"16 et 17 septembre 1944, l’amertume d’une visite tant attendue"



« Il nous a écrasés de son mépris
» (1)

Fortes de 60 000 hommes les FFI de la région toulousaine s’organisent en unités régulières pour participer, aux côtés des armées françaises et alliées à la lutte contre les Allemands encore présents sur certaines parties du territoire français. Depuis son état-major, le colonel Ravanel s’efforce, avec son sens inné de la discipline, d’organiser, de former, autrement dit d’uniformiser « sa jeune armée » pour ensuite répartir ses troupes, bien décidées à poursuivre le combat, dans les rangs de colonnes et de divisions en partance vers l’est et le front de l’Atlantique. Leur contribution militaire aux combats de la Libération de la France est considérable.
C’est une ville tenue et organisée que le Général de Gaulle découvre lors de sa venue à Toulouse les 16 et 17 septembre 1944. « Nous nous apprêtions à vivre un grand moment. Cette rencontre symbolisait la fusion des deux grandes forces qui s’étaient constituées, l’une en France métropolitaine, l’autre au dehors. » (2). En réalité, « Il nous a écrasés de son mépris » (3).
La ville est en émoi et les résistants se préparent à lui rendre un hommage fidèle et absolu. Tous sont convaincus qu’il saura saisir l’esprit de résistance, et en imprégner durablement sa politique. Ils attendent sa considération, son amitié. On lui réserve un accueil à la hauteur de sa réputation.
Le 16 septembre, en fin de matinée, le général de Gaulle apparaît enfin à l’aéroport de Blagnac. Entouré de son ministre de la guerre, et de son secrétaire général du gouvernement provisoire, Il gagne Toulouse où il passe en revue, avec un « regard hautain », les officiers d’état-major de Ravanel. « Il n’a pas discuté avec un seul d’entre nous. », « il n’a pas été amical avec ces combattants que nous étions alors que nous attendions de lui une camaraderie d’arme. » (4).
Dans l’après midi, il accorde un entretien d’une heure au colonel Ravanel. Ce dernier attend, de cette entrevue, « une séance de travail » permettant de donner des orientations et de fixer des nouvelles tâches afin de poursuivre ainsi leur mission. Il n’en est rien. D’emblée le ton est donné :
« Il m’a abordé en termes extrêmement sévères me demandant :
 - pourquoi vous portez la croix de Libération ? Qui vous y a autorisé ?
J’ai répondu au général qu’Emmanuel d’Astier de la Vigerie et son adjoint, Jean Pierre-Bloch, m’avaient annoncé que vous me l’aviez attribuée et j’ai pensé vous faire honneur en la portant.
- Vous ne l’avez pas, personne ne vous l’a jamais accordée »
(5).
En réalité, de Gaulle n’écoute pas. Il lui annonce l’arrivée prochaine du général Collet à Toulouse désigné pour « remettre de l’ordre » dans cette région où règne un « vaste désordre » (6). Atterré, le jeune colonel Ravanel réalise que pour de Gaulle « les FFI, c’est fini, il ne souhaite pas qu’elles demeurent dans l’état ou elles étaient ». Autrement dit, « le rôle de la Résistance est terminé. » (7).
La joie et le respect qui avaient envahi Ravanel et ses compagnons les jours précédents son arrivée, laissent place à une douloureuse déception, une profonde amertume. C’est avec ce même « mépris » qu’il assiste, le lendemain 17 septembre, à la prise d’arme organisée en son honneur. C’est avec une immense fierté que les FFI de Ravanel défilent devant le général. Parmi eux les guérilleros espagnols : « J’étais ému pour eux. Ils avaient contribué à la Libération de notre pays ils ont eu des morts pour notre cause. Et j’ai vu de Gaulle se crisper, comme si c’était dramatique de voir des Espagnols défiler dans les FFI alors qu’ils avaient contribué à la Libération de notre pays » (8). « Et, à tous ces hommes valeureux qui avaient donné d’eux même il posait comme seule question : quel était votre grade dans l’armée. Ce qui était une façon très discriminatoire de permettre à certain de se mettre au garde à vous en disant j’étais commandant et, à d’autres qui étaient de simples soldats de se sentir humiliés. On n’humiliait pas des hommes comme des résistants ; ce n’est pas possible. On leur tenait un langage d’amitié. » (9).
Au cours de ces deux jours de visite le contact avec de Gaulle est difficile, voire traumatisant. « Je me suis demandé s’il n’y avait pas eu des fautes de ma part. Mais je me suis rendu compte que c’était pareil ailleurs… » (10).

Le parcours résistant de Serge Ravanel l’a amené – comme beaucoup de la Résistance – à évoluer graduellement vers la gauche. La défiance de De Gaulle à son endroit à la Libération était aussi due à la réputation qu’avait Toulouse d’être une « république rouge ».

Sources : (1) Serge Ravanel, interview d’Alain Vincent, 18/11/03. (2) Serge Ravanel, L’Esprit de Résistance, Editions du Seuil, 1995. (3) Serge Ravanel, interview d’Alain Vincent, 18/11/03. (4) Témoignage de Serge Ravanel documentaire diffusé sur France 3 1944, la France libérée : Sud-Ouest le rêve et les fusils ou l’été de la Libération. (5) Serge Ravanel, interview d’Alain Vincent, 18/11/03. (6) Serge Ravanel, L’Esprit de Résistance, Editions du Seuil, 1995. (7) Témoignage de Ravanel sur l’attitude du général de Gaulle.

                        

                September 16 and 17th, 1944 De Gaulle Visits Toulouse

«We were completely unprepared for his scorn » (1)

60,000 men from the FFI in Toulouse formed units to fight the Germans alongside the French Army and the Allies present in France. Following his general's orders, Ravanel organized and trained this «young army» into units and divisions that were ready for combat. His men fought well on the Eastern and Northern fronts, and they made up a large part of the Liberation Army's military strength. Serge Ravanel was also charged with naming a new head of police for the FFI. He and Commissioner Bertaux choose lieutenant-colonel Noireau to restore order and continue to enforce the laws of the new government in Toulouse. So when General de Gaulle visited Toulouse on September 16th and 17th 1944, he was greeted by an organized and well-run post-war city.
«We were all ready for this big moment. This meeting with de Gaulle symbolized the joining of France's two great forces: the one within France and the one from outside» (2). In reality, «we were completely unprepared for his scorn» (3).

All of Toulouse waited in anticipation for the arrival and the Resistance prepared a warm and loyal welcome for the man they had revered for the entire war. Everyone believed that he embodied everything that the Resistance stood for, and completely supported him as President for the New France. Toulouse could not wait to see this great man for herself and wanted to afford him the most honorable welcome they could muster.

Late on the morning of September 16th, de Gaulle finally arrived at the airport in Blagnac. Surrounded by his Defense ministers and his Secretary General, de Gaulle entered Toulouse and greeted Serge Ravanel and his deputies with a «haughty expression». «He didn't speak a word to any of us, nor did he treat us like comrades. We had always believed he was one of us» (4).

That afternoon, de Gaulle agreed to meet with Colonel Ravanel for one hour. Ravanel assumed the meeting would cover «business matters for Toulouse» such as giving new directions and tasks in order to continue rebuilding the government. But that wasn't the case at all. Instead, the meeting went as follows:
«He spoke extremely harshly to me, demanding, -Why are you wearing the cross of the Liberation? Who authorized you to wear it? I told him that General Emmanuel d'Astier de la Vigerie and his officer Jean-Pierre Bloch told me I had earned it. And I thought wearing it today would honor his presence here in Toulouse. -But you do not have the right to wear it. No one authorized it» (5).

De Gaulle didn't listen to Ravanel at all during the meeting. He announced that General Collet was coming to Toulouse to «restore order » in a region completely immersed in «chaos » (6). Shocked, Ravanel realized that de Gaulle was «getting rid of the FFI. It was over. He did not want FFI involved at all in France.» In other words, «the Resistance was finished» (7). Ravanel and his comrades, who had once respected de Gaulle absolutely and who had been overjoyed that he was coming to Toulouse, were shocked and saddened by de Gaulle. The visit would only leave the bitter taste of disappointment in their mouths. It was with the same «illusion » that they put on a military demonstration on September 17th to send de Gaulle off. The FFI along with the Spanish nationals marched proudly in front of de Gaulle nevertheless. «My heart went out to the Spaniards. They had fought for the Liberation of our country and many had died for our cause. De Gaulle grimaced when he saw them, like it was shocking to see Spaniards in the FFI» (8). «And he only asked one thing of all of the brave men who had given everything to the cause: what is your rank? It only made the men who could say they were commanders feel more valuable then those who were common soldiers, leaving them humiliated. No one could humiliate the resistants. It was not possible because we shared an understanding» (9).

These two days with de Gaulle were difficult and traumatic for Ravanel. «I had to ask myself if I had done something wrong. But I understood that it always would have been this way...» (10). Serge Ravanel's time as a Resistant led him to become more liberal politically. De Gaulle's betrayal—in the eyes of the Resistance—also is one of the reasons that Toulouse became a «Red Republic» after the war.


Traduction : Catherine Lazernitz

Auteur(s) : Emmanuelle Benassi

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