"Contre la pénurie"

A Romans : "Les 5 et 9 juin [1942], un rassemblement assez important de ménagères (2500 à 3000 environ) a eu lieu à Romans, en vue de protester contre l'insuffisance de matières grasses, ration qui s'est élevée en mai à 100 grammes seulement. Les ménagères réclamaient que les tickets qui n'avaient pas été satisfaits en mai soient revalorisés en juin. Satisfaction n'a pas été donnée. La population proteste d'autant plus énergiquement que dans les départements voisins, Isère et Ardèche, chaque consommateur a perçu les rations auxquelles les cartes donnaient droit."
Le 9 juin : "Suite à la manifestation du 5 juin, certains mots d'ordre continuaient à courir ; les bruits ainsi recueillis ont pris corps dans la matinée du 9 juin au point de paraître nécessiter l'intervention de tous les moyens de police à ma disposition. Le taux de ration en est la cause. Le premier rassemblement vers 13 h 45 devant le domicile du maire s'est dispersé de lui même ; vers 18 heures, une foule de 2 à 3 000 personnes fut maintenue (presque que des femmes). Vers 19 h 30 tout semblait terminé." (rapport au préfet). 

A Valence, les 21 et 22 juillet 1942, plusieurs centaines de femmes manifestent contre le manque d'aliments.
Le 21 juillet, de 10 à 11 heures 30, environ deux cents femmes manifestent devant la préfecture aux cris de : "le préfet - à manger". La cause de ce mouvement est l'institution de la carte de légumes limitant la consommation de légumes frais à 150 grammes pour trois jours. La Marseillaise est chantée à plusieurs reprises. Le préfet reçoit une délégation. Sortie à 11 heures 30, elle déclare que, selon le préfet, l'ancien processus de vente des légumes est rétabli. La manifestation est dispersée sans difficulté par la garde mobile de réserve, la police et la gendarmerie.
Le lendemain, pour les mêmes raisons, une nouvelle manifestation se déroule devant plusieurs bâtiments de la ville. Elle est dispersée, dans le calme, par les forces de l'ordre.
Pour les autorités, les manifestantes sont manipulées par les communistes. Elles craignent que d'autres mouvements n'apparaissent les jours suivants. Cette obsession de l'influence communiste se retrouve très fréquemment dans les rapports des forces de l'ordre.
Le 1er août 1942, à Saint-Paul-Trois-Châteaux, quelques ménagères se réunissent pour protester contre l'insuffisance du ravitaillement en pommes de terre. Elles accusent le pillage occasionné par les prélèvements allemands. Les causes de ces manifestations témoignent de la situation de pénurie des villes. Manquer de légumes frais, au mois de juillet, dans la Drôme, est anormal car c'est la période de pleine production. On peut imaginer la situation pour l'hiver suivant.

Le printemps 1943 est riche en manifestations. Conséquence de la pénurie de farine au début de 1943, des rassemblements de femmes et d'enfants ont lieu dans des bourgades rurales comme Nyons, Buis-les-Baronnies, La Bégude-de-Mazenc, Portes-lès-Valence, Le Poët-Laval, Donzère, Grignan, Taulignan. Le 30 mars 1943, une Tainoise envoie au préfet une pétition, signée par des Tainois, pour attirer son attention sur "la situation critique au point de vue ravitaillement".
A Érôme, le 14 avril, l'usine d'appareillage électrique Grammont est touchée par une grève. La fin du mouvement ne peut être obtenue que par la promesse formelle, de la part du service de ravitaillement, d'assurer d'urgence l'envoi de farine dans les communes rurales où sont domiciliés les 150 ouvriers protestataires.
Le 26 juin, à Montélimar, se déroule une manifestation pour l'amélioration du ravitaillement. On réclame du pain. Dans la campagne, comme en ville, la pénurie de cet aliment est réelle. La situation est donc très grave. Le mécontentement se manifeste sous d'autres formes. Un tract non daté, si ce n'est du mois d'avril, est répandu dans les rues de Saint-Vallier :
"A LA POPULATION DE SAINT-VALLIER
Nos tables se dégarnissent de plus en plus, les rations diminuent : la tuberculose nous guette tous, allons-nous nous laisser périr ? Non. Vendredi 1er, pas de porc chez les charcutiers, le lendemain, très peu de viande chez les bouchers. Nous n'avons pas assez de pain et on parle de diminuer nos rations, alors qu'à partir du 20 nous n'avons plus de tickets. Les pommes de terre ont complètement disparu. Pas de vin, quand les caves des récoltants sont encombrées et leur produit dénaturé. Chaque mois nous avons moins de fromage, si cela continue il nous faudra une loupe pour voir nos rations. Nous avons des salades, des asperges, des poireaux, mais pas d'huile. Et pour préparer le peu que nous avons, pas suffisamment de matières grasses, alors que la graisse prélevée par les bouchers sur les bêtes se pourrit dans les abattoirs. Notre gouvernement accuse les paysans de ne pas livrer leur blé et leur vin pour notre ravitaillement, ceci dans le but de nous dresser contre eux, mais c'est faux. Notre silo de Saint-Vallier qui était plein a été vidé, il y a environ deux mois pour être expédié aux boches. Le vin qui était dans les caves n'est pas pour nous, puisqu'on le dénature, mais bien pour fabriquer de l'alcool pour Hitler. Si des produits de notre sol n'étaient pas livrés aux boches, nous aurions suffisamment à manger. Pour l'obtention d'une augmentation de : 100 grammes de pain par jour, un litre de vin quotidien, pour plus de viande, fromage et matière grasse, Manifestez le vendredi 24 avril à 18 heures, place de la Mairie".
Le tract donne un bon aperçu de la situation. Les rations diminuent avec toutes ses conséquences. 

Après ces constats, le tract s'attaque aux responsables de la pénurie. Le premier visé est le gouvernement de Vichy qui, pour détourner la colère des citadins, accuse les agriculteurs de ne pas livrer leurs produits. Il ne faut pas tomber dans ce piège tendu par la propagande.
Le principal coupable est l'Allemagne qui réquisitionne une grande partie des produits alimentaires français. L'appel à la manifestation conclut le texte. 

Besoins alimentaires et critiques politiques sont mis en valeur dans ce texte. Il serait intéressant de connaître le ou les auteurs d'un tract aussi bien charpenté. La Libération n'amène pas une amélioration rapide de l'alimentation des Drômois. Aussi, les manifestations continuent. À Romans, le 8 septembre 1947, à 17 heures, pour protester contre le rationnement du pain, a lieu la première grande manifestation ouvrière depuis la Libération. Il faut attendre les années cinquante pour qu'il n'y ait plus de difficultés pour disposer d'une nourriture abondante et variée. Mais le souvenir de la pénurie alimentaire est encore très fort. Sans parler de la période de la guerre de Corée en 1950, la guerre du Golfe en 1991 entraîne des achats de précaution en sucre, huile et autres produits de première nécessité !

Auteur(s) : Jean Sauvageon
Source(s) :

Dvd-rom La Résistance dans la Drôme-Vercors, éditions AERI-AERD, février 2007.

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