"Premiers jours après la Libération"



Gérer l’effervescence et le désordre, Ravanel-Cassou : l’espoir d’un binôme inachevé

« Ce matin dimanche 20 août, l’évacuation de Toulouse est presque achevée... Des éléments allemands [...] sont pris à partie par les éléments FFI de Toulouse. [...]. Les unités qui convergent sur Toulouse en exécution de l’ordre n°7 doivent faire diligence pour gagner leur secteur dans leur stationnement. Elles seront prêtes à entrer dans Toulouse le lundi 21 août dans les premières heures de la matinée. Le chef régional FFI leur demande de faire cette entrée dans le plus bel ordre militaire, afin de s’imposer d’emblée à la population et de lui faire sentir que les FFI constituent un instrument militaire puissant et discipliné. » (1). Une ambiance euphorique règne dans les rues de la capitale régionale alors vidées de l’occupant. « C’était un peu comme une bouteille de champagne qui explose. » (2). Toutefois le commandement FFI incite à la prudence car la ville n’est pas encore à l’abri d’incursions en force de l’ennemi. Le rétablissement de la légalité devient la priorité pour le commandement FFI. Le colonel Ravanel choisit de rétablir l’ordre avec vigueur et donne tout pouvoir au commandant Georges. « On a nommé le commandant Georges, chef de la place d’armes parce que dans ce Toulouse qui venait d’être libérée, on ne pouvait pas attendre que dans les 24 ou 48 heures tout soit parfaitement organisé. » (3).
Par ailleurs, il doit veiller à l’application des directives reçues du général Cochet, délégué militaire du gouvernement pour le théâtre d’opération Sud : « les FFI se doivent de donner l’exemple, tous ses membres ont le devoir absolu de respecter et d’appliquer la loi, et tous leurs efforts doivent tendre à assurer la sécurité intérieure et extérieure de la nation. Ils doivent veiller à ne pas paralyser l’exercice du pouvoir régulier et légal qu’ils doivent au contraire appuyer et soutenir de tous leurs efforts. » (4).
Conséquence inévitable du choc et de l’exploitation de la Libération, Toulouse vit des heures troubles.
Bien que cette Libération de Toulouse et de la Haute-Garonne s’inscrive dans une stratégie d’ensemble définie en amont au niveau national (CNR), régional (Commissaire de la République et FFI), départemental et local (FFI et Comité de la Libération) elle « place immédiatement et sans transition [l’ensemble de ces principaux responsables] devant des problèmes nouveaux » (5). Dans l’improvisation, les nouvelles autorités, doivent rétablir l’ordre et faciliter l’instauration de la nouvelle République.
C’est dans cette perspective que se tient, le 19 au soir, au 21 rue d’Orléans, siège du CDL, une réunion clandestine décisive réunissant autour de Jean Cassou, Commissaire de la République, et ses proches collaborateurs, les principaux responsables civils et militaires : les chefs FFI régional et départemental, Serge Ravanel et Jean-Pierre Vernant, le chef régional MLN Degon et les principaux membres du CDL dont Albert Carovis. Dans un commun accord, ils fixent au lendemain « les conditions de passation des pouvoirs ». A la sortie de la réunion, Jean Cassou et deux de ses collaborateurs sont victimes d’un contrôle de papier effectué par une colonne allemande qui tentait de traverser la ville. « Violemment matraqué, Jean Cassou est laissé pour mort sur la chaussée. » (6). Cette nouvelle est un véritable choc pour Ravanel : « Je prends soudain conscience de l’attachement que j’éprouve pour notre Commissaire de la République. » (7). « Sa présence me manque. En parfait accord, nous assurions ensemble le commandement régional de la Résistance. » (8).
Bien que coutumier depuis quatre années de l’inattendu, cette nouvelle improvisation sème le trouble au sein des dirigeants : il faut réunir de nouveau les responsables et choisir sur le champ le remplaçant du commissaire. Le nom de Ravanel est proposé mais il refuse ; il tient à privilégier ses fonctions de responsable militaire. En outre, très discipliné, il ne conçoit pas un seul instant, prendre une telle décision sans en avertir sa hiérarchie. Chacun ayant déjà été affecté à un poste il faut nommer quelqu’un d’autre. Le choix s’oriente finalement sur un dénommé Pierre Bertaux, soi-disant envisagé comme remplaçant par Jean Cassou lui même. Sceptique, l’assemblée ne parvient pas à trancher : méconnu, sa désignation est loin de faire l’unanimité. Mais il faut agir vite : « Alors à ce moment là, c’est moi qui ai emporté la décision... Mettons en place Pierre Bertaux puis on verra comment il se comporte. » (9). Cette nouvelle distribution des cartes perturbe cette solide équipe régionale constituée depuis plusieurs mois autour de Jean Cassou. Tous issus du MLN et animés par le même esprit de la Résistance, c’est dans un climat de confiance et d’amitié qu’ils ont appris à travailler ensemble en s’inscrivant dans le programme du CNR. Selon eux, les résistants se doivent d’être, dans cette reconstruction, des animateurs, des mobilisateurs comme ils l’ont été pendant l’Occupation ; « la conception de Bertaux est beaucoup plus administrative. » (10). Désormais le pouvoir est entre ses mains et les FFI sont à sa disposition. (« Nous étions tellement liés à Jean Cassou »).

Sources : (1) Ordre d’opération n°8 datée du 20 août 1944 émis par le chef de Région. (2) Témoignage de Serge Ravanel documentaire diffusé sur France 3 "1944, la France libérée : Sud Ouest le rêve et les fusils ou l’été de la Libération". (3)Op cit. (4) Note du général de division aérienne Cochet, délégué militaire du gouvernement pour le théâtre d’opération Sud adressée aux commandants de région et aux commandants des FFI. (5) Directive de l’exécutif zone Sud du mouvement de la libération nationale à tous les chefs de services, de régions et de départements émis le 5 août 1944. (6) Serge Ravanel, L’Esprit de Résistance, Editions du Seuil, 1995. (7) Op cit. (8) Serge Ravanel, L’Esprit de Résistance, Editions du Seuil, 1995. (9) Témoignage de Serge Ravanel documentaire diffusé sur France 3 "1944, La France libérée : Sud-Ouest le rêve et les fusils ou l’été de la Libération". (10) Op cit.



                            First Days after the Liberation

Ravanel-Cassou, a doomed partnership in the aftermath of the Liberation

«This Sunday morning, the 20th of August, the German evacuation of Toulouse is almost complete...All German troops...are being taken into custody by the FFI of Toulouse...Units who have been sent to Toulouse in order to execute Order 7 will report to the stations in their respective sectors. They will arrive in Toulouse on Monday, August 21st in the early hours of the morning. The FFI chief of the region has asked that this be carried out in the most organized, military fashion so that the population will see that the FFI is well organized and poised to take charge» (1). At the end of the Occupation in Toulouse, the people were overjoyed. «It was something like bursting open a bottle of champagne » (2). But at the same time, the FFI was on high alert because the city was still vulnerable to enemy attacks. Reestablishing a government was the FFI's first priority. Colonel Ravanel wanted this done quickly and with Georges as the commander. «We named Georges as commander because he had been head of the armed forces in Toulouse, and because as we had just been liberated, we needed to be ready at a moment's notice» (3).

In addition, the FFI needed to enact the directions given by General Cochet, the military delegate from the Southern theatre, immediately: «The FFI must make its members the example for the rest of the population and must enforce and respect the law. They must make every effort to assure the security of both the interior and exterior of the nation. They must also preserve the legal system and control those that try to fight it » (4).

Because of the inevitable shock and exploitation following the Liberation, Toulouse had some dark hours.
As soon as Toulouse and Haute-Garonne were liberated, they each decided to give power over to both the national (CNR) and regional (Commissaire de la République, or Prefect, and FFI), which happened «so quickly that the (new leaders) immediately had new problems to face » (5). The new authorities had to improvise quickly so that they could establish some kind of order for the new Republic. On the night of August 19 at 21 rue d'Orléans, at the office of the CDL, Jean Cassou, the Commissioner of the Republic, held a secret meeting with his closest advisors, and heads of civil and military services: regional leaders of the FFI, Serge Ravanel and Jean-Pierre Vernant, Toulouse's leader for the MLN, Degon, and other members of the CDL, like Albert Carovis. They agreed that the next day «they would pass conditions outlining how the new Republic would be run. » At the end of the meeting, Jean Cassou and two of his deputies were attacked by German soldiers who were going through the city. «Badly beaten, Jean Cassou was left for dead» (6).
Ravanel was completely horrified by the news: «I suddenly realized how much I had respected and admired Cassou» (7). «I missed him. We had all come together and agreed to have him as our new leader for the Resistance » (8).

As had been the custom during the war years, more improvisation was necessary, and of course, there was doubt amongst the leaders. They needed to hold another meeting and choose someone to replace the Commissioner. Ravanel was nominated, but he declined because he wanted to continue his military duties. Besides, he could not wrap his head around making a decision without consulting his superiors first. Because everyone at the meeting already had a position, someone from the outside had to be nominated. The man chosen was Pierre Bertaux, who supposedly had been Jean Cassou's choice should he be replaced. However, the assembly was skeptical and because no one really knew Bertaux, the decision was far from unanimous. But they needed to make a decision quickly: «I made the decision...put Bertaux in place and wait and see how he does» (9). In spite of their loyalty to Jean Cassou, everyone in the region, including those from the MLN, came together for the sake of the Resistance to work on the CNR's agenda. The resistants decided that they should be the same kinds of leaders that they were during the Occupation because «Bertaux's approach was far more administrative » (10). From then on, the government and the FFI were at Bertaux's disposal. «But we were still continuing to follow Jean Cassou's vision.»


Traduction : Catherine Lazernitz

Auteur(s) : Emmanuelle Benassi

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