La libération de la Corse

La libération de la Corse s'est appuyée sur trois facteurs : l'initiative insurrectionnelle de la Résistance intérieure corse, le concours de troupes envoyées d'Alger aussi bien par le général Giraud et la France combattante que par les services secrets britanniques et, dans une moindre mesure, l'alliance avec l'ex-occupant italien, après l'armistice italien, secrètement signé le 3 septembre 1943 mais officialisé le 8. 

Tandis qu'aux yeux du général Giraud à Alger, la Résistance insulaire "est une force supplétive des armées" et qu'aucune opération ne doit être prématurément déclenchée, les patriotes corses, dans leur majorité, considèrent que la libération doit passer par eux.

Le 8 septembre au soir, lorsque l'armistice italien est officialisé, le Front national corse décide de ne pas attendre Alger et de lancer le mot d'ordre d'insurrection. Ordre est donné par la Résistance corse d'entrer en insurrection, dès le lendemain, alors qu'aucun débarquement n'a encore eu lieu et qu'une imposante division blindée allemande est arrivée en renfort. C'est alors le commencement des combats de la libération, emmenés par les résistants corses, rejoints une dizaine de jours plus tard par les troupes françaises d'Alger. Le déclenchement de l'opération "Vésuve", déversant sur une dizaine de jours quelque 6 500 hommes sur les côtes corses, mènera de fait à la libération du premier territoire national, le 4 octobre 1943.

Ajaccio est donc la première ville de France libérée, dès le 8 septembre 1943 au soir et la première où est proclamé le ralliement à la France combattante. L'unité et le courage de la Résistance corse sont un exemple en cette année décisive où l'œuvre de Jean Moulin porte aussi ses fruits et où l'espérance revient. Ainsi est reçue la nouvelle dans les maquis du continent.

Le 21 septembre, le général Giraud se rend en Corse afin de superviser les opérations et de rencontrer le général Magli, dont il espère un ralliement immédiat et inconditionnel de ses troupes. Le 30 septembre 1943, l'île reçoit la visite du secrétaire d’Etat à l’Intérieur, André Philip, qui souhaite créer une commission départementale d’épuration, composée d’anciens magistrats. Il précède le général de Gaulle, qui s'y rendra du 6 au 8 octobre 1943. Acclamé par la population, il proclamera à Ajaccio, le 8 octobre 1943, son discours sur «la fortune et l'honneur (pour la Corse) d'être le premier morceau libéré de France».

Certes, la conjonction de la débâcle politique et militaire de l'Italie et des intérêts stratégiques des Alliés en Méditerranée rendent possible l'heureuse issue de l'audacieuse initiative de la Résistance insulaire. Elle marque en tout cas le retour de troupes françaises dans l'effort de guerre et offre aux Alliés une excellente base pour les opérations en Italie dès 1943, puis en Provence en 1944. Dès novembre 1943, à peine libérés, sonne pour les Corses l'heure de la mobilisation générale. Instruits en Algérie, bon nombre d'entre eux seront de tous les combats pour la libération de la France. 

Auteur(s): Département AERI
Source(s):

Hélène Chaubin, La Corse à l'épreuve de la guerre, 1939-1943, Ed. Vendémiaire, 2012.
Photographie : Mémorial de Caen.

Plan de l'expo

Crédits

Bibliographie

Le 9 septembre 1943, l'insurrection est en marche haut ▲

Après l'arrestation et la mort de Fred Scamaroni, en avril 1943 ainsi que la dispersion des membres des autres mouvements comme Combat, le successeur de Roger de Saule, le capitaine Paulin Colonna d'Istria, parvient à la conviction que le Front national, récemment réorganisé à la conférence de Porri sous l'autorité d'un Comité départemental, bien structuré en une pyramide de comités locaux hiérarchisés et, surtout, bien cloisonné, est seul apte à opérer l'unité de la Résistance régionale souhaitée par Alger. Aussi, en juillet, la plupart des résistants du réseau FFL R2 Corse et ceux des mouvements qui avaient échappé aux arrestations décident de rejoindre le Front national, comme en témoigne l'ordre signé le 28 juillet par François Giacobbi.
A cette date, le Front national corse revendique quelque 8 760 membres. Dès lors et parallèlement à l'évolution de la situation politique et militaire en Italie, la préparation à l'insurrection est en marche. Mais Alger veut temporiser, en raison des extrêmes difficultés que présente l'envoi éventuel de troupes dans l'île. 

Le succès du débarquement des Alliés en Sicile (opération Husky), à compter du 10 juillet 1943, précipite la chute de Mussolini, qui abdique le 25 juillet. Pour les résistants corses, la capitulation de l'Italie est imminente. La chute de Mussolini est interprétée comme une opportunité à la fois par la direction corse du Parti communiste et par des dirigeants du Front national comme Maurice Choury, qui estime que les éléments italiens antifascistes pourraient venir appuyer l'action de Libération des patriotes. Dès août 1943, réuni en comité départemental, le Front national avait décidé de lancer son ordre insurrectionnel aussitôt l'armistice italien connu. Le soir du 8 septembre 1943, l’annonce de l'armistice italien de Cassibile est conjointement radiodiffusée par Badoglio et Eisenhower. Cet armistice avait en vérité été signé dans le plus grand secret le 3 septembre. Dès le 8 au soir, les dirigeants du FN corse, et notamment Maurice Choury, déclenchent ainsi l'ordre d'insurrection dans toute l'île, effective dès le lendemain.

Le 9 septembre 1943, Paulin Colonna d’Istria adresse un ultimatum au général Magli par lequel il exige de connaître ses intentions précises : neutralité vis-à-vis des patriotes, neutralité vis-à-vis des Allemands ou poursuite des combats aux côtés des Corses. Magli répond qu'il se battra avec les résistants, mais le ralliement des troupes italiennes ne sera pas immédiat. Arthur Giovoni embarque alors pour Alger afin de rencontrer le général Giraud et lui demander main forte.

Ce même jour, les Allemands reçoivent l’ordre de désarmer les soldats italiens récalcitrants. Désormais, Italiens et Allemands sont en principe adversaires, à l'exclusion des Chemises noires, dont seule l'unité de Bastia dirigée par Cagnoni ralliera les Corses.

La réalité de l'insurrection n'est pas la même pour toute la Corse : tandis qu'Ajaccio est le siège d'une tête de pont devant garantir un accès sécurisé aux renforts à venir et devient la toute première ville française libérée dès le 9 septembre, Bastia subit la mainmise allemande, qui brise toute tentative résistante. A Ajaccio, le Comité départemental s’érige en « Conseil de préfecture », constitué de cinq résistants, dont les trois communistes Arthur Giovoni, François Vittori et Maurice Choury et, d'autre part, Paulin Colonna d’Istria (« Paul Cesari ») et Henri Maillot, ajaccien apparenté à de Gaulle.

Quand se produit l’insurrection du 9 septembre 1943, la Corse est coupée de la France continentale. Il ne lui reste que la dangereuse ligne qui la relie à Alger et qui est essentiellement d’intérêt stratégique. Pendant près de dix jours, les résistants corses affrontent seuls non seulement les Italiens mais aussi les Allemands, désormais environ 15 000, depuis l'arrivée de la 90e Panzergrenadier division, venue transitoirement soutenir la brigade SS. Depuis le 7 septembre 1943, le général allemand Von Senger und Etterlin est à Ajaccio, chargé par Kesselring d’assurer l’évacuation de la Sardaigne et le commandement de la Wehrmacht en Corse. 

Depuis la chute de Mussolini, les services de Giraud ont en vain exhorté les résistants corses à la patience. Giraud a beau connaître la détermination de la Résistance corse, l'opération ne peut se faire sans aide militaire. Les Américains, engagés à Salerne, n'accordent ni aide navale ni couverture aérienne. Le plan Juin, trop ambitieux, ne peut donc être exécuté que partiellement et dans l'improvisation. Son nom de code est "Opération Vésuve", un leurre destiné à faire soupçonner une autre objectif, relativement plausible dans la mesure où la prise de Naples se situe le 1er octobre.

L'exception corse tient dans une insurrection voulue et déclenchée par la seule Résistance intérieure car c'est sans en référer au CFLN et face à des forces d'occupation omniprésentes qu'elle décide de lancer l'assaut final, le 9 septembre 1943, déterminée à ce que sa libération ne relève que de la volonté populaire corse.

Auteur(s) : Département AERI
Source(s) :

D'après Hélène Chaubin, La Corse des années de guerre, 1939 - 1945, Editions Tirésias - AERI, 2005
et Hélène Chaubin, La Corse à l'épreuve de la guerre, 1939 - 1943, Editions Vendémiaire, 2012.

La coordination militaire haut ▲

A Alger, le général Giraud étudie les conditions d'un débarquement en Corse. Il crée le Bataillon de choc en mars 1943. Le 4 avril 1943, il délègue un nouveau chef de mission en Corse, Paulin Colonna d'Istria, qui a la charge de coordonner les organisations résistantes régionales et de les préparer à une action armée en cas de débarquement. 

Si la Sicile est choisie pour le débarquement allié, le général Eisenhower donne toutefois, en juin 1943, son accord à Giraud pour une intervention en Corse avec des moyens français. L'unification de la Résistance insulaire en constituait un préalable indispensable. En juillet, autour du Front national, elle devient effective. La reconquête de la Sicile provoquant la chute de Mussolini le 26 juillet, le nouveau chef du gouvernement italien, le maréchal Badoglio, négocie discrètement la capitulation italienne. L'accord, signé le 3 septembre, n'est publié que le 8. Les armées allemandes envahissent la péninsule italienne et la 90e Panzer Division quitte la Sardaigne pour rejoindre le front italien, en transitant par la Corse.

Le Front national lance son ordre d'insurrection générale le 9 septembre, avec l'assurance qu'une partie des forces italiennes prendra les armes contre les Allemands. Le général Magli reçoit d'ailleurs des ordres en ce sens de son gouvernement. Colonna d'Istria obtient d'Alger une intervention rapide : ce sera l'opération Vésuve, qui prévoit le débarquement des Forces françaises libres, qui peuvent compter sur l'accord des Alliés mais sans leur participation militaire. Les troupes françaises arrivent à partir du 13 septembre à Ajaccio, libérée depuis le 9. Pour le versant oriental de l'île et Bastia, il faudra combattre les Allemands jusqu'au 4 octobre. L'Opération Vésuve, envisagée depuis trois mois à Alger, a été organisée dans la hâte. Son commandement a cherché la coopération des Italiens contre les Allemands et l'a obtenue grâce au renversement d'alliance décidée par le gouvernement de Badoglio. C'est une situation paradoxale, mais aussi un choix réaliste déjà envisagé dans la clandestinité par les patriotes corses après la chute de Mussolini en juillet.

Au 9 septembre, le commandement des forces destinées à secourir les Corses est formé : à sa tête, le général Henry Martin ; au commandement de l'infanterie de montagne de la 4e Division marocaine de montagne (DMM), le général Louchet ; à celui du 1er Régiment de tirailleurs marocains (RTM), le colonel de Butler ; le lieutenant-colonel de Latour à celui des goumiers ; le commandant Gambiez à celui du Bataillon de choc. 
Le général Senger und Utterlin est désigné à la tête des forces allemandes en Corse, soit essentiellement la brigade SS Reichsführer déjà présente et la 90e Panzer Division qui a ordre de transiter en Corse. La position du général Magli, commandant de la VIIe Armée, principale force d'occupation sur le territoire, se trouve quelques jours dans une position ambiguë, jusqu'à ce qu'un retournement d'alliances, confirmé le 13 septembre, fasse des Italiens les ennemis des Allemands, et que l'attitude de neutralité adoptée au départ par Magli soit devenue intenable.

L'opération Vésuve touche le port d'Ajaccio à partir du 13 septembre. Un émissaire envoyé à Corte au général Magli, le colonel Deleuze, est rejeté par l'officier italien qui ne veut traiter qu'avec un égal hiérarchique. Ce sont deux officiers supérieurs, le général Mollard, en tant que commandant militaire en Corse, et le général Henry Martin, qui prennent contact avec lui à Corte le 17 septembre. Deux jours plus tard, un accord est conclu entre eux pour des actions communes ayant pour objectif le contrôle de la "dorsale" montagneuse qui conditionne pour les secours le libre accès à Ajaccio. Le 21, le major général Peake, représentant le général Eisenhower, est à Ajaccio. C'est le général Giraud lui-même qui, le lendemain, rencontre le général Magli : la stratégie arrêtée consiste à reprendre Bastia, principal point de départ de la retraite allemande en cours. L'intégration d'unités italiennes issues de la division Friuli au détachement de l'Armée d'Afrique est alors conjointement négociée par les généraux Henry Martin, Giraud et Magli, représentant quelque 17 000 combattants italiens rangés aux côtés des forces françaises.

Auteur(s) : Département AERI
Source(s) :

D'après Hélène Chaubin, "Coordination et actions du commandement" in CD-ROM La Résistance en Corse, 2e édition, AERI, 2007.

Guérilla et combats haut ▲

Les combats débutent à partir du 9 septembre 1943. Ils prennent souvent la forme d'actions de harcèlement, d'une guerilla combinant l'action des forces régulières et des francs-tireurs. Cependant, la réalité des combats change d'une région à une autre.

Pendant les huit à dix premiers jours suivant l'insurrection, les résistants combattent sans aide. Ils sont souvent peu expérimentés, la plupart n'ayant pas à proprement parler de formation militaire solide. Mal équipés, peu armés, ils ont pour eux la connaissance du terrain, une détermination sans faille et l'aide de la population sur le plan logistique notamment. 
A compter du 17 septembre, ils peuvent compter sur des renforts particulièrement aguerris : tirailleurs marocains, spahis, goumiers et soldats de l'artillerie et du génie ont été entraînés en conditions réelles et s'avèrent fins tacticiens dans les nombreux cols que traversent les zones de combats. La situation, bien que délicate, offre une chance de se retourner avec l'arrivée de quelque 6 000 hommes parés au combat, équipés d'environ 400 tonnes d'armes, de jeeps, de pièces antiaériennes, de carburant et de vivres. Les résistants corses servent aussi de guides aux hommes du bataillon de choc, qui ne disposent pas de carte d'état-major.

Dans la soirée du 12 septembre, Bastia avait été reprise par les Allemands, trois semaines d’occupation allaient suivre. Pour la reprendre, les patriotes insurgés se livrent à des actions de guerilla contre des dépôts allemands d'armes, de carburant, de munitions à Champlan et à Quenza et de harcèlement continuel des colonnes de la Sturmbrigade Reichsfuhrer SS, qui dispose d'une unité de DCA. Par ailleurs, la 90e Panzer division, forte d'environ 10 000 hommes, arrive, après la capitulation italienne, de Sardaigne vers Bonifacio. Elle a besoin de contrôler le port de Bastia pour passer en Italie, ce qui donne lieu à un affrontement entre militaires italiens et allemands. Cependant, le général Senger und Utterlin n'a pris encore la mesure ni de la Résistance locale, ni du comportement italien ; aussi lui devient-il indispensable de s'emparer, en plus de Bastia, de la base d'Ajaccio, seul accès possible aux troupes venues d'Afrique du Nord.

Le 13 septembre, les Italiens reçoivent officiellement l'ordre de combattre les Allemands. Alors que le général Ticchioni, notamment, répugne à agir contre les alliés de la veille et surtout contre les Chemises noires, c'est à cette date que commencent à arriver par Ajaccio les premiers secours d'Alger, mandatés dans le cadre de l'opération Vésuve. Une partie des forces italiennes soutient néanmoins l'effort de libération, de sorte que l'on parle désormais de cobelligérance. Les tractations engagées dès août par le commandant Gianni Cagnoni, à la tête de l'unité des Chemises noires de Bastia, auprès des résistants aboutissent à son ralliement contre les forces allemandes.

A Barchetta-Campile (Haute-Corse), les combats se déroulent du 9 au 22 septembre. Le 21 septembre, un groupe de francs-tireurs de Rubio et Lano, sous les ordres du lieutenant Beovardi, s’amalgame au groupe du commandant Pietri, venu de Sartène, qui effectue une pointe dans les lignes ennemies de la zone.

Au col de Teghime (548 mètres), sur la route qui relie Saint-Florent à Bastia, les goumiers et le 88e RI de la division Friuli s'engagent, tandis que les forces allemandes sont retranchées dans des blockhaus hérissés de mitrailleuses, de canons de 75, de 105 et de quatre impressionnants obusiers de 152. Le ravitaillement a le plus grand mal à arriver. Les goumiers doivent conquérir les crêtes une à une, après progression dans un maquis coupé de failles et parsemé de rochers abrupts. A l'aube du 2 octobre, le 47e goum approche du mont Secco, haut de 662 mètres. Les Marocains perdent 25 hommes, mais parviennent à enlever le mont avec le concours de l'artillerie italienne. Devant la ruée des goumiers, les Allemands décrochent du col de Teghime afin d'éviter le corps à corps. Le col sera renommé "col des goumiers" en hommage au courage des soldats nord-africains.

Au sud, à San Gavino di Carbini, village natal de Jean Nicoli et importante poche résistante, le 10 septembre, les résistants parviennent à détruire un convoi de sept véhicules sur la route qui serpente entre Zonza et San Gavino, puis se livrent à l'attaque d'un second convoi entre Levie et San Gavino, détruisant deux véhicules. Le village est mitraillé en représailles. Le lendemain, les deux responsables du FN, Marcel Nicolai et Don Jacques Martinetti, tombent sur une forte colonne allemande alors qu'ils revenaient à moto de Sartène, chargés de l'ordre de faire sauter le pont de Zonza. Fusillés sur place, ils sont vengés le lendemain par 80 résistants du village. Dans la petite plaine de Ciniccia, mitraillettes et fusils de chasse affrontent les fusils-mitrailleurs des blindés, mais, contre toute attente, la victoire est du côté des Corses. L'enthousiasme de la victoire conduit le commandant Pietri et cinq groupes de résistants san gavinais à harceler les colonnes allemandes, le 14, à Quenza jusqu'à sa libération définitive.

Le 15 septembre, une forte colonne allemande avec des véhicules blindés, des canons d'assaut et des camions transportant 3 000 hommes, part de Porto-Vecchio, se dirige vers Carbini et Levie, avec pour objectif les cols de la dorsale, situés à une altitude d'environ 1 000 mètres. Elle ne passe pas par l'Ospedale, que les Allemands ont menacé de raser, défendu héroïquement par les résistants, mais par la route stratégique. 

Le 17, après l'installation de la tête de pont d'Ajaccio, les Français font mouvement vers le Sartenais et les principaux cols de la dorsale corse. Au cours des trois jours précédents, les patriotes, appuyés par des éléments italiens, ont contenu les Allemands dans leur tentative de progression de Bonifacio vers Sartène par Levie. La bataille de Levie a donc permis de conserver Ajaccio. Le Bataillon de choc est le premier à rejoindre les résistants qui, désormais, guident les chocs et combattent à leurs côtés. Ils participent au harcèlement des colonnes allemandes sur l'est de la Corse. Considérés par les Allemands comme des terroristes, ils sont fusillés s'ils sont pris les armes à la main.

Auteur(s) : Département AERI
Source(s) :

Hélène Chaubin,

Libération des villes et villages haut ▲

La façade orientale et la zone Sud de la Corse représentaient un espace stratégique pour les forces allemandes en transit de Bonifacio à Bastia. Ce n'est qu'après d'âpres combats menés par les patriotes, en liaison avec une partie des forces italiennes et avec les renforts français de l'Opération Vésuve, que ces parties de l'île furent libérées. La façade occidentale le fut dès le 9 septembre grâce au revirement des Italiens et à la lutte des patriotes en montagne, sur les routes des cols que les Allemands ne purent franchir. Au fur et à mesure de la libération des villes et des villages, les résistants, suivant des consignes préparées par le Front national, remplacèrent les autorités locales à la préfecture, dans les sous-préfectures et dans la plupart des mairies.

Ajaccio
Lorsque le 8 septembre 1943, à 19 h 30, la BBC annonce la capitulation italienne, le FN appelle les Ajacciens à manifester le lendemain. Le 9, dès 10 heures, se forme une grande manifestation populaire. Ajaccio est en effet la première ville française libérée. A la préfecture, François Pelletier, arrivé en Corse en août pour succéder à Paul Balley, accepte la mise en place d'un conseil de préfecture nommé par le Front national, qui proclame le ralliement de la Corse à la France libre. Dominique Paoli quitte la mairie d'Ajaccio et le 10, une nouvelle équipe municipale dirigée par Eugène Macchini s'installe. Une quarantaine d'Allemands sont restés bloqués à la batterie côtière de la Parata. Le commandant italien de la 266e division côtière exige leur évacuation en menaçant Ajaccio d'un bombardement allemand. Dans la nuit du 11 au 12, les Allemands sont évacués par la mer. Le golfe et la ville sont alors libres et vont pouvoir être utilisés pour acheminer les renforts en toute sécurité.

Le Sartenais 
Dès le 10 septembre, à 10 heures, 400 résistants armés sont aux portes de Sartène, prêts à en découdre avec les Allemands. Le 14 septembre, ces derniers, harcelés avec efficacité par les patriotes et les Italiens, quittent Sartène et Zonza. 
A Levie, petite ville de 3 000 habitants et important noeud routier du sud, les résistants sont environ 200, armés de mitraillettes et de fusils et commandés par le lieutenant de Peretti, jeune officier du 173e régiment de Bastia, assisté par l'adjudant-chef Paul Nicolai. Ils décident d'attaquer les convois allemands sur la route de Bonifacio. Bien qu'ils n'aient pas les moyens de les arrêter, ils parviennent à les retarder et à leur infliger des pertes. La colonne blindée allemande, qui compte sept chars et 55 camions, est accompagnée par des Chemises noires : au total, ils sont 1 200. Par ailleurs, une colonne de 3 000 hommes et de sept chars a forcé le tunnel d’Usciolo, le col de Baccino (808 mètres) et les 21 barrages de Carbini. L’ennemi pénètre au soir du 16 septembre à Levie, mais la colonne est stoppée devant le pont de la Rajo que les francs-tireurs ont fait sauter. Le lieutenant Peretti descend à Ajaccio pour exiger l’aide du bataillon de choc. Le 17, les troupes allemandes abandonnent Levie après trois jours de combat au cours desquels Quenza a été libérée (le 15). Le 20, Sotta est libérée à son tour.

Bastia et la côte orientale 
La région de Bastia est le théâtre des principaux combats de septembre et octobre 1943. Bastia est le port d'évacuation des forces allemandes vers l'Italie. Déjà en novembre 1942, situé à seulement 80 kilomètres des côtes italiennes, il avait été le premier atteint par les troupes parties de Livourne. Puis, en septembre 1943, sa position géographique lui avait valu d'être la principale issue des forces allemandes en retraite vers le front italien. Aussi le contrôle de cette ville s'avère-t-il, en septembre et octobre 1943, prioritaire. Non loin de Bastia, Aleria est libérée le 28 septembre, Rutali, le 29. Patrimonio est libérée le 1er octobre : la route du col de Teghime est ouverte. Le 2, c'est la libération de Casamozza, aux abords sud de Bastia.
La situation est très complexe : après une brève reprise en mains de Bastia par les résistants le 9 septembre, les Allemands, qui sont encore 3 000, la reprennent au soir du 13 septembre. Les combats opposent les troupes allemandes et la division italienne Friuli. Les Allemands menacent la ville de destruction en cas de résistance. Plusieurs dirigeants du FN gagnent alors Ajaccio. Le plan d'opération du général Henry Martin consiste à prendre Bastia au plus vite afin de couper la retraite des Allemands en progressant par la montagne, dont les cols sont progressivement occupés. Le col principal, celui de Teghime, est pris par le 2e GTM, le 2 octobre. La dernière semaine de combats se termine par l'assaut final sur Bastia, le 4 octobre au matin, après des bombardements alliés successifs les 13, 21 et 25 septembre. Le 4 octobre, Bastia est à nouveau bombardée par l'US Air Force, faisant de nombreuses victimes civiles, de l'ordre de plusieurs centaines. Le 5 octobre au matin, peu avant leur retrait définitif de l'île, les Allemands envoient neuf bombardiers larguer des bombes planantes. Dans le même temps, u
ne nouvelle équipe municipale, constituée par des résistants présents dans la ville et dirigée par Jacques Faggianelli, s'installe à l'Hôtel de Ville. Les communistes y resteront minoritaires.

La guerre marque lourdement le port et les infrastructures ferroviaires et routières. Soixante-neuf immeubles sont détruits et six-cent-cinquante sont endommagés, soit par les bombardements, soit par l'explosion des munitions italiennes stockées près du cimetière. Le port de Bastia, encombré d'épaves, est inutilisable, le trafic avec l'Afrique du Nord est donc détourné sur Ajaccio. Sa restauration est différée jusqu'en 1945 parce que priorité a été accordée à celui de Marseille. Sur les quais, réduits de 780 à 300 mètres, l'éclairage ne fonctionne plus. En ville, les quartiers proches du port et de la gare et celui de Saint-Joseph sont gravement endommagés. Une longue crise du logement commence. Bastia, libérée 25 jours après Ajaccio, sera déclarée sinistrée par un arrêté ministériel du 22 avril 1944.

Maurice Choury estime que la libération de l’île a nécessité la mobilisation de 6 929 soldats, soit l’équivalent de cinq divisions régulières, pendant 25 jours de combat, en sus des résistants corses. En comparaison, la 
prise de la Sicile - la plus grande île de Méditerranée - a nécessité 13 divisions, les combats y ont duré 38 jours et les pertes se sont élevées à 31 158 hommes, en sus du nombre de victimes civiles.

Auteur(s) : Département AERI
Source(s) :

Hélène Chaubin, Corse des années de guerre 1939-1945, Editions Tirésias-AERI, Paris, 2005

Hélène Chaubin, La Corse à l'épreuve de la guerre 1939-1943, Editions Vendémiaire, Paris, 2012

Maurice Choury, La Résistance en Corse, "tous bandits d'honneur !", préface d'Arthur Giovoni, Editions sociales, Paris, 1958

CD-ROM La Résistance en Corse, 2e édition, AERI, 2007.

La Corse est libérée, mais la guerre continue haut ▲

A la libération, l'île de Beauté devient un lieu d'expérimentation pour l'équilibre des pouvoirs locaux et la restauration d'une autorité d'Etat. Jusqu'à la paix, la mobilisation et la nécessité de participer à l'effort d'une guerre dont l'issue est alors incertaine exigent l'unité des courants résistants. Cependant, les problèmes qui vont être ceux de la France entière s'y posent déjà : épuration, reconstruction, retour à la démocratie politique et sociale. Il n'en demeure pas moins que la libération de l'île constitue un précédent et un espoir.

La Corse avait été placée sous l'autorité du Comité français de libération nationale (CFLN) d'Alger en se ralliant à la France libre, le 9 septembre 1943. Elle n'ignorait pas que la libération ne signifierait pas la paix. En raison de sa position clé entre l'Afrique du Nord et les côtes provençales, la Corse est appelée à jouer un rôle important dans la poursuite de la guerre. En effet, le 14 novembre 1943, 433 délégués représentant 266 communes et 27 000 adhérents du Front national corse se réunissent en Congrès, à Ajaccio, et demandent la mobilisation totale des forces insulaires pour la libération de la France continentale. Dès novembre 1943, 12 000 jeunes hommes sont ainsi concernés par l'ordre de mobilisation de 22 classes. Certains ont été sélectionnés, dès le 15 octobre - soit, onze jours après la libération de l'île - pour former une 4e compagnie du bataillon de choc et se préparer aux débarquements sur l'île d'Elbe et dans la péninsule italienne. Pour le plus grand nombre, il est prévu une formation militaire en Afrique du Nord, puis, l'intégration dans la 1ère Division française libre, qui connaîtra une campagne d'Italie meurtrière. C'est d'ailleurs le jeune soldat corse de 20 ans, Paul Poggionovo, qui hissera à Rome, le 5 juin 1944, le drapeau français sur le Palais Farnèse, ambassade reconquise. La Corse avait perdu 3 000 prisonniers et déportés politiques pendant la campagne de France en 1940 et sous l’Occupation. Elle va à présent donner 13 000 hommes à la France combattante. 

A la mi-août 1944, de Propriano, Bastia, Sagone et d’Ajaccio partent vers la France commandos d’Afrique, groupe naval d’assaut, bataillon de choc, 9e division d’infanterie coloniale, tabors marocains. Au total, 28 000 hommes et 3 500 véhicules quittent la Corse avec le deuxième échelon d’invasion, tandis que des 17 aérodromes construits sur la côte orientale, plus de 2 000 chasseurs-bombardiers vont couper les lignes de communication sur les arrières de l’ennemi. C’est de l’observatoire d’Ajaccio que l’amiral britannique Cunningham suit le déroulement de la première phase de l’opération Anvil, nom de code du débarquement de Provence sur le littoral varois, prélude à la libération complète de la France. 
La Corse sert donc de base avancée à la fois terrestre et navale - un porte-avions gigantesque - aux forces alliées, engagées dans la libération de l'Europe, ce qui lui vaudra le sobriquet d'"USS Corsica".

Le général Giraud écrira : "Le plus magnifique porte-avions à proximité des côtes de Provence était maintenant à la disposition des Alliés. Lorsqu'il sera aménagé, il permettra l'envol des chasseurs et des bombardiers légers dans des conditions exceptionnelles [...]. Par ailleurs, les ports et les plages de Corse ne sont qu'à quelques heures de la côte française"*, condition essentielle pour la surprise nécessaire à tout débarquement".   

Premier territoire français libéré, la Corse l'a été par ses propres habitants et par les troupes françaises d'Alger, sans aucune intervention de la part des forces anglo-américaines, si l'on excepte le bombardement américain de Bastia, le 4 octobre à 10 heures, lorsque la ville était déjà libérée... La Corse constitue ainsi un exemple unique par sa précocité dans la chronologie des libérations de cette époque.

Auteur(s) : Département AERI
Source(s) :

CHAUBIN Hélène, Corse des années de guerre, 1939-1945, Editions Tirésias-AERI, Paris, 2005

CHAUBIN Hélène, La Corse à l'épreuve de la guerre, 1939-1943, Editions Vendémiaire, Paris, 2012

CHOURY Maurice, La Résistance en Corse, "tous bandits d'honneur !", préface d'Arthur Giovoni, Editions sociales, Paris, 1958. 

* Général Giraud, Un seul but : la victoire, Alger 1942 - 1944, Julliard, Paris, 1949