Les mémoires du 11 novembre 1940
Après la guerre, cette manifestation donnera lieu à une importante bataille mémorielle. Les communistes, prétendent en avoir été les instigateurs, créant un lien de causalité entre la manifestation du 8 novembre place de la Sorbonne en soutien à Paul Langevin, dont ils étaient effectivement les organisateurs, avec celle du 11 novembre, qui en aurait été le prolongement. Ils revendiquent également la paternité des principaux tracts diffusés dans le Quartier latin pour appeler à manifester. Considérant de leur côté que les étudiants ont répondu aux appels lancés sur les ondes de la BBC et s’appuyant sur le fait que des croix de Lorraine ont été arborées lors du défilé, les gaullistes présentent la manifestation comme une forme de soutien à l’égard du général de Gaulle. Ces tentatives de récupérations faites a posteriori ne correspondent pas à la réalité historique d’une manifestation qui, catalysant des courants politiques divers, doit surtout être interprétée comme la mobilisation spontanée d’une partie de la jeunesse parisienne alors même que la Résistance organisée n’existe pas encore.
Fabrice Grenard
Les 11 novembre sous l'Occupation haut ▲
Les événements survenus en 1940 amènent le gouvernement de Vichy à décider que le 11 novembre 1941 ne serait pas un jour chômé. Les Allemands quant à eux interdisent toute manifestation publique et tout dépôt de fleurs aux monuments aux morts durant cette journée. De leur côté, les organisations de Résistance, qu’elles soient communistes ou gaullistes, décident de s’opposer à ces mesures et organisent des manifestations patriotiques à l’occasion de cet anniversaire. Elles développent dès lors une intense propagande pour inciter les Français à honorer le souvenir de la Victoire de 1918.
Durant les années qui suivent, des myriades de papillons et de tracts les invitent à célébrer le 11 novembre partout en France(7). En débit de tous ces appels, à Paris, il n’y a pas de réédition du 11 novembre 1940 à l’Arc de triomphe. En revanche, que ce soit en Ile-de-France ou en province, les manifestations patriotiques prennent de l’ampleur d’année en année pour atteindre leur apogée le 11 novembre 1943 lors du défilé d’Oyonnax (Ain). Cette manifestation est restée gravée dans la mémoire collective – peut-être parce qu’elle a fait l’objet d’un reportage photographique et cinématographique exploité à des fins de contre-propagande –. À la tête de près de 130 hommes, Henri Romans-Petit, commandant des maquis de l’Ain et du Haut-Jura, dépose devant le monument aux morts une gerbe en forme de croix de Lorraine portant l’inscription « Les vainqueurs de demain à ceux de 14-18 ».
L'après-Libération haut ▲
Le 11 novembre 1944 est le premier 11 novembre dans Paris libéré. Deux défilés sont organisés : un défilé militaire des troupes françaises et alliées, en présence de Winston Churchill, et une manifestation populaire où une foule considérable occupe l’avenue derrière les banderoles du Comité parisien de libération, des syndicats, partis, mouvements de jeunesse et d’étudiants.
Au palais de Chaillot en mars 1945, Jean Guéhenno, directeur de l’Éducation populaire et des mouvements de Jeunesse, fait du 11 novembre « la première manifestation publique de la Résistance. […] Les étudiants et leurs maîtres montèrent à l’Arc de Triomphe et eurent les honneurs des premières rafales de mitraillette tirées contre la Résistance ».
Lors des cérémonies organisées en Sorbonne en 1945, le recteur Gustave Roussy, rétabli dans ses fonctions, rend cet hommage : « Sur la tombe du Soldat inconnu, le sang des étudiants et des lycéens de Paris tomba comme l’offrande d’une riche promesse et la gage d’un serment solennel ». Mais cette mémoire du 11 novembre ne dure pas. L’Union nationale des étudiants de France (UNEF), qui entend pourtant rompre avec ses ambiguïtés affirmées sous le régime de Vichy, ne célèbre pas l’événement, alors qu’elle commémore le 17 novembre, jour anniversaire de la répression nazie contre les étudiants de Prague. L’Union française universitaire, issue du Front national universitaire, rassemble des témoignages sur la Résistance dans l’Éducation nationale, sans faire un sort particulier au 11 novembre 1940. Elle demande en 1948 la pose d’une plaque commémorative, sans insistance et sans succès.
Le récit communiste haut ▲
Chez les communistes, l’organisation du récit se met en place progressivement. L’Étudiant patriote, organe du Front national étudiant, du 10 décembre 1945 évoque « des Étudiants communistes animateurs de la manifestation ». En 1948 est constitué un Comité des anciens, autour des étudiants communistes, qui ne survit qu’un an. La même année est affirmée la prééminence communiste dans la manifestation : dans un entretien radiophonique censurée, François de Lescure indiquait que « les premiers tracts appelant à la manifestation du 11 novembre 1940 avaient été imprimés et diffusés par les Etudiants communistes ».
Puis Les Lettres françaises publient « De l’arrestation de Paul Langevin au 11 novembre 40, par un témoin ». Ce témoin est François de Lescure, présenté comme « l’organisateur ». Il énonce que « les premiers, les étudiants communistes impriment et diffusent dès les premiers jours de novembre des tracts d’appel […] ; ces tracts sont recopiés par centaines et largement diffusés par la jeunesse étudiante de toutes tendances ». L’argumentaire de François de Lescure s’impose durablement, ce dernier devient dès lors le principal voire l’unique signataire des articles commémoratifs du 11 novembre. Il faudra attendre les années 1970 pour qu’une évolution s’opère dans ce discours.
L’Association des résistants du 11 novembre 1940 haut ▲
Le 11 novembre 1954, le président de la République René Coty inaugure à l’angle de l’avenue des Champs-Élysées et de la rue de Tilsitt, une plaque commémorative portant l’inscription : « Le 11 novembre 1940 devant la tombe de l’Inconnu les étudiants de France manifestant en masse les premiers résistèrent à l’occupant ». Lors de cette cérémonie, trois anciens manifestants du 11 novembre 1940, montent une garde d’honneur : Louis Thibon, Pierre Lefranc et Jean Michaux. L’idée de la pose de cette plaque aurait été donnée au Président de la République par son neveu Roland Coty, lycéen à Condorcet en 1940 et manifestant incarcéré à la prison du Cherche-Midi. Après cette inauguration émerge l’idée de regrouper certains anciens manifestants du 11 novembre 1940 dans une association des « incarcérés ». Avocat de profession, Jean Michaux est chargé d’élaborer un projet de statuts qu’il présente à ses amis fin 1957.
Fondée le 30 septembre 1958 (Journal officiel du 17 janvier 1959), l’Association des résistants du 11 novembre 1940 se fixe notamment comme objectifs d’entretenir « le souvenir de la première manifestation patriotique de résistance à l’occupant » et de « maintenir un lien étroit entre ceux qui participèrent activement à la manifestation du 11 novembre 1940 ». Plusieurs personnalités politiques au pouvoir mettent tous les moyens à leur disposition pour la faire rayonner rapidement Maurice Herzog, secrétaire d’état à la Jeunesse et aux Sports, lance un appel radiotélévisé pour rassembler les anciens du 11 novembre 1940. Chef de cabinet du général de Gaulle, Pierre Lefranc, blessé lors de la manifestation des étudiants, organise le 25 février 1959 le premier dîner amical de l’association au restaurant parisien Le Petit Colombier dans le 17e arrondissement.
Pour devenir membre de l’association, le postulant doit prouver sa participation active à la manifestation. La candidature est ensuite soumise pour approbation à une « commission d’admission composée de trois membres désignés par le conseil d’administration et choisis, soit en son sein, soit parmi des membres actifs de l’association ». Malgré son apolitisme proclamé, il semble, à la lecture des archives de l’association, qu’aucun ancien lycéen ou étudiant communiste n’en ait été membre.
Initialement présidée par Louis Thibon, choisi en raison de son grade le plus élevé dans l’armée, l’association a été dirigée successivement par Jean Michaux, Paul Paclot, Igor de Schotten puis Pierre André Dufetel. Pierre Lefranc, quant à lui, est demeuré président d’honneur depuis la création de l’association jusqu’à son décès en 2012.
En mars 2002, face à la disparition progressive de ses membres, les dirigeants de l’association ont pris la décision de changer sa dénomination et d’intégrer l’association le Souvenir français. Deux appellations ont été proposées : « Amicale des anciens lycées et étudiants du 11 novembre 1940 » et « Les 11/11/40 ». Les statuts ont été modifiés pour permettre aux familles et amis d’y adhérer. La pérennité de la cérémonie du dépôt de gerbe à la plaque commémorative des Champs-Élysées est désormais assurée le 11 novembre de chaque année par le Souvenir français. Le patrimoine matériel de l’association a fait l’objet de toutes les attentions. En 2017, ses archives ont été versées au Service historique de la Défense à Vincennes où elles sont accessibles au public. Quant au drapeau associatif, le Souvenir français l’a confié à la garde du lycée Henri IV.