Mémoire des maquis

Dès le printemps 1943, les maquis prennent une importance symbolique majeure dans le vocabulaire résistant. Ces groupes armés vivant dans les bois et les zones montagneuses sont une incarnation de la Résistance armée à l'Occupant et du combat pour la liberté. Les joutes radiophoniques entre speakers de la BBC et de Radio-Paris, au début de l'année 1944, ne font qu'accentuer la mystique autour du maquisard. Au coeur des maquis, une identité commune se forme également, retranscrite au travers de chansons, de coix d'insignes...Après la Libération, les associations d'anciens résistants ont perpétué cette mémoire qui transparaît dans l'édification de monuments et mémoriaux en hommage à "ceux du maquis".

 

L'identité maquisarde haut ▲

Au fil de leur évolution, de camps de réfractaires à force armée engagée dans les combats de la Libération, les maquis ont bâti leur identité en fonction de leur affiliation à tel ou tel mouvement de Résistance, de leur éventuelle obédience politique, de références à des valeurs patriotiques et humanistes, à des épisodes de l’histoire de France, de la présence d’un encadrement par des militaires issus de l’armée d’armistice ou encore de particularismes locaux.

Cette identité s’est d’abord exprimée au travers du nom choisi par le maquis. Appellation simplement géographique comme le maquis du Vercors (Drôme-Isère) ou reprenant le pseudonyme du chef du maquis, maquis Charles, Le caïd (Vienne) ou le nom de maquisards tombés au combat, maquis Conty-Freslon (Indre-et-Loire), Bildstein (Loiret), Mariaux (Nièvre). Certains maquis optent pour un nom patriotique, maquis Patrie, Marseillaise (Oise), France, République, Liberté, Fraternité (Lot). D’autres puisent dans les références historiques et se baptisent de noms de personnages de l’histoire de France : maquis Jeanne d’Arc (Oise), La Tour d’Auvergne (Vienne), Bayard (Yonne, Aveyron), Foch (Charente), Duguesclin (Aveyron), Bonaparte (Côte d’Or), Jean Jaurès (Nièvre), Saint Just, Marat (Var), Surcouf (Eure), Jean Bart (Lot). D’autres choisissent de célébrer des batailles de la Révolution, maquis Valmy (Oise, Hérault), ou de la Première guerre mondiale, maquis Douaumont (Lot).
Des maquis s’inspirent d’événements et de personnages contemporains en rendant hommage à des combats menés par les Français libres, maquis Bir Hacheim (Charente, Hérault), Koufra (Hérault) ou par des Alliés, maquis Stalingrad (Tarn), à des patriotes fusillés, maquis Guy Môquet , Gabriel Péri (Lot) ou à des Français libres tombés au combat, maquis Ornano (Tarn).

Cette identité maquisarde va également s’exprimer, de façon plus visuelle, par le choix des symboles qui vont orner les premiers insignes, d’abord en tissu puis en métal, portés par les maquisards à partir des combats de la Libération puis intégrés essentiellement au sein de la division alpine FFI ou des unités du front de l’Atlantique. A partir de la fin 1944 et principalement jusque dans les années 1950, la création d’innombrables amicales d’anciens maquisards va aussi entraîner la réalisation de nombreux insignes. Leur symbolique est très variée. La croix de Lorraine y occupe bien évidemment une place centrale et le bonnet phrygien et l’étoile rouge sont parfois utilisés par les FTPF. Les symboles d’ordre géographique ou reflétant des particularismes locaux sont souvent sollicités : montagnes pour les maquis alpins (Vercors, Glières, Grésivaudan, Oisans, Chartreuse, Ventoux), tours de la Rochelle (maquis Bir Hachein-Foch), lampe de mineur, pic et pelle (maquis de Carmaux), armoiries régionales ou municipales (maquis 80ème RI, de Grande Chartreuse, de Castelréal, de Carmaux, de Saint Calais, association des maquisards et résistants de Chartreuse).

Des animaux sont souvent représentés sur les insignes de maquis : chamois des montagnes (maquis du Vercors, de l’Oisans), sanglier, animal des forêts dans lesquels sont implantés les maquis (maquis de Lorris, Mariaux, maquis groupement Vendôme, maquisards résistants du Jura), faisan (maquis Conty-Freslon), lion terrassant l’aigle allemand (maquis d’Epernon), coq gaulois (maquis de Scaer) ou même un pou à l’image du maquis « cherchant des poux » à l’ennemi (maquis du haut Jura).

Ce sont aussi des symboles plus guerriers qui sont utilisés : la figure du maquisard (maquis de la Nièvre, de Lussagnet sur l’insigne duquel le maquisard prend la forme d’un bandit corse, association des maquisards du Cher, anciens des maquis de l’Ain et du Jura, du maquis d’Auvergne), le fameux pistolet-mitrailleur Sten (maquis de Scaer, du Limousin, de Lorris, Bildstein), une grenade (maquis du Limousin, du Pinet) ou encore une tête de mort (maquis du Grésivaudan, Bir Hakeim, de Loire inférieure). Le parachute, symbole de la réception d’armes envoyées par les alliés aux maquisards apparaît sur les insignes des maquis Ornano et de Ry. Enfin, des symboles militaires traditionnels sont parfois présents : lion du 32ème régiment d’infanterie (maquis d’Epernon), ailes de l’armée de l’air (maquis Ventoux) ou encore ancre des troupes coloniales du chef du maquis (maquis de l’Oisans secteur 1).

Auteur(s) : Maurice Bleicher

Le mythe maquisard haut ▲

Dès l'été 1943, le mot "maquis ", qui jusqu'alors désignait des bois et des broussailles, revêt un sens nouveau: on utilise l'expression "prendre le maquis" pour évoquer la volonté d'échapper au STO en trouvant refuge dans les bois et les zones montagneuses.

En cherchant à dissocier les réfractaires des "soi-disant maquis'", Vichy participe involontairement à une représentation, souvent mythifiée, du maquis armé dans les zones rurales. Dans le même temps, la volonté des chefs de la Résistance d'encadrer ces groupes d'hommes formés spontanément encourage l'utilisation du terme "maquis" dans un sens militaire: mise en place du service national Maquis fin mai 1943, référence aux "maquis FTP" par le Front National...

Une mythologie se développe autour de ces groupes insaisissables qui se font connaître par des actes de guérilla et des gestes courageux: à l'image des occupations de ville ou de village comme à Oyonnax, Cajarc, Lasalle. La BBC contribue à la constitution de la légende notamment au moment de l'attaque des Glières. Il s'agit ici de contrecarrer les attaques de Philippe Henriot qui désigne les maquisards comme des traîtres et des terroristes.

Les maquisards, souvent citadins, s'imprègnent de la culture locale et sont vus comme des héritiers des camisards dans les Cévennes, des cathares dans le Languedoc...Les liens entretenus avec les villageois et les paysans explique l'intégration des maquisards ("nos jeunes, nos gars"). Selon Harry Roderick Kedward, c'est "cette intégration sociale et l'atteinte militaire des objectifs locaux qui permirent à la mémoire du maquis de s'épanouir".

Source(s) :

Harry Roderick Kedward, "Maquis (histoire d'un mot et d'un mythe)", Dictionnaire historique de la Résistance.

Des maquis célébrés haut ▲

A la Libération, plus d’une centaine d’associations d’ « anciens » des maquis se créent et sont à l’origine d'une politique du souvenir élaborée selon plusieurs axes :

- La préservation des tombes de maquisards regroupées au sein de cimetières (ex : 96 tombes à Saint-Nizier-du-Moucherotte en Isère, 105 tombes à Morette en Haute-Savoie).La gestion associative de ces cimetières est un fait unique car depuis 1919, c’est le ministère des Anciens Combattants qui crée et gère les tombes des combattants morts pour la France. Cela « met en relief la répugnance de l’Etat à assimiler les résistants aux soldats en uniforme » et explique pourquoi plus de 95% des corps de maquisards ont été restitués à leurs familles.

- L'érection de stèles en hommage aux morts des maquis remplace donc souvent la tombe en tant que lieu de souvenir : les plus nombreuses sont érigées à l’endroit même où le maquisard a trouvé la mort, d’autres sur le site du maquis célébré : simples pierres ou murs avec inscription des noms des maquisards morts, elles sont parfois ornées de sculptures (ex : celui de Cerdon dans l’Ain).

- L'érection de lieux de mémoire en souvenir de l’histoire du maquis : les lieux de mémoire évoquant la vie des maquis sont peu nombreux et tardifs. A partir des années 60, des stèles sont érigées sur les lieux du maquis: elles évoquent leur création, la lutte armée, les parachutages et l'aide de la population locale, parfois victimes des représailles allemandes.(ex: plaques déposées à Morette).

- L’érection de mémoriaux : au sein de cette « véritable politique du souvenir » mise en place par les associations, le mémorial manifeste la volonté de faire la synthèse de l’histoire du maquis. (Ex : réalisation de bas-relief racontant une véritable histoire comme à Mussy-Grancey dans l’Aube ou à Ambléon dans l’Ain).

En 1973, lors de l’inauguration du Mémorial des Glières, André Malraux évoque un Monument national de la Résistance. Cette terminologie illustre un mouvement plus général , qui donne au maquis une valeur quasi mystique. A l’image des autres lieux du souvenir de la Résistance, les lieux de souvenir des maquis sont des « instruments privilégiés de lecture de l’histoire de la mémoire, donnant à voir à l’historien la migration des représentations ou leur polysémie. » (S. Barcellini; A.Wieviorka)

Source(s) :

 Serge Barcellini et Annette Wieviorka,« Lieux du souvenir des maquis », in François Marcot (dir), La Résistance et le Français. Lutte armée et Maquis. Actes du colloque international de Besançon (15-17 juin 1995).