Salle de mémoire
Grâce à la volonté de Bernard Coste (directeur de la centrale de 2002 à 2006), une salle de mémoire a été inaugurée à l’entrée de la centrale d’Eysses en septembre 2006. A travers une sélection de documents et d’objets, elle retrace l’histoire du lieu, de l’abbaye bénédictine à nos jours. On peut y voir des photos prises à différentes périodes, les registres du personnel… mais aussi des objets emblématiques de la vie carcérale comme une chaise anthropométrique, une paire de sabots en bois, élément du costume pénal, ou la coupe en bois décernée aux détenus du préau 4 à l’occasion de la « fête de la jeunesse » en janvier 1944 ; la pièce maîtresse de cette salle étant la restitution d’une des cages à poule.
Cette salle est un des éléments de la politique de mémoire mise en place par les anciens d’Eysses depuis 1945 au travers de leur amicale dont le slogan fédérateur est « Unis comme à Eysses ».
Auteurs : comité de rédaction
Sources : Amicale des anciens détenus patriotes de la centrale d’Eysses, L’insurrection d’Eysses, éditions sociales, 1974. Corinne Jaladieu, La prison politique sous Vichy. L’exemple des centrales d’Eysses et de Rennes, L’Harmattan, 2007. « Si hauts que soient les murs », exposition au musée de Gajac, Villeneuve-sur-Lot, 2002. Site officiel de l’Association nationale pour la mémoire des résistants emprisonnés à Eysses (http://www.eysses.fr). Jean-Pierre Koscielniak « Eysses et ses lieux de mémoire » in La Résistance en Lot-et-Garonne (cédérom), AERI, 2011.
Retour à Eysses
L'après-guerre est à la fois marqué par la volonté de justice, par le besoin de se retrouver et par la lutte menée pour la reconnaissance des droits des anciens détenus. C'est en août 1945 qu'a lieu à Villeneuve-sur-Lot le premier congrès de "l'Amicale des anciens détenus patriotes de la centrale d'Eysses". Le bulletin de liaison de l'amicale, intitulé « Unis comme à Eysses voit le jour en juin de la même année. Annonçant les naissances, les mariages et les décès, ce bulletin montre que la vie reprend ses droits.
Amicale
L'amicale s’engage, fidèle à l’esprit d’Eysses, dans un combat pour la liberté et la démocratie, tout en s'employant à faire reconnaître les droits de ses membres. Dépassant les clivages, l'Amicale des anciens patriotes et résistants du bataillon FFI d'Eysses célèbre et perpétue depuis 1945 l'esprit qui a animé les détenus durant leur incarcération dans la prison. Elle rappelle leur esprit de tolérance, le système solidaire qu'ils mirent en place dans la prison, la lutte qu'ils menèrent pour la dignité et pour la sauvegarde de leurs libertés, le sacrifice de certains d'entre eux. L'amicale dénonce aussi les crimes de guerre et appelle à la vigilance envers toute forme d'extrémisme. Lieu de mémoire, le mur des fusillés est devenu chaque année le lieu de rendez-vous des membres de l'amicale.
Actions en justice
Dès sa constitution en 1945, L’amicale des anciens d’Eysses œuvre pour la condamnation du directeur milicien Schivo, de son épouse, et de ses deux gardes du corps miliciens. Ils comparaissent devant la Cour de Justice du Lot-et-Garonne le 13 mars 1946 ; les deux hommes sont exécutés, madame Schivo voit sa peine commuée - comme il est de coutume pour les femmes - en travaux forcés à perpétuité, puis à vingt ans.
Peu après cette exécution, le parquet de la Cour de Justice est saisi du vœu de l’amicale demandant des mesures contre le lieutenant Martin - commandant le feu du peloton d’exécution - et contre le premier surveillant Dupin dénonciateur de neuf des détenus fusillés. Les efforts de l’amicale et l’acte d’accusation qu’elle rédige, aboutissent à sa condamnation en décembre 1948, aux travaux forcés à perpétuité, mais sa peine est rapidement commuée et il est libéré en avril 1952 ; quant au lieutenant Martin, il échappe à son inculpation, le commissaire estime en effet pour sa part qu’aucune poursuite pénale ne peut être juridiquement justifiée, car il a simplement appliqué les ordres reçus par l’Intendant de police Hornus.
Reconnaissance
La reconnaissance de l’action résistante individuelle et collective
La reconnaissance de l’action résistante se pose à double titre, collectif et individuel. La bataille pour la reconnaissance collective est rapidement couronnée de succès. Le 24 novembre 1947, la qualité d’unité FFI est reconnue sous la dénomination de « Bataillon FFI.de la centrale d’Eysses », à la formation combattante constituée par les membres de la Résistance incarcérés à la centrale d’Eysses. Une seconde bataille commence alors, afin de faire reconnaître le « Bataillon » d’Eysses comme Unité combattante ; des demandes sont déposées à cette fin en 1957, 1970, 1985. La demande aboutit enfin le 20 avril 1990 ; le Bataillon FFI de la centrale d’Eysses est alors reconnu Unité combattante pour « les actions des Trois Glorieuses, débutant le 9 décembre 1943, empêchant la livraison en zone nord des internés administratifs et du 19 février ayant pour but de rejoindre la résistance extérieure ».
L’aide à la reconnaissance individuelle des titres octroyant pension constitue le second volet de cette action. Outre le conseil juridique prodigué dès la Libération, le bureau de l’amicale appelle, dûment, en 1950, chacun à faire constater son état de santé afin de pouvoir percevoir droits et indemnités Si la demande doit être adressée individuellement, le secrétariat de l’amicale apporte une aide substantielle et centralise les dossiers.
Travail de mémoire
En 1947 paraît la brochure de Roger Ferrand, Révolte à la centrale d’Eysses, aux éditions Hier et Aujourd’hui, dans la collection France d’abord « Jeunesse héroïque ».
Plusieurs années sont nécessaires pour les anciens d’Eysses à la réalisation d’un mémorial comportant la liste de tous les détenus politiques d’Eysses, elle est réalisée à l’occasion du 10ème congrès en 1954, suivi de la publication du premier livre en 1962 ; la première édition en 5000 exemplaires est rapidement épuisée, le livre est réédité deux fois. La dernière édition du livre voit le jour en octobre 1992, avec un nouveau titre : Eysses contre Vichy (1940-…).
En 1965, paraît le disque d’Eysses, retraçant « l’insurrection du 19 février ». Quant au film tourné à Villeneuve-sur-Lot et à Eysses en février 1986, il sort en janvier 1987, sous le titre « Eysses, une prison dans la Résistance ».
Une exposition intitulée, « Si hauts que soient les murs » a eu lieu au musée de Gajac à Villeneuve-sur-Lot, corrélativement à un colloque, co-organisé avec l’ENAP à Agen en février 2002, consacré à la Résistance en prison. Un ouvrage consacré aux treize victimes des 19 et 23 février 1944 sort en 2004 sous le titre Douze fusillés pour la République.
Aujourd’hui, l’intérêt pour Eysses continue à travers des sites internet (voir ressources), des ouvrages ou encore la musique. Ainsi, en 2010, un groupe de rock du Villeneuvois, Massey-Fergusound system, compose une chanson sur l’histoire d’Eysses et l’intitule « Devoir de mémoire ».
Références bibliographies :
- Jean-Guy Modin, Le bataillon d’Eysses. D'après les témoignages et documents des anciens détenus patriotes d'Eysses, Amicale des anciens détenus patriotes de la centrale d’Eysses, 1962.
- Amicale des anciens détenus patriotes de la Centrale d'Eysses (avec le concours de Jean-Guy Modin), L'insurrection d'Eysses : 19-23 février 1944 : une prison dans la Résistance : d'après les témoignages et documents d'anciens détenus patriotes (FFI 1943-1945), 2e édition, Editions sociales, 1974.
- Michel Reynaud, Jean Cantaloup et Jean Ringeval, Eysses contre Vichy 1940-…, Editions Tiresias, 1992.
- Corinne Jaladieu et Michel Lautisser, Douze fusillés pour la République. Récits historiques et témoignages, Association pour la mémoire d’Eysses, 2004.
- Corinne Jaladieu, La Prison politique sous Vichy – L'exemple des centrales d'Eysses et de Rennes, Éditions L'Harmattan, coll. « Logiques sociales – Déviance et société », 289 p.
Lieux de mémoire
Dès la Libération, les lieux de souffrance des prisonniers politiques deviennent des "lieux de mémoire" (Pierre Nora). Plus récemment, ils ont été renforcés par des monuments destinés, dans la ville même de Villeneuve-sur-Lot, à perpétuer le souvenir des événements du 19 février 1944. Au cimetière Sainte-Catherine de Villeneuve-sur-Lot, un mémorial figurant la carte de France avec le nom des morts domine une urne contenant des cendres provenant de Dachau. Le mur d'enceinte de la centrale, contre lequel avaient été dressés les poteaux d'exécution, est devenu le Mur des Fusillés. En avril 1996, un arrêté du préfet de région le classe à l'inventaire des monuments historiques. Le 29 février 2004, un monument réalisé par l'artiste Jean-Claude Maurel et représentant 12 silhouettes devant un poteau d'exécution, est inauguré à Villeneuve-sur-Lot, place de la Révolution. Enfin, en juin 2000, une stèle en marbre à la mémoire des fusillés, œuvre de Thomas Stéfanello, est érigée devant l'Hôtel de Ville, place Anatole France. Villeneuve-sur-Lot a en outre donné à plusieurs de ses rues ou place le nom de résistants passés entre les murs de sa prison (Henri Auzias, Stéphane Fuchs, Paul Weil, Victor Michaut, Pierre Doize...). La réalisation d’un musée de la détention à Eysses est en cours de réflexion.