troupe et menacée par les chars et armes lourdes braqués sur elle, ses phrases sont traduites en français par un interprète en uniforme allemand qui a l'accent parisien. Puis les Allemands rassemblent les 27 maquisards capturés en combat, y adjoignent 25 habitants de Valréas pris au hasard et les alignent devant un mur, mains jointes sur la tête, au rond-point du Portalon. Le maire essaie d’intervenir, il n’en sauvera que deux. Puis le peloton d’exécution commence une lente fusillade, par petits séries, entrecoupées de pauses pour aller boire à l’hôtel voisin. Et le coup de grâce à chacun d’eux. Face au peloton, des hommes hurlent un nom chéri, chantent La Marseillaise ou l’Internationale.
Une cinquantaine de corps gisent devant le mur, que l’officier allemand, après les avoir soigneusement comptés, ordonne de laisser à la vue de tous, sans les toucher jusqu’au lendemain. Malgré cet ordre, durant la nuit, des sapeurs-pompiers, des infirmières de la Croix-Rouge et des habitants volontaires examinent l’amoncellement de corps et y découvrent cinq hommes qui ne sont pas morts. Ils les transportent à l’hôpital et les remplacent par des morts des fusillades précédentes dans la campagne. L’un des rescapés de la tuerie, Alfred Buey, imprimeur à Valréas, 30 ans, meurt au cours de la nuit de ses blessures. Mais les quatre autres survivront. Ce sont Émile Bouchet, maréchal-ferrant à La Motte-Chalancon. Arrêté le 23 août 1942 dans son village pour activités communistes, ayant, avec d’autres, chanté l’Internationale dans un banquet à Bruis (Hautes-Alpes). Condamné à 3 mois de prison et 3 000 francs d’amende, interné à Fort-Barraux, puis à Montluc pendant cinq mois. Libéré le 19 janvier 1943, il reprend ses activités résistantes, achemine et héberge des Juifs de Lyon, organise le camp de la Lance. Arrêté par les GMR (Gardes mobiles de réserve) le 1er juillet 1943, il s’évade au cours de son transport. Entre dans le groupe SAP (Section atterrissage et parachutage) de Valréas-Taulignan en septembre 1943, devient chef d’un groupe-franc du sud-Drôme, avec lequel il récupère 22 camions dissimulés par le CDM (Camouflage du matériel), détourne en gare de Pierrelatte un camion de sucre et deux camions de farine, transporte un officier blessé. Les autres sont Joseph Coutton, de Taulignan, qui hébergeait les jeunes rejoignant le camp de la Lance, Auguste Mary et Gratien Soureillat.
Au total, et suivant l’ordre impératif des autorités allemandes, les 53 cercueils d’habitants de Valréas sont transportés, le 15 juin à 6 h 30, sur des charrettes, seulement accompagnés par les familles, et la municipalité. Mais dans la journée, les tombes se sont couvertes de monceaux de fleurs.

Après avoir investi Valréas et Taulignan, les Allemands poussent vers Nyons, arrivent jusqu'à Novezan, hameau de Venterol et rebroussent chemin. Il semble que les nazis aient voulu semer la terreur en amenant sur ce secteur des forces importantes, pour obliger les FFI (Forces françaises de l'intérieur) à décrocher, puis en pillant, incendiant, violant, assassinant, pour insuffler la crainte d'un retour aussi sauvage si les FFI revenaient.

 Le journal de la 9e Panzer rend compte de l’opération en ces termes : « Pertes ennemies : 110 morts, pas de pertes chez nous. Prise : 41 MG, 1 sMG, 10 M.Pi, plusieurs carabines, des munitions, de la dynamite, quelques véhicules (inutilisables) ».


Auteurs : Robert Serre
Sources : Association cantonale des Familles de Fusillés, des Déportés et Internés, Résistants et Patriotes de l’Enclave de Valréas, 12 juin 1944, 53 fusillés à Valréas, Récits et témoignages, 5e édition, 2001, 172 pages. AN, BCRA, 3AG2/478, 171Mi189 SHGN, Rapports R4, Cie Drôme. SHAT, bobine 173, page 152/1. ADD, 132 J 1, 132 J 25, 132 J 62, 97J 27, 97J 38, 97J 91, 1920 W. Réponse de Thomas, instituteur de Taulignan, au questionnaire du CH2GM, 10/04/1960 Musée de Montreuil, archives Duclos, rapport dactylographié N°A10166/D133, du 14/7/1944 Monuments aux morts et plaques commémoratives Valréas, Taulignan, St-Restitut, Montélimar Le Dauphiné Libéré, 8 juin 1993 Patrick Martin. Thèse Chaffel. Pour l'Amour de la France Drôme terre de liberté Combats pour le Vercors et pour la liberté. Ladet "Ils ont refusé de subir"- Pons. Dufour. La Picirella L.F Ducros (Tome 3) Terre d'Eygues n°13. En Avant F.F.I du 21/10/1944, récit de Bouchet et Dongois. site la seyne, perso.wanadoo.fr